2008-10-07 Committee on Institutions

Journal des débats (Hansard)
of the Committee on Institutions
Version finale

38th Legislature, 1st Session
(May 8, 2007 au November 5, 2008)
Tuesday, October 7, 2008 – Vol. 40 N° 61

Consultations particulières sur le projet de loi n° 99 – Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics

Table des matières

Remarques préliminaires

M. Jacques P. Dupuis
M. Claude L’Écuyer
M. Daniel Turp

Auditions (suite)

Association du Jeune Barreau de Montréal (AJBM)
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ)
Secrétariat intersyndical des services publics (SISP)
Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique
(AQLPA) et Comité de restauration de la rivière Etchemin (CRRE)
Les Éditions Écosociété inc.
Réseau québécois des groupes écologistes (RQGE)
Mme Christine Landry et M. Serge Galipeau
Assermentation de Mme Christine Landry
Assermentation de M. Serge Galipeau

Autres intervenants

Mme Lise Thériault, présidente
M. Pierre Marsan, président suppléant
Mme Stéphanie Vallée
M. Sylvain Légaré
M. Hubert Benoit
* M. Philippe-André Tessier, AJBM
* M. Karim Renno, idem
* M. Antoine Aylwin, idem
* Mme Karine Chênevert, idem
* M. Gaétan Cousineau, CDPDJ
* Mme Michèle Turenne, idem
* Mme Lucie Martineau, SISP
* Mme Marie-Claude Morin, idem
* Mme Jocelyne Lachapelle, AQLPA et CRRE
* M. Normand Landry, idem
* M. Dominique Neuman, AQLPA
* Mme Marie-José Longtin, ministère de la Justice
* M. Guy Cheyney, Les Éditions Écosociété inc.
* Mme Priscilla Gareau, RQGE
* Mme Gabrielle Ferland-Gagnon, idem
* Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Neuf heures trente-six minutes)

La Présidente (Mme Thériault): À l’ordre, s’il vous plaît! Donc, ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande aux personnes présentes dans la salle de bien vouloir fermer leurs téléphones cellulaires ou de les mettre en mode vibration, s’il vous plaît.

La commission est réunie afin de procéder à des consultations particulières et des auditions publiques à l’égard du projet de loi n° 99, Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, Mme la Présidente. M. Tomassi (LaFontaine) est remplacé par Mme Vallée (Gatineau); M. Beaupré (Joliette) est remplacé par M. Benoit (Montmorency); M. Benjamin (Berthier) est remplacé par M. Diamond (Marguerite-D’Youville); M. Desrochers (Mirabel) est remplacé par M. L’Écuyer (Saint-Hyacinthe); et finalement M. Riedl (Iberville) est remplacé par M. Légaré (Vanier).

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, l’ordre du jour pour aujourd’hui: immédiatement après les remarques préliminaires, nous recevrons l’Association du Jeune Barreau de Montréal; ce sera suivi de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse; par la suite, le Secrétariat intersyndical des services publics. Nous suspendrons nos travaux à 12 h 45. À la reprise, à 14 heures, ce sera autour de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique et Comité de restauration de la rivière Etchemin; par la suite, Les Éditions Écosociété, qui sera suivie du Réseau québécois des groupes écologistes; et nous terminerons la journée avec Mme Christine Landry et M. Serge Galipeau. Donc, nous aurons des remarques préliminaires… Oui, M. le député de Mercier.

M. Turp: Juste une question d’information, Mme la Présidente. Peut-être le secrétaire pourrait nous indiquer si nous avons reçu, au moment où nous nous parlons, un mémoire de la Commission des droits de la personne.

La Présidente (Mme Thériault): M. le secrétaire, non?

M. Turp: Parce que, moi, je n’ai pas en ma possession un mémoire de la commission.

Une voix: On n’a rien reçu. Excusez.

La Présidente (Mme Thériault): Non.

M. Turp: On ne l’a pas reçu?

La Présidente (Mme Thériault): Non.

M. Turp: O.K. Merci.

Remarques préliminaires

La Présidente (Mme Thériault): D’accord. Donc, on va aller aux remarques préliminaires. Vous avez un maximum de cinq minutes pour chacun des groupes. M. le ministre, la parole est à vous.

M. Jacques P. Dupuis

M. Dupuis: Oui. Comme c’est mon habitude, ce sera court, Mme la Présidente, et je veux surtout laisser la chance aux groupes qui ont produit des mémoires de s’exprimer. Mais je veux saisir l’occasion qui m’est donnée en cette reprise de nos travaux pour dire combien j’ai de plaisir à retrouver mes collègues, évidemment les ministériels, à qui j’ai eu l’occasion de le dire ce matin, un peu plus tôt, mais le plaisir de retrouver le député de Saint-Hyacinthe, que malheureusement on interrompt dans sa campagne électorale auprès des conservateurs, dans son comté. Je m’en excuse d’avance. Mais je suis très heureux de vous revoir, M. le député de Saint-Hyacinthe.

Saluer aussi mon ami, et je vais enfreindre les règles parlementaires pour quelques instants, Mme la Présidente, pour souhaiter la bienvenue à mon ami Daniel, qui est le nouveau critique en matière de justice, le député de Mercier. J’ai eu l’occasion bien sûr de travailler avec le député de Mercier au fil des ans. Il m’a fait choquer à certaines reprises, mais son travail est toujours un travail constructif et positif. Alors, je lui souhaite la bienvenue et je suis certain que, dans le cours de nos débats, que ce soit en commission parlementaire ou à l’Assemblée nationale, on aura l’occasion de croiser le fer, mais ce sera toujours, je m’y engage et il le sait, ce sera toujours avec le respect que j’éprouve pour lui, et j’oserais même dire amicalement, jusqu’à un certain point, même si ça ne paraîtra pas toujours. Alors, c’est pour ça que je fais la déclaration publique aujourd’hui.

Et je veux aussi souhaiter la bienvenue au député de Lac-Saint-Jean, grand constitutionnaliste devant l’Éternel, qui a eu l’avantage, je pense, d’avoir comme professeur le député de Chapleau peut-être.

Une voix: Et de Mercier.

M. Dupuis: Et de Mercier? Ah! pauvre diable! Mais en tout cas.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Dupuis: Alors, je veux lui souhaiter la bienvenue et évidemment souhaiter aussi la bienvenue publiquement, puisque je l’ai fait de façon privée ce matin, à l’adjoint parlementaire du ministre de la Sécurité publique, le député de Chomedey, à la députée de Gatineau… C’est Gatineau, ton comté, Stéphanie? C’est ça, hein? D’ailleurs, on est allés très loin pour faire une présence dans son comté, il y a quelques mois. Et évidemment bienvenue aussi au député de Robert-Baldwin.

Je voudrais présenter les gens qui m’accompagnent: à ma gauche, Me Pierre Moreau, qui est mon chef de cabinet au ministère de la Justice, et, à ma droite, la mère du Code civil, une institution, je le dis avec tout le respect, une institution au ministère de la Justice, Me Marie-José Longtin, que tout le monde connaît et qui a accepté de prolonger son mandat auprès du ministère de la Justice pour nous éclairer de ses lumières. Je l’en remercie. Alors, ce sont mes remarques.

n (9 h 40) n

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le ministre.

M. Dupuis: Évidemment, Mme la Présidente, toujours le même plaisir de travailler avec vous, vous êtes mon préfet de discipline préféré.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le ministre. Je n’en attendais pas moins de votre part. M. le député de Saint-Hyacinthe, qui est le porte-parole de l’opposition officielle en matière de justice, la parole est à vous pour vos remarques.

M. Claude L’Écuyer

M. L’Écuyer: Merci. Alors, merci, Mme la Présidente. D’entrée de jeu, je veux simplement dire à mon collègue ministre de la Justice que je ne suis pas présentement en campagne électorale, et peut-être je le serai bientôt.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. L’Écuyer: Je tiens tout d’abord à souhaiter la bienvenue à tous mes collègues. Il me fait plaisir de les retrouver. Je salue M. le ministre, ses collègues députés, et tous les représentants de la Commission des institutions, et tous les intervenants qui viendront se faire entendre dans les prochains jours. Nous avons d’ailleurs déjà eu l’occasion de les entendre à l’occasion de la consultation générale qui s’est déroulée aux mois de février et de mars derniers. Je me rappelle surtout de la qualité de leurs interventions et l’intérêt qu’ils portaient à la question des poursuites abusives. Nous avons bien vu à ce moment qu’il y avait un réel problème, des inquiétudes très importantes quant à la possibilité d’être victime de ce qui est appelé une SLAPP.

La consultation avait d’ailleurs porté sur deux questions distinctes, Mme la Présidente, mais qui se rejoignaient par le Code de procédure civile, et nous avions entendu des points de vue un peu différents mais qui se retrouvaient, au bout du compte. Tous ceux qui étaient venus s’exprimer devant les parlementaires étaient favorables à une meilleure accessibilité à la justice, à ce qu’il soit possible d’utiliser les instances de notre système judiciaire beaucoup plus facilement sans risquer d’être bâillonné. Mme la Présidente, nous sommes donc heureux de se retrouver aujourd’hui pour discuter du projet de loi qui se veut la suite logique d’une longue démarche amorcée il y a peu de temps, depuis la remise du rapport Macdonald.

Le dossier des SLAPP est un exemple parfait qui démontre comment il est possible de prévenir un problème plutôt que d’agir seulement lorsque le mal est déjà fait. Trop souvent avons-nous vu de tels exemples au cours des dernières années.

La réponse du monde politique à cet enjeu crucial ne s’est pas fait attendre, et d’ailleurs je salue la célérité dans le dossier, il faut s’en réjouir. Il faut dire que les pressions sont venues de toutes parts sur le gouvernement, non seulement des deux partis d’opposition, mais également de tous les groupes qui militent avec force et conviction pour faire respecter leurs droits. L’engagement politique et social est une de leurs grandes qualités, et, en légiférant contre les poursuites abusives, nous voulons leur garantir la continuité de leurs actions.

Sur le projet de loi n° 99 lui-même, nous constatons que le ministre a privilégié une des voies proposées dans le rapport Macdonald, soit celle des modifications au Code de procédure civile. D’autres voies étaient aussi envisagées, comme l’adoption d’une loi anti-SLAPP, nommément établie, ou l’établissement d’un texte législatif spécifique aux SLAPP. Nous savons d’ailleurs que les exemples de législation sont nombreux chez nos voisins américains, en particulier dans l’État de la Californie.

Plusieurs groupes étaient venus réclamer une loi spécifique lors des consultations de l’hiver dernier. Nous sommes curieux de savoir ce qu’ils pensent du projet de loi n° 99, de ce qu’il faudrait faire selon eux pour le bonifier ou le changer, et c’est pourquoi nous nous garderons, du côté de l’opposition, de tirer des conclusions hâtives.

Si tous s’entendent sur le principe de s’attaquer aux SLAPP, peut-être y aura-t-il des divergences d’opinions sur la façon de parvenir à nos fins. D’ailleurs, pour montrer qu’il est rare qu’un projet de loi est parfait dans sa première formulation, il faut se rappeler que M. Macdonald, l’auteur du rapport sur les poursuites-bâillons commandé par le gouvernement, a déjà émis quelques réserves. Selon lui, si le projet est plein de bon sens, il y a des failles qu’il faudra combler pour vraiment régler le problème. Il pensait notamment, en ce qui concerne l’aide financière apportée aux groupes, aux citoyens victimes de SLAPP, à la création d’un fonds qui rendrait l’argent disponible avant l’enclenchement des procédures judiciaires.

Un autre point apporté par M. Macdonald concerne les mises en demeure qui annoncent l’intention de déposer une poursuite abusive. Plusieurs intervenants et victimes de ces poursuites nous l’ont d’ailleurs confirmé. Les effets négatifs d’une telle mise en demeure sont très importants et confirment qu’il est possible de parvenir à ses fins sans nécessairement avoir recours au système judiciaire. Nous croyons donc qu’il nous faudra se pencher sérieusement sur ces points qui pourraient en venir à bonifier le projet de loi.

À la lecture des premiers mémoires qui nous sont parvenus, nous comprenons que M. Macdonald n’est pas le seul à trouver le projet de loi perfectible. Nous devons donc nous attendre à ce que les propositions soient nombreuses pour l’améliorer.

Une autre question importante que nous nous posons est de savoir s’il aurait été possible pour le gouvernement d’élargir le mandat ou le champ couvert par son projet de loi. Rappelons-nous que la consultation générale de l’hiver dernier avait porté sur l’ensemble des modifications à apporter au Code de procédure civile et non seulement sur les SLAPP. Il avait été question, entre autres choses, du fameux 180 jours, le délai de l’article 110.1 du Code de procédure civile, qui est un délai de rigueur, un enjeu très important pour le monde judiciaire et dont plusieurs groupes nous parleront au cours de cette consultation, je l’espère.

La Présidente (Mme Thériault): Je vais vous demander d’aller à votre conclusion, vous avez déjà dépassé d’une minute le temps qui vous est alloué.

M. L’Écuyer: Merci, Mme la Présidente. J’ai terminé dans quelques instants.

De plus, la question des interrogatoires avant défense, la médiation et toute autre question concernant l’accessibilité à la justice, il s’agit de questions importantes, car nous ne voulons pas qu’en agissant sur l’un nous laissions l’autre de côté, c’est-à-dire les modifications au Code de procédure civile. Nous sommes d’accord de légiférer sur les SLAPP, mais nous sommes tout autant en accord de légiférer, dans les meilleurs délais possible, sur les autres enjeux touchant le Code de procédure civile. Tous ces dossiers se rejoignent dans une tendance qui vise à garantir une meilleure accessibilité à la justice pour les citoyens et à améliorer le fonctionnement de notre système judiciaire.

Sur ce, Mme la Présidente, je nous souhaite de très bons travaux et j’assure le ministre et les membres de cette commission de ma plus grande collaboration.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le député de Saint-Hyacinthe. Donc, nous allons aller maintenant du côté du deuxième groupe formant l’opposition avec le député de Mercier, qui est le nouveau critique en matière de justice.

M. Daniel Turp

M. Turp: Mme la Présidente de la commission, M. le ministre de la Justice, chers collègues de la Commission des institutions, mesdames et messieurs, au nom de l’aile parlementaire du Parti québécois et en particulier de mon collègue le député du Lac-Saint-Jean, que je remercie d’être à mes côtés et qui le sera pendant les travaux de la Commission des institutions, et en ma nouvelle qualité de porte-parole en matière de justice pour ma formation politique ici, à l’Assemblée nationale, j’ai le plaisir de présenter mes remarques préliminaires dans le cadre de ces consultations particulières et de nos auditions publiques sur le projet de loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics, le projet de loi n° 99.

Mme la Présidente, d’entrée de jeu, je tiens à indiquer au ministre de la Justice, que je remercie de ses bonnes paroles, dont j’assure aussi qu’il aura comme vis-à-vis une personne qui le respecte, qui aura à son égard une attitude empreinte de dignité pendant les travaux de nos commissions mais aussi au salon bleu, j’indique donc, d’entrée de jeu, que notre formation politique est d’accord avec le principe du projet de loi et tient à ce que cette commission agisse avec diligence et avec célérité pour que l’adoption de celui-ci se fasse d’ici l’ajournement de nos travaux, en décembre prochain.

n (9 h 50) n

En déposant le projet de loi n° 99, le 13 juin dernier, le ministre a créé des attentes auprès des personnes qui sont, aujourd’hui, victimes ou qui peuvent s’apparenter à des victimes de poursuites-bâillons mais aussi auprès de la communauté des défenseurs des droits et libertés de la personne, et notamment de la liberté d’expression dont il est question dans le titre même de la loi qui est celle que nous examinons aujourd’hui.

Ces attentes, M. le ministre, doivent être satisfaites, et, comme parlementaires, nous avons le devoir d’assumer nos responsabilités pour assurer une protection accrue à cette liberté fondamentale, dont je rappelle qu’elle est enchâssée à l’article 3 de la loi fondamentale qui est la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Nous avons aussi le devoir de contribuer, par cette loi que nous adopterons dans notre Parlement national, à la mise en oeuvre de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Québec s’est déclaré lié au même moment, ou à peu près, où la Charte des droits et libertés de la personne entrait d’ailleurs en vigueur et dont le paragraphe 2 prévoit, et je cite, que «toute personne a droit à la liberté d’expression [et que] ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, [et] par tout autre moyen de son choix». C’est important de rappeler ce qu’est la liberté d’expression au début de nos travaux.

La satisfaction de ces attentes, M. le ministre, chers collègues, ainsi que la volonté de prévenir, pour reprendre le titre du projet de loi, l’utilisation abusive des tribunaux et de favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics, bien le législateur doit avoir le souci, et je crois que nous en entendrons parler notamment par les juristes qui se présenteront devant la commission… Nous avons aussi le souci d’assurer le respect de l’économie générale de notre droit civil et du Code de procédure civile du Québec. D’ailleurs, j’ai mené quelques consultations, avant le début des travaux de notre commission, auprès de spécialistes du droit judiciaire québécois et je crois que nous aurons aussi l’occasion d’entendre des juristes qui nous rappelleront l’importance de respecter les fondements d’un droit civil et d’un droit de la procédure civile qui est, pour le Québec, un facteur de distinction et d’identité.

J’annonce d’ailleurs au ministre mon intention de formuler, de déposer des projets d’amendement visant à améliorer le texte du projet de loi n° 99. D’ores et déjà, je vous indique que l’article qui prévoit un renversement du fardeau de la preuve pourrait être mieux formulé pour assurer que la protection offerte contre les poursuites-bâillons ne soit pas tout simplement illusoire. Je tiens également à ce qu’un débat s’engage avec les groupes et les juristes qui se présenteront devant nous sur les mesures destinées, pour reprendre cette fois-ci les termes du troisième paragraphe du préambule du projet de loi n° 99, et je le cite, à «favoriser l’accès à la justice pour tous les citoyens et de veiller à favoriser un meilleur équilibre dans les forces économiques des parties à une action en justice». La question d’ailleurs de la création d’un fonds destiné à soutenir les groupes contre lesquels des poursuites-bâillons sont intentées, abordée dans le rapport Macdonald-Jutras-Noreau ? je tiens à rappeler que M. Noreau, que nous entendrons, a eu une responsabilité particulière dans la rédaction de ce rapport ? nous allons devoir donc nous intéresser à cette question.

Et je termine, Mme la Présidente, en disant que j’anticipe le plaisir de travailler sous votre présidence et d’entendre les 24 groupes qui se présenteront devant la commission, et j’entends donc contribuer, avec ma formation politique, à l’adoption d’une loi pionnière pour contrer les poursuites-bâillons au Québec. Je vous remercie.

Auditions

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le député de Mercier. Donc, sans plus tarder, nous allons débuter nos audiences. Nous avons devant nous l’Association du Jeune Barreau de Montréal, qui est représentée par son président, Me Philippe-André Tessier. Bienvenue à la Commission des institutions. Je vous rappelle que vous avez 15 minutes au maximum pour nous présenter votre mémoire. Soyez assuré que les parlementaires en ont déjà pris connaissance. Et je vais vous demander, Me Tessier, de nous présenter les personnes qui vous accompagnent, dans l’ordre.

Vous êtes certainement familiers avec nos règles. Si vous voulez prendre la parole après, lors des échanges, vous me faites signe, et je vous nommerai pour qu’on puisse ouvrir votre micro, sinon on perd le début de vos échanges. Donc, c’est juste un petit rappel qui est très important. Et évidemment, par la suite, il y aura des échanges avec chacune des formations politiques. Donc, Me Tessier, la parole est à vous pour 15 minutes.

Association du Jeune Barreau
de Montréal (AJBM)

M. Tessier (Philippe-André): Merci, Mme la Présidente. Merci à tous les membres de la commission, merci à M. le ministre de nous recevoir encore à cette commission, car c’est la deuxième fois déjà cette année que nous prenons la parole devant vous, la dernière fois en mars.

Sans plus tarder, je vous présente les gens qui m’accompagnent: à ma gauche, Me Karine Chênevert, du cabinet Lapointe Rosenstein, qui est une membre de notre Comité de recherche et législation, de l’Association du Jeune Barreau de Montréal; à ma droite, Me Karim Renno, qui est président du Comité de recherche et législation et qui est avocat chez le cabinet Osler, Hoskin & Harcourt; et, à mon extrême droite, Me Antoine Aylwin, qui travaille chez Fasken, Martineau, et qui est premier vice-président de l’association, et qui est destiné à me succéder à la tête de notre association.

Alors, essentiellement, c’est la deuxième fois, comme je le disais, que nous nous présentons devant vous. Le ministre, depuis la dernière fois qu’on s’est vus, a déposé en Chambre un projet de loi, et il nous fait grand plaisir d’ailleurs et on tient, en débutant, on tient à souligner, puis, je pense, comme les parlementaires de l’opposition l’on fait, la célérité avec laquelle le ministre a agi là-dessus. Et donc, pour nous, on trouve ça très important de le souligner. Merci pour ça.

Deuxièmement…

M. Dupuis: Pouvez-vous le répéter puis l’écrire?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Tessier (Philippe-André): Je pense que…

M. Dupuis: Ça ne me fait rien que vous en parliez pendant 15 minutes, là.

La Présidente (Mme Thériault): M. le ministre, je m’excuse, je vais devoir vous rappeler à l’ordre. C’est le 15 minutes du Jeune Barreau. Merci.

M. Dupuis: …

La Présidente (Mme Thériault): Non, c’est parce que je pense que des fois on perd les bonnes habitudes durant l’été. Continuez, Me Tessier, la parole est à vous.

M. Tessier (Philippe-André): Il n’y a pas de problème. Un premier rappel à l’ordre, M. le ministre. C’est dans les galées, de toute façon, alors vous pourrez relire et revisionner maintenant… c’est la beauté de la…

M. Dupuis: …ces choses-là.

M. Tessier (Philippe-André): Très bien. Je tiens également, dans un deuxième temps, à souligner la participation de personnes qui ne sont pas ici, devant vous mais qui ont collaboré également au Comité de recherche et législation, soit Me Michael Schacter, Me Pascal Grimard, Me François-Xavier Robert et Me Samuel Bergeron, sans oublier Me Mathieu Piché-Messier, qui sont des membres de l’association qui ont contribué aux efforts pour produire le mémoire que vous avez devant vous.

Alors, essentiellement, évidemment, ce mémoire parle de poursuites-bâillons, de SLAPP, et je vais laisser Me Renno vous présenter plus en détail notre position à cet égard. Simplement pour vous rappeler que l’Association du Jeune Barreau de Montréal, pour ceux qui ne le sauraient pas, est une association qui célèbre, le mois prochain, son 110e anniversaire, fondée en 1898, à Montréal, sur le campus de l’Université Laval à Montréal. Donc, l’association a énormément évolué. Elle compte plus de 4 000 membres aujourd’hui. Plus de 60 % des membres sont des femmes. La moyenne d’âge est de 25-35 ans. Ça représente tous les avocats de moins de 10 ans de pratique du district de Montréal. Et on est actifs à travers une dizaine de comités, dont le Comité de recherche et législation, qui ont pour but d’organiser tant des activités mais aussi de prendre position sur la place publique sur différents sujets d’intérêt pour les jeunes avocats, et bien évidemment les modifications au Code de procédure civile en sont une.

Je tiens également à souligner le fait que l’Association du Jeune Barreau de Montréal est le fournisseur principal de services pro bono du district de Montréal. On offre, par le biais de nos services de consultation juridique, aux Petites Créances… et, depuis l’année dernière, on a un nouveau service de consultation juridique gratuite à la Commission des relations de travail ainsi qu’à la Régie du logement. Alors, on tend à accroître nos services pro bono qu’on offre à la population. Alors, pour nous, évidemment, l’accès à la justice, ce n’est pas seulement une phrase, c’est un vécu, on a des membres bénévoles, tous les midis, pendant toute l’année judiciaire, qui offrent, qui rencontrent des citoyens et qui les aident à démêler leurs incompréhensions face au système de justice, parce qu’elles sont nombreuses.

Bien évidemment, aujourd’hui, on parle de SLAPP, mais ce que je tiens aussi à vous rappeler, c’est qu’en mars dernier, lorsque nous sommes venus, le processus était la phase II de la réforme du Code de procédure civile, et nous avions également déposé un mémoire à cet égard-là, et là-dessus je rejoins les commentaires également des députés de l’opposition à l’effet que pour nous il demeure essentiel et extrêmement important de faire cette mise à jour, de faire cette révision. Le législateur, dans sa sagesse, en 2002, lorsqu’il avait adopté la réforme, avait dit: Ce serait bon, dans cinq ans, de se requestionner sur ces modifications-là. Alors, là-dessus, si le ministre a la volonté ? et je crois qu’il l’a exprimée publiquement ? vous pouvez compter sur l’Association du Jeune Barreau non seulement pour l’appuyer en ce sens, mais pour venir vous faire des représentations à cet égard-là.

Alors, sans plus tarder, je laisse la parole à Me Renno, qui va vous présenter le fond de notre présentation.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. Tessier. M. Renno.

n (10 heures) n

M. Renno (Karim): Bonjour et merci. D’abord, félicitations, félicitations d’avoir mis sur la table un projet de loi que nous considérons innovateur et nécessaire, et je vous remercie énormément d’avoir été à l’écoute de tous les groupes qui ont comparu devant vous lors de la première consultation, en mars. De toute évidence, à la lecture de ce projet de loi là, vous y avez mis beaucoup de réflexion, vous avez considéré beaucoup de points de vue, et je pense qu’il n’est pas banal que vous ayez réussi à concilier des intérêts qui semblaient à prime abord très difficiles à rapprocher.

Particulièrement, et on vous avait fait la représentation lors de notre première comparution devant vous, nous saluons le fait que vous avez débordé le cadre strict des poursuites-bâillons pour vous attaquer à un fléau qui selon nous est plus large et plus important, qui est l’utilisation abusive des tribunaux. Alors, l’AJBM souligne et salue cet effort-là. On salue cet effort-là parce qu’il est proactif et parce que vous intervenez avant que la problématique soit hors de contrôle, et ça, c’est important. Vous donnez, aujourd’hui, du moins vous visez à donner, aujourd’hui, des outils puissants à la magistrature du Québec, qui est par ailleurs excellente, pour venir garantir qu’il n’y aura pas d’entrave au droit de tout citoyen québécois, tant petit que grand ou gros, de s’adresser aux tribunaux québécois.

Une voix: …

M. Renno (Karim): Non, non, mais je voyais mon président qui me faisait de l’oeil, mais c’est…

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Renno (Karim): Non. Et ça, pour nous c’est d’une importance capitale.

Je fais par ailleurs écho aux propos de mon président en vous disant que ça, c’est une mesure intérimaire, et, aussi excellente soit-elle, elle se doit d’être accompagnée d’une plus grande réforme qui, elle, traitera de l’accessibilité à la justice dans son cadre le plus général et le plus important. Le juge Rolland nous apprenait récemment, dans un texte qu’il a écrit ? le juge en chef de la Cour supérieure du Québec ? qu’il y avait maintenant des délais de grosso modo 24 mois entre la date d’institution des procédures et la date où un justiciable obtenait une date de procès. Ce sont des délais qui ont été de beaucoup amoindris, et je souligne les efforts de la magistrature, et particulièrement du juge Rolland, à cet égard-là. Par ailleurs, nous faisons valoir que c’est encore un délai qui est trop long et que beaucoup d’outils doivent être importés dans notre culture judiciaire et juridique, je dois le souligner, afin de s’assurer qu’on va pouvoir continuer à améliorer ces statistiques-là et en revenir à un niveau où les citoyens québécois vont se sentir à l’aise de s’adresser aux tribunaux pour renverser cette vague-là de diminution de dossiers qui sont ouverts devant les tribunaux.

Alors, comme je vous le disais, nous pensons que c’est un excellent projet de loi. Nous avons par ailleurs des commentaires à formuler bien sûr sur la formulation des paragraphes. Nous vous avons déposé notre mémoire, que nous avons essayé de rendre le plus détaillé possible. Je sais que vous en avez pris connaissance. Il va nous faire plaisir de répondre à vos questions. Essentiellement, nous avons quelques suggestions que je pense importantes et une objection de principe à l’article 54.6 dont il nous fera plaisir de discuter avec vous parce qu’on pense qu’on ouvre là une brèche trop importante dans le droit corporatif québécois, alors que je ne pense pas… bien que nous ne pensons pas que cette brèche-là devrait être ouverte à travers un amendement au Code de procédure civile, et surtout parce que je pense que les autres outils que vous donnez à la magistrature sont puissants et efficaces et assurent l’enraiement du problème que vise l’article 54.6 du projet de loi.

Alors, ce sont, Mme la Présidente, nos remarques introductives, et bien sûr nous sommes à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.

La Présidente (Mme Thériault): Merci beaucoup, Me Renno. Donc, nous allons passer aux échanges avec les parlementaires. Simplement vous rappeler que nous avons 17 minutes à la disposition du groupe formant le gouvernement, 15 minutes pour l’opposition officielle et 13 minutes pour le deuxième groupe d’opposition quand le temps sera venu pour eux d’effectuer les échanges. Donc, sans plus tarder, M. le ministre, vos 17 minutes.

M. Dupuis: Je vous remercie d’abord de vos représentations. Je reconnais le travail important que vous faites en général mais le travail particulier que vous avez fait dans ce dossier-ci. Permettez-moi, avant de venir directement… parce que j’ai une question précise à vous poser, permettez-moi, parce que c’est la seule occasion qui m’est donnée de répondre à des remarques préliminaires qui ont été faites très succinctement, permettez-moi d’offrir au député de Mercier, s’il a des… Parce que la commission actuellement va entendre des groupes. Ce n’est pas un article par article. Si vous étiez assez gentil de nous communiquer vos propositions d’amendement. J’ai dit, moi, depuis un certain temps déjà que je ne considérais pas ce projet de loi là comme étant un projet de loi qu’on qualifiera de partisan, pour les fins de la discussion. Je pense qu’il est dans l’intérêt public qu’on puisse étudier ce dossier-là avec toute la sérénité possible. Donc, si vous pouviez déposer ou… pas déposer, là, mais nous donner vos amendements, qu’on puisse en discuter avec vous. Moi, je m’engage à en discuter avec les députés de l’opposition avant qu’on vienne à l’étude article par article, ça pourra peut-être accélérer les travaux. Donc, sentez-vous libre de nous donner vos amendements.

Au député de Saint-Hyacinthe, et là je vais répondre à une remarque de Me Tessier et de Me Renno sur le Code de procédure civile, j’ai annoncé au congrès du Barreau de cette année que je souhaitais que la Table Québec Justice Magistrature revive pour l’un de ses mandats, et le mandat le plus important qui va être donné à la table, ça va être de faire toute la révision du Code de procédure civile pour le rendre ? moi, j’ai employé l’expression au congrès du Barreau ? pour le rendre moderne. Et vous avez déjà fait des représentations en commission parlementaire, le Jeune Barreau, sur tous les moyens technologiques qui ont été améliorés dans les dernières années et que le code ne reconnaît pas au sens juridique du terme, vous avez fait des remarques, et ces remarques-là m’ont impressionné, et je pense qu’il est temps qu’on revoie le Code de procédure civile et qu’on fasse un code de procédure civile qui soit réaliste par rapport aux situations qui existent actuellement, des espèces de… tu sais, les requêtes qu’on fait de façon écrite, qui pourraient être faites par téléphone, des choses comme ça, mais aller aussi au coeur du contenu du Code de procédure civile.

Je veux vous rassurer là-dessus, je veux rassurer le député de Saint-Hyacinthe, la première réunion de la table, qui va commencer à travailler ce chantier-là, sera fixée incessamment. Je m’engage, moi, à ce que vous soyez consultés, le Jeune Barreau de Montréal, parce que vous avez fait des travaux importants. Vous serez consultés. Et préparez vos remarques, préparez vos représentations, vous serez consultés, et vos représentations seront considérées; pas seulement consultés, mais vous serez considérés. Et, moi, c’est un travail beaucoup plus large évidemment que ce que nous allons faire dans cette commission-là, mais je m’y suis engagé. Et évidemment, si le premier ministre me prête vie et si la population nous prête vie aussi, c’est un dossier que j’entends mener à bon port.

Je veux aussi vous féliciter parce que vous êtes, jusqu’à un certain point, les ancêtres… Là, je vais exagérer un petit peu, mais, puisque vous avez exagéré vous-mêmes, dans vos représentations, par vos compliments que vous m’avez faits, vous me le pardonnerez, mais vous êtes un peu les ancêtres de l’aide juridique, hein, avec tout le pro bono que vous effectuez auprès des clientèles qui sont plus défavorisées. Je reconnais publiquement l’apport que vous avez dans la société québécoise, et c’est tout à votre honneur de continuer à donner des services pro bono aux gens qui en ont besoin. Alors, je vous remercie.

J’aimerais vous entendre sur… Me Renno, j’imagine, j’aimerais beaucoup vous entendre sur la responsabilité des administrateurs. La responsabilité des administrateurs, ça existe dans le Code civil. La décision n’est pas encore prise de bouger dans ce sens-là, sur la responsabilité des administrateurs, mais j’aimerais beaucoup vous entendre, j’aimerais entendre vos objections sur cette question-là.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Me Renno.

M. Renno (Karim): Merci beaucoup, M. le ministre. La problématique du paiement des honoraires judiciaires et, à certains égards, extrajudiciaires se pose dans le contexte suivant: lorsque vous avez un résident étranger, que ce soit une compagnie ou une personne individuelle, ce n’est pas un problème. L’article 55, 152, 65 de notre code prévoit déjà le cautionnement pour frais. Alors ça, ces problèmes-là sont réglés. Là où on a une problématique en ce moment au Québec, c’est qu’il y a des gens très ingénieux qui incorporent une compagnie au Québec, que je qualifierais de coquille vide, pour instituer les procédures, et, lorsque cette compagnie-là perd sa cause, bien il n’y a personne pour payer les honoraires, et ça cause des problèmes énormes. Et, moi, quand je lis votre projet de loi, je vois que vous vous attaquez à cette réalité-là et je vous en félicite.

Par ailleurs, vous avez déjà ce qui est en ce moment l’article 54.4.1° et 54.4.2° qui donne des outils puissants à la magistrature pour contrer ce problème-là, c’est-à-dire la possibilité d’ordonner à une compagnie même québécoise de fournir un cautionnement pour frais lorsque ça sent l’abus ? puis on va y revenir un peu, tout à l’heure, sur la définition d’«abus» ? et ça, pour nous c’est un outil qui règle complètement le problème.

Par ailleurs, lorsque je regarde l’inverse, je vous dirais que, même si le principe de la responsabilité des administrateurs est intéressant, vous venez créer une nouvelle exception à la responsabilité limitée des administrateurs et à la tenue du voile corporatif. C’est problématique pour nous d’abord parce qu’on pense que toute réforme qui devrait avoir lieu dans ce cadre-là devrait passer par les lois, ce que j’appelle les lois corporatives, c’est-à-dire tant le Code civil du Québec que la Loi sur les compagnies, et ensuite parce que l’impact pratique de ça va être selon nous drastique. Je pense, entre autres, à l’assurance ? et là je m’excuse d’utiliser un anglicisme ? ce qu’on appelle le «DNO insurance». L’assurance des administrateurs va devenir selon nous beaucoup plus coûteuse. Ça va être très difficile pour des compagnies, particulièrement les PME, d’aller recruter des bons administrateurs qui vont vouloir prendre ce risque-là ? et je le mets entre guillemets.

n (10 h 10) n

Il y a beaucoup de PME qui se doivent d’utiliser régulièrement les tribunaux pour faire valoir leurs droits, et je ne voudrais pas et l’Association du Jeune Barreau ne voudrait pas qu’il y ait des compagnies qui hésitent à aller devant les tribunaux pour faire valoir leurs droits tout simplement parce que leurs administrateurs deviendraient, et j’utilise le mot entre guillemets, là, frileux. Et c’est pour ça, tant parce qu’on n’en voit pas la nécessité absolue et parce qu’on pense que ça pourrait avoir un impact refroidissant sur la population de s’adresser aux tribunaux, qu’on est contre cette proposition-là. Et je peux vous dire qu’on en a discuté avec plusieurs intervenants du milieu des affaires, et particulièrement des gens qui travaillent dans des PME, et pour eux ce sont des préoccupations importantes. Je pense que vous allez entendre la fédération de la chambre de commerce et je sais qu’ils vont vous faire également cette représentation-là. Alors, c’est spécifiquement pour ces raisons-là qu’on s’oppose à l’article 54.6.

La Présidente (Mme Thériault): M. le ministre.

M. Dupuis: Je vous assure que la décision n’est pas prise, mais c’est sûr qu’on a une réflexion importante sur ce sujet-là.

Ma réaction à ce que vous dites est de deux ordres. Le premier ordre, c’est: il y a déjà une responsabilité qui est prévue pour les administrateurs au Code civil, et ça n’a pas empêché les compagnies de se pourvoir devant les tribunaux. Ce n’est pas mon argument le plus fort, mais je voudrais quand même qu’on échange là-dessus. La deuxième chose, c’est qu’évidemment la responsabilité des administrateurs est envisagée en regard de la possibilité qu’il y ait une demande et que le juge accorde des dommages-intérêts mais des dommages-intérêts punitifs aussi au moment de rendre son jugement. Et, dans le cas évidemment où il déciderait, le juge, de rendre une ordonnance de paiement de dommages punitifs, par exemple, c’est évidemment un cas où la poursuite était plus que manifestement abusive, si vous voulez, là, c’est presque de la mauvaise foi, pour employer un langage que les gens peuvent comprendre. Alors, c’est ça un petit peu, le raisonnement qui nous fait réfléchir à cette question-là.

Et évidemment il y a aussi tout l’aspect du fait que, si on donne la possibilité que les administrateurs soient responsables conjointement et solidairement avec la compagnie, il y a là… au moment de la prise de décision, au conseil d’administration, d’intenter une poursuite contre une personne qui aurait eu des propos, il va y avoir une réflexion qui va se faire au conseil d’administration, et c’est ça qu’on souhaite, toujours en ayant en tête la liberté d’expression, première chose. La deuxième, c’est: évidemment, l’administrateur qui aurait voté contre l’idée de prendre une poursuite aura toujours une défense devant le tribunal pour ne pas être…

Alors, il y a ces réflexions-là. J’aimerais juste vous entendre sur ces quelques remarques là. Malheureusement, le temps qui nous est donné n’est pas très long, mais on pourra avoir d’autres discussions là-dessus.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Me Renno, vous avez huit minutes.

M. Renno (Karim): Oui. Je vais vous répondre brièvement et ensuite je vais donner la parole à mon collègue, Me Aylwin, également.

L’objectif est tout à fait louable. Pour nous, par ailleurs, les obstacles pratiques sont assez importants. Je vous en donne un autre, par exemple: un administrateur qui veut prouver à la cour que sa décision a été prise de toute bonne foi devrait, dans plusieurs cas, être obligé de justifier les communications qu’il a eues avec le procureur de la compagnie, et ça pourrait être difficile pour lui, tout en respectant le secret professionnel et en ne voulant pas lever ce secret-là ou y renoncer, de venir montrer à un juge que sa démarche a été prise en toute bonne foi. Parce qu’habituellement ces administrateurs-là prennent leurs décisions sur les conseils de leurs conseillers juridiques, et ça, pour nous, pratiquement parlant, c’est difficile.

L’autre difficulté, c’est que votre…

M. Dupuis: On peut-u arrêter une seconde?

M. Renno (Karim): Oui.

M. Dupuis: Est-ce que le fait de relever… Parce que, moi aussi, je pense que, jusqu’à un certain point, pour être capable de produire sa défense, il devra relever son procureur du secret professionnel. Est-ce que le fait de relever son procureur du secret professionnel a un effet sur les discussions qui ont lieu au conseil d’administration en général ou il y aurait un effet strictement à l’égard des conversations que cet administrateur a eues avec son procureur? Avez-vous une opinion là-dessus?

La Présidente (Mme Thériault): Me Renno.

M. Renno (Karim): Je pense qu’il va être difficile de créer un vase clos, parce que l’administrateur, pour se justifier et se défendre, va vouloir donner à un juge le contexte complet de sa prise de décision, et ce contexte-là implique nécessairement les conseils qu’il a reçus de ses aviseurs légaux. Alors, c’est pour ça.

L’autre chose, une des forces de votre projet de loi, c’est que le processus est simple, direct, rapide. On ne crée pas d’embourbement dans le système. Alors, cette mesure-là pourrait créer des embourbements également. Je pense que vous auriez besoin de longues auditions pour déterminer si l’administrateur était de bonne foi ou pas.

M. Dupuis: Alors, très bien. Si je me rendais à vos arguments, dans votre opinion, est-ce que j’attache le dossier à ce point où on ne sera pas capable d’apporter un remède s’il devait y avoir une poursuite abusive, parce qu’on n’aura pas rendu les administrateurs responsables conjointement et solidairement? Vous comprenez?

M. Renno (Karim): Je ne pense pas, pour deux raisons: d’abord, parce qu’il y a 54.4 qui donne des outils très puissants, et ensuite parce qu’il y a déjà de la jurisprudence qu’on a citée dans notre mémoire, où les tribunaux québécois ont dit: En cas d’abus, je vais lever le voile corporatif et je vais aller attacher la responsabilité aux actionnaires. Et il y a également, comme vous en faisiez part, les principes de responsabilité des administrateurs. S’ils n’agissent pas de bonne foi, il y a des remèdes qui sont déjà prévus au Code civil.

M. Dupuis: Alors, dans le fond, ce que vous me dites, c’est… Est-ce que je dois comprendre que ce que vous me dites, c’est: s’il devait de toute façon être révélé par la preuve qu’il y a un abus manifeste ? parlons de mauvaise foi, là, un «abus manifeste» dans le sens de «mauvaise foi» ? de toute façon les dispositions qui existent actuellement dans le droit substantif viendraient permettre qu’on puisse rendre les administrateurs conjointement et solidairement responsables? Est-ce que c’est ce que vous dites, Me Renno?

M. Renno (Karim): Je vais laisser Me Aylwin…

M. Dupuis: Allez-y, oui.

La Présidente (Mme Thériault): Me Aylwin.

M. Aylwin (Antoine): J’attends ma petite lumière. Merci. Il y a un élément qui manque et qui est problématique, nous, dans 54.6, c’est l’absence de preuve de faute. On n’a pas besoin de démontrer la faute d’un administrateur pour qu’il soit responsable, et ça, ça nous cause problème. La jurisprudence qui a été développée, puis ça remonte à Banque Nationale contre Houle, est basée sur le concept de faute de l’administrateur, et là on se retrouverait dans une situation où la poursuite comme telle serait abusive, et on aurait un administrateur qui n’aurait pas commis de faute, qui serait condamné à des dommages-intérêts punitifs. On ne pense pas qu’on a besoin de ce remède-là. Pour régler le problème des poursuites abusives, vos solutions, vous les avez déjà mises, et elles sont suffisantes, dans les articles qui sont antérieurs.

M. Tessier (Philippe-André): Si je peux me permettre…

La Présidente (Mme Thériault): Oui, Me Tessier.

M. Tessier (Philippe-André): …un court commentaire là-dessus également, M. le ministre. Une des choses, puis je rejoins Me Renno là-dessus, ce qu’on aime du projet puis ce qu’on a dit dans notre mémoire: il est concis, il est clair, on sait où est-ce que vous allez. Et ce que, nous, on vous recommande là-dedans, si on essaie de voir les éléments qui pourraient accrocher, les bouts qui pourraient prendre dans le tapis, comme on dit… Donc, on veut essayer d’enlever ça, et ça, c’en est un, on l’a clairement identifié.

Et de deux, au niveau de la stigmatisation, lorsqu’on lit le projet de loi puis qu’on voit cet article-là, ça traite des poursuites abusives, puis là-dessus, vous le savez, en mars, on est venus vous dire: Les poursuites abusives, il y en a des personnes morales, des fois c’est des personnes physiques, Là, c’est comme si on disait en partant: En passant, les personnes morales ont plus tendance… puis on stigmatise, et je pense que ça, ça va ralentir votre projet de loi et ça va lui nuire. Alors, c’est pour ça qu’on vous fait cette recommandation-là également.

M. Dupuis: O.K.

La Présidente (Mme Thériault): M. le ministre.

M. Dupuis: Bien, écoutez, c’est cette question-là que je voulais discuter particulièrement avec vous ce matin. Si vous avez d’autres représentations à faire sur ce sujet-là en particulier, n’hésitez pas à les faire parvenir au cabinet. La décision n’est pas prise, mais ce que je peux vous dire ce matin, c’est que vous me et vous nous… Là, le nous, il n’est pas papal, là, c’est nous, je ne me prends pas pour le pape.

Une voix: Il n’est pas dans sa bulle.

M. Dupuis: Non, non, je ne suis pas dans ma bulle, effectivement. Vos propos sont extrêmement intéressants sur cette question-là, très intéressants. Ils vont être considérés.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Me Chênevert.

Mme Chênevert (Karine): Si je peux me permettre de rajouter à ce que mes collègues ont dit, l’ensemble des outils qui sont donnés dans le cadre du projet de loi sont essentiellement des outils procéduraux et, comme l’a dit mon collègue Me Renno, des outils puissants qui sont donnés aux tribunaux. Alors là, avec cet article-là, c’est le seul article de droit substantif où on fait une modification majeure à la règle générale des responsabilités des administrateurs. Donc, si modification doit être faite, elle devrait l’être au niveau du Code civil ou des outils qui prévoient la responsabilité des administrateurs et non pas dans ce projet de loi là.

La Présidente (Mme Thériault): Merci.

M. Dupuis: Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Thériault): J’ai Me Aylwin qui veut intervenir.

M. Aylwin (Antoine): Oui, juste une dernière chose. Le deuxième alinéa, nous, de 54.6, c’est une tout autre question, puis je ne veux pas qu’on jette le bébé avec l’eau du bain, là. Quant à nous, ça devrait être un autre article et un autre sujet. Nos représentations sont seulement sur le premier alinéa de 54.6.

La Présidente (Mme Thériault): C’est beau? M. le ministre.

M. Dupuis: Merci. C’est tout pour moi.

La Présidente (Mme Thériault): C’est tout?

M. Dupuis: Oui.

n (10 h 20) n

La Présidente (Mme Thériault): Parfait. Merci. Nous allons aller maintenant du côté de l’opposition officielle. M. le député de Saint-Hyacinthe, vous avez 15 minutes à votre disposition.

M. L’Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Alors, je salue tous les représentants du Jeune Barreau.

Une question d’intérêt public. J’ai peut-être manqué un point. Vous dites que vous rendez des services aux Petites Créances. En fait, vous agissez à titre d’avocats-conseils, et ensuite… C’est Commission des relations du travail, et l’autre organisme…

M. Tessier (Philippe-André): La Régie du… Pardon.

La Présidente (Mme Thériault): Allez-y, Me Tessier.

M. Tessier (Philippe-André): La Régie du logement.

M. L’Écuyer: La Régie du logement.

M. Tessier (Philippe-André): Pour ce qui est de la Commission des relations de travail, c’est depuis décembre dernier. Pour ce qui est de la Régie du logement, c’est depuis juin dernier. C’est un nouveau projet, là, qui vient juste d’être mis en place.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député.

M. L’Écuyer: Alors, je vous en félicite. Souvent des gens viennent dans nos bureaux et souvent ils ont cette problématique-là, surtout en ce qui concerne la Régie du logement, ils se sentent des fois laissés à eux-mêmes avant de procéder dans leurs dossiers.

Alors, si je reviens à votre mémoire, je vous félicite, c’est quand même un mémoire qui est quand même… À la lecture, on voit qu’il y a eu des réflexions juridiques. Et je me dois de dire aussi, avant de commencer à discuter: Simplement, au sujet de ce que j’ai parlé, de l’amendement, et plus particulièrement M. le ministre qui nous parle de la table de consultation, j’en suis fort aise, mais d’un autre côté, depuis un certain temps, le 180 jours, c’est un irritant qui pourrait se corriger assez rapidement et c’est une chose qui a fait presque l’unanimité de tous les intervenants dans le monde juridique. C’est bien de consulter.

Et aussi je profite de l’occasion pour un souhait d’avenir, s’il y avait une possibilité qu’on puisse se rencontrer régulièrement en commission parlementaire pour faire des amendements au Code de procédure civile ou au Code civil, un peu comme on a la même chose avec la Loi des cités et villes. À tous les ans ou à tous les deux ans, il pourrait y avoir comme un bill omnibus, un projet de loi omnibus qui viendrait corriger certaines interventions qui sont nécessaires pour améliorer le système judiciaire.

En ce qui concerne votre… en fait le projet de loi n° 99, le 75.1, si vous regardez les recommandations du comité Macdonald, eux favorisaient une approche en modifiant 75.1. Alors, je suis un peu surpris de voir que, dans le projet de loi, on modifie 54 et suivants. Alors, est-ce que vous avez une réflexion à savoir pourquoi ne pas être resté dans le champ du 75.1 et modifier ces articles-là, qui étaient quand même des articles qui étaient dans le Code de procédure civile concernant les règles applicables à toute demande en justice? Et 75.1, concernant une… après interrogatoire, on est en mesure de vérifier si cette procédure-là était fondée ou pas, aidée du 165.1.

On va parler, premièrement, du 75.1. Maintenant, c’est rendu 54.1. Alors, 75, ma question est la suivante: Alors qu’on connaissait toute la jurisprudence et aussi toutes les assises de 75.1, Des actions et procédures manifestement mal fondées ou frivoles, alors on aurait pu simplement l’amender en disant «Des actions et procédures manifestement mal fondées, ou frivoles, ou abusives» et modifier 75, tel que recommandait le rapport Macdonald. Il est certain qu’on a la substance ici, dans le 54, dans les articles, mais on ne le retrouve pas au même chapitre. Est-ce que vous avez fait une réflexion au sujet de cette avenue-là?

La Présidente (Mme Thériault): Me Renno.

M. Renno (Karim): Merci, M. le député. Je pense que nous avons vu l’article 54.1 comme étant l’expression de la volonté du législateur de partir avec une page blanche et de créer littéralement, là, un mécanisme pour traiter des procédures abusives. Je pense qu’il aurait certainement été possible d’amender l’article 75.1. Par ailleurs, je vous dirais, je fais écho à nos propos qui appuyaient les recommandations du rapport Macdonald mais qui disaient: Allons plus loin. Les amendements à l’article 75.1 auraient dû être assez majeurs, entre autres parce qu’on ne voulait pas limiter le champ d’action de cet article-là dans le temps. Alors, on voulait que ça se prolonge jusqu’au procès, jusqu’au jugement final, on ne voulait pas que ce soit lié à la tenue d’un interrogatoire. Alors, il y a plusieurs points comme ça.

Alors, de toute évidence, vous avez raison, on aurait pu procéder par amendement de l’article 75.1. Nous, ça ne fait pas une grosse différence pratique. Notre seule représentation à l’égard de 75.1, c’est qu’on ne peut pas abroger l’article au complet parce qu’il reste toujours cette question-là d’une partie qui refuse de se soumettre à un interrogatoire, qui n’est pas couverte dans les articles 54.1 à 54.6 et qui doit selon nous demeurer. Alors, pour nous, il y a au moins une partie de l’article 75.1 qui doit demeurer en vigueur.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L’Écuyer: À ce sujet-là, le fait qu’il se retrouve dans un autre chapitre au lieu du chapitre Des actions… en fait, concernant les règles générales, Des actions et procédures manifestement mal fondées ou frivoles, et qu’il se retrouve dans les Règles applicables à toute demande en justice, est-ce que… Parce que, dans l’autre, on voit simplement Pouvoir de punir pour outrage, à la section III du chapitre en question. Vous ne croyez pas qu’effectivement ça aurait pu être une possibilité d’accentuer davantage, que toute procédure, de quelque nature que ce soit… On sait qu’on parle devant… Le Code de procédure civile s’applique à l’ensemble des instances. Alors, vous ne croyez pas que ça aurait été plus sage de l’intégrer dans le chapitre… en fait dans le chapitre I du titre III?

La Présidente (Mme Thériault): Me Tessier? Non? Me Chênevert.

Mme Chênevert (Karine): Me Chênevert. En fait, je vais me permettre de répondre. Un peu comme Me Renno le mentionnait, ce chapitre-là a été inséré comme étant une page nouvelle qu’on insère. Effectivement, on mentionne dans nos commentaires qu’on désire que les règles en matière de procédure abusive s’appliquent sur toute requête qui soit faite et non pas uniquement sur la requête introductive d’instance.

Peut-être juste une petite parenthèse. L’article 75.1, de la manière qu’il était libellé, mentionnait surtout au niveau… après un interrogatoire. Donc, on pouvait faire déclarer une procédure abusive après la tenue d’un interrogatoire. Considérant la manière que c’est libellé et qu’on propose que les procédures puissent être déclarées abusives en tout temps, en toute instance, donc quant à nous c’est logique qu’une page nouvelle soit ouverte. Ceci dit, encore une fois, c’est au niveau de la logistique, ça aurait pu être inséré peut-être à un autre chapitre du code. Mais, sur ce point-là, je ne crois pas qu’on ait d’objection, de la façon que le projet de loi est proposé.

M. L’Écuyer: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Me Renno.

M. Renno (Karim): Si vous me permettez, M. le député, je voudrais juste ajouter un autre élément. Je pense aussi qu’il y a un autre élément à ça. Je pense qu’il aurait été un peu confus de prendre la vieille jurisprudence sur 75.1 et l’appliquer au nouvel article 75.1, qui serait selon nous radicalement différent. Alors, il y a peut-être cette dynamique-là qui vient jouer également. Je pense que ce sont deux articles qui visent des réalités différentes, et c’est pour ça qu’on applaudit votre initiative de l’élargir. Je comprends par ailleurs vos commentaires, et ça aurait certainement pu être une possibilité qui aurait été envisagée, peut-être rajouter des 75.3 et suivants pour qu’on demeure dans le même chapitre, là. Peut-être que ça aurait rajouté beaucoup de clarté. Mais en toute honnêteté je vais vous avouer qu’on ne s’était pas posé la question du placement stratégique de ces articles-là dans le Code de procédure civile.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L’Écuyer: Mme la Présidente, aussi je vois dans votre mémoire que vous demandez de retirer les mots «et même d’office», ce que je considère quand même assez puissant. Lorsqu’on a dans un projet de loi qu’un tribunal peut, et même d’office… «peuvent à tout moment, [...] et même d’office, déclarer ? je lis l’article 54.1 ? qu’une demande en justice ou un acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive», habituellement, lorsqu’on voit «et même d’office», ça veut dire au plaideur: ça fait peur. Ça fait peur aussi aux parties parce que le tribunal peut être sensibilisé et s’apercevoir lui-même… parce qu’il y a quand même, au niveau de l’interprétation, tout le côté juridique au niveau de l’interprétation de la loi mais aussi l’évaluation du tribunal, l’évaluation de la crédibilité, et je pense que j’ai… En fait, j’aimerais ça que vous nous éclairiez davantage lorsque vous nous suggérez de retirer les mots «et même d’office» à l’article 54.1.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Me Aylwin.

M. Aylwin (Antoine): Oui. La question d’«et même d’office», initialement, dans le Code de procédure civile ou dans d’autres lois, quand c’est utilisé, c’est pour parer des conséquences qui sont très graves et pour lesquelles il n’y a pas d’autre remède. Ici, ce qu’on a peur: étant donné les conséquences qui vont avec une déclaration de caractère abusif, on ne pourrait pas prendre de court une partie sans que ce soit argumenté, que ce soit présenté. Une partie qui fait face aux potentielles ordonnances qui sont à 54.4, là, dans le projet de loi actuellement devrait avoir l’occasion de débattre de son point de vue. Et, si le tribunal peut le décider lui-même sans entendre les parties, c’est là où, nous, ça nous cause un problème, parce qu’avec les conséquences qui viennent avec une telle déclaration il faut le moindrement que les parties aient la chance de faire valoir leurs préoccupations tant sur la déclaration du caractère abusif que sur les conséquences qui vont être amenées. Puis, nous, on pensait que, de la manière dont c’était amené, ça pourrait réduire ces possibilités-là. Et de toute façon, une partie qui pense faire face à des procédures qui ont un caractère abusif, on pense qu’elle va le soulever. On n’a pas de crainte à l’effet que le tribunal a nécessairement le besoin d’avoir le pouvoir d’intervenir pour qu’une partie le soulève.

n (10 h 30) n

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Aylwin.

M. Dupuis: Est-ce que je peux avoir le consentement pour intervenir, M. le député, sur cette question-là? Est-ce que je peux avoir le consentement? C’est tellement une matière…

Dans le fond, vous constatez que, dans nos dispositions, on donne évidemment beaucoup de pouvoir au juge. Bon. Maintenant, le juge, pour déclarer d’office qu’une poursuite lui apparaît abusive, il est en salle, l’instance est commencée, il est en salle, il a les parties devant lui, il m’apparaît évident que les parties pourront faire des représentations. Tu sais, il n’est pas question que le juge décide d’office, rende un jugement, puis personne ne s’exprime. Je voulais juste que ce soit clarifié.

Mais c’est une matière qui est tellement importante! S’il devait y avoir un… Si le juge le déclare d’office, là, entre vous et moi, ça va tellement être évident que c’est un abus, puis les parties pourront s’exprimer. En tout cas, je m’excuse, M. le député de Saint-Hyacinthe, d’être intervenu, mais je pense que c’est une partie importante.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le ministre.

M. Dupuis: Est-ce que ça change… Est-ce que ça pourrait changer votre opinion? C’est ça, la question.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le ministre. J’ai Me Tessier qui veut s’exprimer.

M. Tessier (Philippe-André): Oui. En réponse, là, à la double question, écoutez, le deuxième élément de ce que Me Aylwin a soulevé devant vous, je pense que c’est ça qui est le fondement de notre réponse par rapport à ça, c’est la question à savoir: le mot «d’office», là, effectivement, oui, il peut y avoir audition. Il y a un premier ministre qui l’a rendu célèbre, audi alteram partem. Mais la question que je vous dis, c’est qu’on parle ici…

M. Dupuis: Il était chef de l’opposition, hein?

La Présidente (Mme Thériault): M. le ministre. M. le ministre. M. le ministre, s’il vous plaît.

M. Tessier (Philippe-André): Je ne voulais pas créer d’incident diplomatique ici, là.

M. Dupuis: J’avoue que ça arrive qu’on fasse de la restriction mentale.

La Présidente (Mme Thériault): Oui. S’il vous plaît! S’il vous plaît, on va laisser Me Tessier terminer son intervention.

M. Tessier (Philippe-André): Essentiellement, ce qu’on vous dit, c’est que votre projet de loi, ça parle de poursuites abusives, donc il y a nécessairement une partie qui va s’en plaindre. S’il n’y a aucune des deux parties qui s’en plaint, le juge, d’office, va regarder le dossier puis va dire: Il n’y a ni la défense… Je veux dire, je pense à des cas de poursuite-bâillon, de poursuite abusive. Une partie qui est victime d’une telle poursuite ne le soulèverait pas? J’essaie de voir dans quel… Bien, j’essaie de voir. Moi, je suis une partie, je suis victime d’une poursuite-bâillon, puis je n’en parlerais pas, puis j’ai des outils qui sont à ma disposition dans le Code de procédure civile pour m’aider? C’est juste ça que je vous dis. Bon, trop fort ne casse pas, mais est-ce vraiment nécessaire?

La Présidente (Mme Thériault): Je m’excuse, il reste exactement une 1 min 30 s à l’échange, 1 min 30 s, question, réponse.

M. L’Écuyer: Je ne peux pas avoir un peu plus de temps à cause…

La Présidente (Mme Thériault): Non, 1 min 30 s.

M. L’Écuyer: On empiète sur mon temps.

La Présidente (Mme Thériault): Et il vous reste 1 min 15 s.

M. L’Écuyer: Sur cette question-là, vous conclurez avec moi ou vous admettrez avec moi, que, lorsqu’un tribunal a la possibilité d’agir avec ce pouvoir-là, même d’office, il a un très grand pouvoir. Et vous admettrez aussi avec moi qu’effectivement le juge, constatant qu’il y a abus ou possiblement abus de procédure ? parce que l’éventail est beaucoup plus large que concernant une poursuite stratégique contre la mobilisation publique; qu’il y a abus de procédure ? pourrait, un peu comme dans le cadre de 75.1, demander… en fait, à l’intérieur de ce débat-là, faire un débat à savoir si effectivement il pourrait entendre les parties. Je pense que ça va de soi qu’il devrait entendre les parties, sinon tout juge qui siège à quelque tribunal que ce soit sait pertinemment que son jugement pourrait faire l’objet d’un appel et être cassé à cause de la règle fondamentale de toute personne… la règle d’audi alteram partem. Ça, ça va de soi.

Mais rapidement, parce que le temps…

La Présidente (Mme Thériault): 30 secondes.

M. L’Écuyer: …vous vous êtes prononcés sur la définition qui… Vous n’avez pas eu de commentaire au sujet de la définition de 54.1, au deuxième paragraphe. Simplement me dire en terminant si vous êtes d’accord avec cette définition-là.

La Présidente (Mme Thériault): Et vous avez 10 secondes pour le faire.

M. Renno (Karim): Bien, très brièvement, on était satisfaits de la définition qui était proposée à l’article 54.1, deuxième paragraphe. Elle ne nous causait pas de problème.

Et je prends les cinq dernières secondes pour vous dire qu’avec le caveat que vous amenez et que M. le ministre amène le mot «d’office» ne nous poserait pas de problème s’il y avait la garantie d’une audition. Ce qu’on veut éviter, c’est le cauchemar de tout plaideur de plaider un procès où la question ne se soulèverait pas, d’être assis dans notre bureau six mois plus tard, de recevoir un jugement dans lequel le juge déclare une procédure abusive. Alors, avec le caveat que vous apportez, c’est certain que le Jeune Barreau serait très confortable avec la formulation.

La Présidente (Mme Thériault): Merci.

Des voix: …

La Présidente (Mme Thériault): Vous avez terminé. Non, vous avez terminé, M. le député, vous avez dépassé de 30 secondes déjà.

Une voix: …

La Présidente (Mme Thériault): Non, vous n’avez pas la parole. M. le député, vous n’avez pas la parole, vous avez dépassé de 30 secondes.

M. Dupuis: Bien, regarde, je vais faire une chose. Je consens, je consens…

La Présidente (Mme Thériault): M. le ministre. M. le ministre. M. le ministre.

M. Dupuis: …Mme la Présidente, avec votre permission…

La Présidente (Mme Thériault): Non, vous n’avez pas la parole non plus. Je m’excuse, je dois gérer les temps de parole. Je vais vous demander de revenir…

M. Dupuis: …je consens que vous preniez du temps sur mon prochain temps.

La Présidente (Mme Thériault): Je vais vous demander de revenir aux bonnes habitudes que vous aviez prises tout au long de l’année et de me laisser diriger les travaux.

Et maintenant nous en sommes rendus au temps du député de Mercier. Donc, M. le député de Mercier, vous avez 13 minutes devant vous.

M. Turp: Ah! Mme la Présidente, j’apprécie votre rigueur et votre discipline. J’espère qu’elle continuera pendant tous ces travaux. J’en suis convaincu.

D’ailleurs, moi, je commence par dire: Le ministre a dit que, je ne sais pas, la suite des choses dépendait du fait que le premier ministre lui prête vie ou prête vie… Alors, j’espère que nos travaux pourront continuer jusqu’au 22 octobre, c’est la dernière séance qui est prévue pour nos consultations, parce qu’il me semble que flotte dans l’air l’idée que, peut-être le 22 octobre, on déclencherait des élections pour le 24 novembre. C’est ça? Mais en tout cas je ne sais pas, c’est vous qui êtes dans le secret des dieux. Mais peut-être même pas, hein?

M. Dupuis: Je suggère au député de prendre son café, ça va le réveiller.

M. Turp: Ha, ha, ha! Je prends mon café, je prends mon café.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Allez-y, continuez votre intervention.

M. Turp: Alors, j’espère qu’on pourra poursuivre et terminer, compléter les travaux de cette commission, ces auditions sur le projet de loi n° 99.

Et je vous remercie pour ces suggestions d’amélioration du projet de loi. Vous formulez huit recommandations très précises, et je pense qu’il vaudra la peine de les examiner les unes et les autres. Et ça commence bien, là, notre débat parce qu’une des choses que le ministre a dites, qui me préoccupent en particulier, c’est d’assurer que cette loi-là, c’est une loi à caractère dissuasif, hein? Je crois que c’est ça. Assurer la protection de la liberté d’expression dans le contexte des poursuites-bâillons, c’est le faire en évitant ou en créant de la dissuasion par un projet de loi.

Et j’en viens à dire que l’article sur la responsabilité de l’administrateur que vous voulez voir abroger, là, disparaître, bien avec sa disparition disparaît la dissuasion, et je crois qu’il faut aussi être préoccupé de cette dimension parce que c’est les administrateurs qui sont derrière les personnes morales, c’est les administrateurs qui décident s’il va y avoir une poursuite-bâillon ou non.

Et là c’est assez curieux que vous évoquiez la question des assurances, parce que les poursuites-bâillons, vous le savez comme moi, ça a des impacts aussi sur les assurances des victimes des poursuites-bâillons, ceux qui s’apparentent ou ceux qui prétendent être victimes de poursuites-bâillons. Alors, l’argument des assurances, c’est un argument à double tranchant parce que les décisions des administrateurs qui pourraient leur poser des problèmes d’assurances de faire une poursuite-bâillon, bien leurs décisions de faire des poursuites ont des impacts sur les assurances des victimes, entre guillemets.

Alors, de deux choses l’une: on continue de réfléchir si cette disposition devrait plutôt aller dans le Code civil, parce que c’est une question de droit substantif, puis notre loi, elle peut aussi amender le Code civil… Est-ce qu’il faut y ajouter la notion de faute que vous évoquez? Mais je crois que le débat de fond va être: Est-ce que cette disposition est nécessaire dans l’espèce d’appareil de dissuasion que doit contenir ce projet de loi n° 99? Alors, peut-être que vous voudrez réagir à ça, mais je crois que le débat est bien lancé sur cette question de la responsabilité de l’administrateur.

Je veux revenir sur la question d’«office» parce que cette question est aussi soulevée par les spécialistes de droit judiciaire, qui considèrent que ça va à l’encontre de l’économie de notre procédure civile que de créer la possibilité de déterminer, d’arrêter d’office qu’une poursuite est une poursuite-bâillon. Alors, j’aimerais vous entendre sur cette question-là dans la perspective plus générale de l’économie de notre Code de procédure civile et de notre droit civil. Est-ce que c’est vraiment attentatoire à cette économie?

n (10 h 40) n

Puis, la dernière chose, c’est: vous avez dit dès le départ que vous étiez heureux avec la portée globale, large de ce projet de loi et vous avez laissé entendre que vous étiez heureux du fait que ça porte sur même autre chose que les poursuites-bâillons. Ça, c’est une critique qui est faite au projet de loi dans certains milieux, qu’on va trop loin, qu’on règle d’autres questions, on présente des nouvelles règles qui concernent l’abus et les procédures abusives dans un contexte qui n’est pas celui des poursuites-bâillons. Alors, je veux savoir pourquoi vous seriez d’accord à ce qu’une loi qui est nommément désignée pour s’attaquer aux poursuites-bâillons soit une loi qui contienne des dispositions qui aillent au-delà de ce qui est nécessaire pour les poursuites-bâillons, et notamment tout ce qui concerne la quérulence, parce que, les dispositions sur la quérulence, pas sûr, là, que ça a un lien avec les poursuites-bâillons. Alors, voilà mes trois questions.

La Présidente (Mme Thériault): Me Chênevert.

Mme Chênevert (Karine): Je vais répondre. Effectivement, je vais répondre à la question. En fait, je vais répondre en deux temps.

Premièrement, sur la question du «d’office», comme on l’a mentionné, dans la mesure où il y aurait un amendement où on prévoit à ce qu’il y ait un échange, un débat qui soit fait sur la question, on a moins de problèmes avec le fait que le «d’office» soit prévu dans le projet de loi. Par contre, effectivement, il est de notre compréhension que la règle générale est qu’une partie doit présenter une requête ou doit faire la preuve de ces moyens en tout état de cause.

Et peut-être, à ce niveau-là, je vais peut-être juste ajouter un petit détail pratique. Je ne sais pas si c’était une préoccupation au moment de faire ce projet de loi là, et ce qu’on se disait: Est-ce que les personnes non représentées ne penseront pas à utiliser cet outil-là ou est-ce que… C’était peut-être une préoccupation, parce qu’évidemment on se dit: Lorsqu’il y a une partie représentée par procureur, le procureur sera au courant de ces outils-là.

Je voulais tout simplement mentionner que, d’un point de vue pratique, un juge a le pouvoir de soulever la lacune dans la preuve d’une partie et un juge, au niveau pratique, lorsqu’une partie est non représentée, prend un rôle un peu plus large dans les faits…

M. Dupuis: Avez-vous un micro dans mon bureau?

Mme Chênevert (Karine): Tout simplement une intuition féminine qui m’a permis de…

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: …

M. Turp: …devant nous, là, aujourd’hui.

La Présidente (Mme Thériault): Poursuivez, Me Chênevert.

Mme Chênevert (Karine): Donc, tout simplement pour dire qu’habituellement un juge va suggérer à une partie non représentée ou, à tout le moins, fera des représentations en la matière en suggérant peut-être qu’il y aurait une requête à présenter au niveau de la poursuite abusive si évidemment c’est évident ou on voit les signes dans le dossier.

Donc, c’étaient peut-être tout simplement les commentaires que je voulais faire, à ce moment-là, au niveau d’«office». Donc, dans un premier temps, on suggérerait de l’enlever puisqu’on n’en voyait pas nécessairement l’utilité ou la nécessité en l’espèce, comme les procureurs vont le voir habituellement ou vont pouvoir soulever cette question-là. Et, si une partie est non représentée, bien, à ce moment-là, le juge pourra lui faire les commentaires ou la suggestion à ce niveau-là. Par contre, c’est un moindre mal… ou, à tout le moins, on est d’accord avec la suggestion qui est faite à ce qu’il puisse y avoir un débat sur la question. Alors, c’étaient peut-être mes commentaires sur le premier point.

Pour le deuxième point, je vais peut-être laisser… Je vois que Me Aylwin…

La Présidente (Mme Thériault): Me Aylwin.

M. Aylwin (Antoine): Juste pour terminer sur ce point-là, pour la question d’«office», il faut comprendre aussi dans quelle position on met le juge dans ces situations-là. Le juge, on est dans un mode qui est contradictoire et non un mode inquisitoire, et là on met le fardeau sur les épaules du juge de lui-même soulever les questions alors qu’il va juger après sur ces questions-là. Ça va être compliqué, pour un juge qui doit garder son indépendance, de dire: Je veux vous entendre sur la question du caractère abusif, puis après penser qu’il va pouvoir, en toute sérénité, sans avoir d’opinion de faite initialement, lancer ce débat-là. C’est toute cette mécanique-là qui est difficile dans notre mode contradictoire. Est-ce que ça va porter, cette modification-là? Est-ce qu’on va réussir à avoir un processus qui fonctionne alors que les parties sont maîtres de leurs procédures? Mais, pour le reste, comme on vous l’a dit, en autant qu’il y ait des représentations et qu’il y ait une audition sur ces questions-là, c’est ce qui nous préoccupe principalement plus que l’économie judiciaire comme vous le soulevez.

Ensuite, pour ce qui est de dire: On va trop loin avec ce projet de loi là, nous aussi, on a entendu cette critique-là, mais il y a deux façons de réagir par rapport au projet. Soit on dit: Vous parliez des poursuites abusives… des poursuites-bâillons, excusez-moi, et vous vous limitez à ça, le reste, on va l’envoyer à la phase II de la réforme du Code de procédure civile… Il y avait cette… On a pensé à cette façon de réagir là.

Nous, on est peut-être un peu impatients par rapport à ces solutions-là puis on a voulu profiter du fait que le projet de loi était sur la table pour faire nos commentaires et faire avancer les idées qui sont là-dedans, qui rejoignent de beaucoup ce qu’on vous avait dit au mois de février. La solution qui est la meilleure, ce sera à vous de décider dans les deux, mais, nous, on vous fait dès maintenant nos recommandations sur ce que vous amenez aujourd’hui, sur les différents moyens qui sont prévus, dont la quérulence.

Bien, en fait, la quérulence, on ne vous a pas fait de commentaire. C’étaient des dispositions qui apparaissaient dans les règles de pratique, qui apparaîtraient maintenant au Code de procédure civile. Nous, on pense que ce n’est pas une mauvaise idée, là, d’agir de la sorte. C’est un problème qui ne nécessite pas nécessairement une intervention. Je ne pense pas que vous auriez fait un projet de loi seulement là-dessus, parce que c’est déjà adressé par les tribunaux.

Ensuite, pour ce qui est de la question de la dissuasion puis la responsabilité des administrateurs, il faut voir ce qui est visé par le projet de loi. Est-ce qu’on vise de donner des outils au juge pour gérer les poursuites abusives, pour voir comment est-ce qu’on fait pour éviter qu’elles deviennent un problème? Parce que vous avez choisi de donner des moyens au stade préliminaire au juge. Essentiellement, là, les dispositions qui sont là sont pour gérer le litige, enlever des conclusions qui seraient exagérées, qui seraient farfelues, remanier un peu le cadre des procédures pour justement éviter qu’on se ramasse avec un 24 mois, comme mon collègue le soulignait, avec une épée de Damoclès d’une poursuite abusive. Je ne pense pas que c’est un jugement final, potentiellement responsabilité des administrateurs, quand on a 90 % des dossiers qui se règlent, qui va être la grande panacée pour régler le problème des poursuites abusives. Les autres moyens que vous avez mis sont beaucoup plus pertinents à ce sujet-là.

Puis là je vois qu’il ne vous reste pas beaucoup de temps, ça fait que je vais vous…

La Présidente (Mme Thériault): Il reste deux minutes, M. le député.

M. Turp: Mme la Présidente, alors juste une question de portée très générale ou en tout cas un commentaire que j’aimerais vous voir commenter. C’est: Justement, est-ce que le message dans cette loi-là ou les dispositions ne doivent pas être nécessairement celles qui disent que le juge peut agir? Parce qu’il y a des gens qui disent: Ah! le juge peut faire ça, là, maintenant. Dans notre Code de procédure, il y a les instruments. Ils ne veulent pas de projet de loi. Peut-être que vos… comment dire, là, vos aînés viendront dire ça, là. Qui sait, on ne sait pas, là, ce que M. Tremblay va venir dire, le bâtonnier du Québec. Mais justement ils n’ont pas agi, les juges. De toute évidence, il leur manque des instruments. Ou en tout cas, ceux qu’ils ont, ils n’ont jamais osé les utiliser parce que le message du législateur n’était pas assez clair.

Alors donc, est-ce que ça, ce n’est pas un argument pour donner à cette loi un certain nombre de règles qui sont des messages au juge, dire: Là, là, regardez, si c’est une poursuite-bâillon, vous n’avez pas besoin d’exercer de retenue? Est-ce que ce n’est pas ça qu’on doit, comme législateurs, réussir en adoptant cette loi, donner un message clair au juge que, des poursuites-bâillons, on est capable d’arrêter ça, puis vite?

La Présidente (Mme Thériault): Il vous reste 45 secondes pour le mot de la fin.

M. Renno (Karim): Alors, je vais faire ça rapidement et je vais demander à mon président de compléter. Je pense que ma réponse va répondre à vos deux questions, vos deux dernières questions.

D’abord, je pense que les outils qui sont là, hormis la responsabilité des administrateurs, sont très puissants. Quand on parle de dommages punitifs, quand on parle de provision pour frais, quand on parle de dommages et intérêts pour les frais qui seraient encourus par la partie adverse, il est là, et la déclaration d’abus a un impact sur la réputation d’une compagnie qui est non négligeable, une compagnie ou un individu. Je pense que votre effet dissuasif, il est là, et je ne pense pas que vous avez besoin de la responsabilité des administrateurs pour qu’on prenne cette prochaine étape là.

Et ça revient également ? et je suis d’accord avec vos commentaires ? à la raison pour laquelle le Jeune Barreau, en mars, on vous a dit: S’il vous plaît, ne vous limitez pas aux poursuites-bâillons. Pourquoi? Parce qu’on veut que ce message-là soit clair. On ne veut pas qu’il y ait de débat à savoir: Est-ce que techniquement c’est une poursuite-bâillon ou pas? On veut qu’un juge puisse dire: Vous savez quoi? La définition, là, ça ne m’intéresse pas. Je regarde vos procédures, elles sont abusives, je vais intervenir. Et ça, ce projet de loi le fait bien. Et je veux laisser mon président…

La Présidente (Mme Thériault): Et vous avez 15 secondes.

M. Tessier (Philippe-André): En conclusion, en conclusion, juste pour vous dire: Le message clair envoyé par le projet de loi puis par la diligence avec laquelle le ministre a traité la question, il est ressenti par l’ensemble du corpus juridictionnel, non seulement les juges, mais également les avocats. Les modifications de 2002 commencent à rentrer dans les moeurs judiciaires, commencent à être utilisées par les praticiens puis commencent à être vécues puis enseignées, à l’université, aux jeunes avocats qui débarquent sur le marché du travail. Donc, ce changement de mentalité là, il est aidé par ça et il ne sera que complété lorsque la phase II sera faite.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Tessier, Me Aylwin, Me Renno, Me Chênevert. Merci de votre parution en commission.

Nous allons suspendre quelques instants pour permettre à la Commission des droits de la personne de prendre place.

(Suspension de la séance à 10 h 49)

(Reprise à 10 h 55)

La Présidente (Mme Thériault): À l’ordre, s’il vous plaît! Donc, nous allons poursuivre les travaux de la commission et nous entendrons maintenant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui est représentée par Me Gaétan Cousineau, qui est son président ? bienvenue, Me Cousineau ? ainsi que Me Michèle Turenne, qui est la conseillère juridique. Bienvenue en commission. Vous êtes des habitués de nos travaux. Donc, vous avez une quinzaine de minutes pour nous présenter votre mémoire, et les parlementaires recevront, dans les minutes qui suivent, copie de votre présentation. Donc, allez-y, la parole est à vous.

Commission des droits de la personne
et des droits de la jeunesse (CDPDJ)

M. Cousineau (Gaétan): Merci, Mme la Présidente. M. le ministre, je regrette, nous étions certains que des copies avaient été envoyées. Mais on vous fait des copies immédiatement.

Je suis accompagné de Michèle Turenne. Elle est conseillère juridique à la direction Recherche et planification et aussi a aidé bien sûr à être l’auteur du texte qu’on vous présente et qu’on vous a présenté lors de la consultation en février, mars 2008. Alors, on vous remercie pour l’invitation, et c’est avec plaisir qu’on est ici pour participer à cette consultation sur le projet de loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics.

Nous, c’est avec grand intérêt qu’on est ici, et cependant nos commentaires vont cibler surtout… Puisque notre commission a pour mission de veiller au respect des principes contenus à la Charte des droits et libertés de la personne, bien c’est évident que, compte tenu de notre mandat, vous comprendrez que c’est précisément sur cet aspect-là que nous porterons nos interventions.

On a pris connaissance des mémoires et des débats qui avaient eu lieu à l’occasion des consultations de février, mars et nous comprenons que plusieurs intervenants, à l’instar de la commission, avaient soulevé le déséquilibre dans l’exercice des droits protégés par la charte des parties en cause dans un tel contexte. Alors, en effet, dans notre mémoire qui vous avait été présenté à l’époque, nous avions fait état des principaux droits protégés par la charte qui peuvent être en cause dans le contexte des SLAPP. Certes, il y a les droits des parties opposées ? les organisations qui introduisent des poursuites versus les militants ? dans ces contextes litigieux en cause, qui particulièrement mettent en jeu des droits fondamentaux protégés par la charte, mais aussi il y a par ailleurs certains droits protégés du public qui sont pris dans son sens large, là, qui peuvent aussi être mis en péril.

Les dispositions contenues dans ce projet de loi proposent des moyens procéduraux qui pourraient prévenir et freiner les situations analogues aux poursuites-bâillons, et du coup décourager l’utilisation abusive des tribunaux, et favoriser la liberté d’expression tout comme la participation citoyenne. Nous allons donc l’analyser en tenant compte des droits protégés de toutes les parties qui peuvent être mises en cause.

Commençons par les droits invoqués par les institutions qui peuvent avoir recours aux SLAPP. Les institutions ou entreprises qui intentent les actions en justice prétendent, pour ce faire, que les actions et revendications des groupes militants peuvent porter atteinte indûment à leur réputation. Alors, relativement à la charte québécoise, les poursuivants s’appuient particulièrement sur le droit à la sauvegarde de leur réputation, protégé par l’article 4, un droit inscrit au chapitre des droits fondamentaux et qui se lit ? vous le connaissez: «Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.» Ces actions, comme nous le verrons, portent souvent atteinte à des droits protégés par la charte québécoise tant du point de vue des militants que de la population ou du public.

Quant aux droits des militants, leurs actions et revendications peuvent s’appuyer notamment sur la charte québécoise, qui inclut dans ses libertés fondamentales protégées le droit à la liberté d’opinion et celui de la liberté d’expression. Et l’article 3, ça mérite de le relire: «Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.»

n(11 heures)n

Parlons de l’équilibre dans l’exercice des droits fondamentaux. À première vue, on pourrait se référer notamment à l’article 9.1 de la charte, qui édicte que «les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec», pour tenter d’équilibrer du moins l’exercice des droits fondamentaux des parties en cause dans un contexte de poursuite-bâillon. Malheureusement, cet équilibre semble peu probable dans l’ordre juridique actuel, d’où la nécessité, nous croyons, d’une loi qui balise les droits des parties et les procédures qui les garantissent.

Et il n’y a pas de hiérarchie, vous le savez très bien, entre les droits protégés par la charte. Toutefois, la juge Wilson, dans l’arrêt Edmonton Journal, avait exposé la nécessité de recourir à une méthode contextuelle et non abstraite afin d’imposer des limites à l’exercice des droits et libertés fondamentaux. Alors, si on s’appuie sur cette méthode contextuelle, nous comprenons que le législateur, réalisant le déséquilibre entre les parties dans ce type de litige, affirme sans équivoque, dans le titre et le préambule du projet de loi, sa volonté de favoriser la liberté d’expression ainsi que la participation des citoyens aux débats publics.

Cette volonté est reprise dans le libellé du deuxième paragraphe de l’article 54.1 du Code de procédure civile proposé. En effet, il est important que le législateur précise qu’un abus puisse être considéré lorsqu’une action a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte des débats publics.

La liberté d’expression est bel et bien inscrite parmi les droits fondamentaux de la charte. Le droit de participer à des débats publics est tout aussi important, à notre avis. Toutefois, ce droit n’est pas nommément inscrit dans la charte. Certes, des actions relativement aux agissements de l’État peuvent s’entreprendre en vertu de l’article 21 de la charte, qui, rappelons, se lit comme suit: «Toute personne a droit d’adresser des pétitions à l’Assemblée nationale pour le redressement de griefs.» D’aucuns pourraient argumenter que cet article ne donne pas un droit de participer aux débats publics dans un contexte privé. Cependant, les auteurs du document, qui a fait l’objet de la commission parlementaire, soulignaient à juste titre que le droit à la liberté d’expression consacré par la charte québécoise devrait couvrir le droit de participer aux affaires publiques, que celles-ci soient situées dans un contexte de rapport avec l’État ou dans un contexte privé.

Effectivement, la charte québécoise, contrairement à la Charte canadienne, couvre autant les rapports entre les particuliers et l’État que les rapports entre les particuliers. La garantie de la liberté d’expression couvre donc, au Québec, l’ensemble des débats susceptibles de prendre place dans l’intérêt public. Alors, les tribunaux ? on peut se rappeler l’arrêt Irwin Toy de la Cour suprême, l’arrêt Ford ? ont établi des précédents en cette matière pour inclure le droit de participer aux débats publics comme garantie intégrée dans le droit à la liberté d’expression inscrit à la charte.

Récemment, dans l’arrêt Zundel de la Cour suprême, en lien avec l’interprétation donnée à l’article 2 de la Charte canadienne… J’ai les citations dans le texte, vous pourrez les lire. J’en cite juste une partie, que «la liberté d’expression est si importante pour la démocratie au Canada qu’on doit faire entrer dans le champ d’application de l’article 2b même les déclarations à la limite extrême du droit protégé». Alors, de l’avis de la commission, ces principes pourraient très bien s’appliquer dans des contextes analogues aux poursuites-bâillons afin de décider s’il y a entrave à la liberté d’expression et appliquer, le cas échéant, les mesures proposées dans le projet de loi.

Alors, nous tenons à souligner notre appui en vue de l’adoption de l’article 54.2 proposé, qui prévoit le renversement du fardeau de la preuve dans le cas d’abus et d’entrave à l’exercice du droit à la liberté d’expression. Cette disposition est de notre avis primordiale afin de garantir l’équilibre des forces des parties en cause.

Les préoccupations relatives à un accès équitable à la justice sont aussi prises en compte, dans ce projet de loi, dès le préambule. Cette confirmation est très importante aux yeux de la commission.

Le droit judiciaire garanti à l’article 23 de la charte, qui se lit comme suit: «Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu’il s’agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle», ce droit est fortement menacé dans le contexte des SLAPP. En effet, les militants et les organisations communautaires ont rarement accès au financement nécessaire et accès à des procureurs compétents pour défendre leurs causes.

J’aimerais attirer à votre attention, pour ce propos, un jugement de la Cour européenne des droits de l’homme. Il s’agit de l’affaire Steel et Morris, au Royaume-Uni, contre le Royaume-Uni en 2005 et qui opposait des militants britanniques à la chaîne de restaurants McDonald’s. Alors, les requérants, qui faisaient partie du groupe London Greenpeace, avaient distribué un tract de six pages intitulé Ce qui ne va pas avec McDonald’s dans le cadre d’une campagne publique. Alors, les corporations McDonald’s, en 1990, assignèrent les requérants en dommages et intérêts pour diffamation en raison de l’application du tract. Les requérants se sont vu refuser l’aide juridique et ont dû assurer eux-mêmes leur défense tout au long du long procès, en première instance et en appel, et ils ont seulement bénéficié de l’assistance d’avocats bénévoles. Le procès s’est déroulé de 1994 à la fin 1996. Les requérants furent condamnés à payer à McDonald’s des dommages et intérêts, et la Cour d’appel a maintenu le verdict tout en ayant diminué les dommages, puis ensuite on a refusé de saisir la Chambre des lords.

Alors, ces gens-là se sont adressés à la Cour européenne des droits de l’homme, qui fut saisie, en tout dernier recours, de l’affaire. Les requérants y alléguèrent qu’une procédure en diffamation menée contre eux avait emporté violation du droit à un procès équitable, qu’ils tirent de l’article 6, paragraphe 1 de la convention, ainsi que de leur droit à la liberté d’expression protégé par l’article 10. Alors, la cour, et je lis, estime que, «dans une affaire d’une telle complexité, ni l’aide occasionnelle de juristes bénévoles, ni l’ample assistance [ou] la grande liberté d’action [accordées par] le juge[...], qui [assurent] eux-mêmes leur défense, ne sauraient remplacer la représentation assurée avec compétence et suivi par un juriste expérimenté qui connaît l’affaire et le droit de la diffamation». Et la cour bien sûr a conclu en conséquence que le fait que les requérants n’aient pas bénéficié d’une aide juridique les a privés de la possibilité de défendre effectivement leur cause devant la justice et a entraîné une inégalité des armes inacceptable avec McDonald’s, et des sommes ont été accordées en dommages moraux pour les frais encourus. Ça a été ordonné par la cour.

Alors, vous comprendrez que la commission accueille très favorablement l’article 54.5 du Code de procédure civile proposé, qui prévoit l’octroi de provisions pour frais et dépens dans le cas d’abus de procédure. Cette disposition permettra de renforcer puis de favoriser l’exercice des droits fondamentaux des parties les plus démunies que sont les militants dans le contexte des poursuites-bâillons.

On avait soulevé, dans notre premier mémoire, le droit du public à l’information; j’aimerais y revenir un peu. Un des droits les plus en cause qu’on aimerait vous rappeler dans le contexte de SLAPP, c’est en regard de ceux de la population qui est prise dans son sens large, c’est-à-dire le droit du public à l’information. Au Canada, le droit à l’information, c’est une création jurisprudentielle qui découle du droit de la liberté d’expression et de la liberté de presse consacré à l’article 2b de la Charte canadienne, la Charte canadienne qui protège aussi… le droit de diffuser l’information que celui de le rendre accessible au public auquel il est destiné.

La charte québécoise consacre implicitement le droit à l’information à l’article 44, et je le lis: «Toute personne a droit à l’information, dans la mesure prévue par la loi.» Toutefois, s’agissant spécifiquement de ce droit, il est pour le moment inscrit à l’article 44 de la charte, parmi les droits sociaux et économiques. Alors, la commission a déjà réitéré, lors de cette commission, en février… excusez, en mars 2003, et dans deux autres précédents mémoires qu’on a soumis à l’Assemblée nationale, et aussi dans notre bilan, lorsqu’on a fait le bilan publié à l’occasion du 25e anniversaire de la charte, la nécessité d’inclure ce droit parmi les droits fondamentaux de manière à ce qu’il jouisse des mêmes prérogatives que ceux déjà inscrits à ce chapitre. De l’avis de la commission et selon plusieurs auteurs, le droit à l’information engloberait non seulement toutes les dimensions de la liberté d’information, mais aussi le droit d’accès des individus à l’information, ce qui implique que l’État doive mettre les moyens en oeuvre pour concrétiser l’exercice de ce droit.

La commission considère que l’exercice ou la protection de plusieurs droits protégés par la charte a pour prérequis évident un droit à l’information. On se rappellera de la cour qui disait que non seulement la personne qui… on empêche de poursuivre et de faire connaître l’information, si on l’arrête, c’est aussi empêcher le public d’obtenir cette information. Alors, pour cela, la commission propose, à défaut de modifier la charte dans le cadre de ce projet de loi, d’inclure dans le préambule: «Considérant que le droit à l’information est une composante importante de la liberté d’expression et un prérequis pour favoriser les débats publics.»

n(11 h 10)n

En conclusion, la commission accueille favorablement ce projet de loi qui va dans le sens de protéger les droits fondamentaux des plus vulnérables. Toutefois, la commission aurait préféré, tel qu’elle l’avait mentionné dans son premier mémoire, que le législateur choisisse d’adopter un texte législatif spécifique au SLAPP, qui reconnaîtrait notamment le droit à la participation publique. Par ailleurs, la commission s’attendrait que, dans un tel contexte, le droit à l’information soit reconnu comme droit fondamental. Cependant, la commission se réjouit que, dans le titre et le préambule du projet de loi, le législateur compte ratisser large et confirme sa volonté de favoriser la liberté d’expression, droit fondamental consacré par la charte, ainsi que de protéger le droit des citoyens de participer à des débats publics, droit qu’on peut rattacher au droit à la liberté d’expression et à l’article 21 de la charte qui protège le droit d’adresser des pétitions à l’Assemblée nationale.

Le renversement du fardeau de la preuve, comme je l’ai mentionné tantôt, dans le cas d’allégation d’entrave à la liberté d’expression prévu à l’article 54.2 proposé ainsi que l’octroi de provisions pour frais et dépens prévu à l’article 54.5 proposé viendront renforcer et favoriser l’exercice des droits fondamentaux des parties les plus démunies. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Cousineau. Donc, sans plus tarder, nous allons aller aux échanges avec le ministre. M. le ministre, vous avez 17 minutes.

M. Dupuis: Oui. Je vous remercie. Mme la Présidente, Mme la députée de Gatineau ayant signifié son désir de s’adresser à la commission, je vais faire des remarques qui seront très courtes pour permettre à la députée de Gatineau de s’adresser à la commission.

D’abord, Me Cousineau, bienvenue. Je vous remercie de vos propos et du travail que vous avez fait, là, en relation avec le projet de loi qui est déposé. Je suis certain que… parties de vos remarques vous ont été inspirées par Me Turenne, alors je veux la remercier aussi d’avoir contribué à votre présentation.

Bon, je constate que vous faites des représentations au sujet de l’inclusion dans la charte du droit… bien de l’inclusion comme droit fondamental de la liberté d’information. Je ne ferai pas de remarque là-dessus. J’ai bien écouté vos représentations. Je veux profiter par contre de votre présence en commission parlementaire pour saluer l’excellent travail que la commission effectue, et vous particulièrement. Puisque vous avez été nommé par l’Assemblée nationale, je pense que je suis, en toute liberté, capable de formuler ces commentaires favorables à votre administration, surtout ? et on parle d’accessibilité à la justice ? le travail important que vous avez fait pour réduire les délais d’audition à la Commission des droits de la personne. Je pense qu’il faut le reconnaître publiquement, vous avez fait un effort important. Vous continuez d’en faire un, la restructuration aussi de la Commission des droits de la personne. Et je veux vous signifier donc la satisfaction du gouvernement et, je l’espère, de tous les élus de l’Assemblée nationale à l’excellent travail que vous accomplissez.

La raison pour laquelle… J’en viens au projet de loi. La raison pour laquelle nous avons choisi de procéder par le véhicule législatif qu’est le Code de procédure civile, l’une des raisons ? ce n’est pas la seule ? plutôt que dans la charte, l’une des raisons, c’est qu’on a choisi d’étendre les dispositions, et de les étendre pour ne pas se limiter strictement au problème qui nous était soulevé de la poursuite-bâillon, hein? On ouvre à toute espèce d’abus, d’une part. Et d’autre part aussi on voulait toucher à la difficulté exponentielle de la quérulence, les plaideurs qui multiplient les procédures devant les tribunaux. On voulait aussi toucher à ce problème-là, et évidemment le meilleur véhicule pour le faire, c’était le Code de procédure civile.

Moi, j’ai bien compris de vos représentations que vous louez l’effort du gouvernement en relation avec le problème des poursuites-bâillons, que, bon, vous auriez souhaité ? et je pense que c’est correct de le mentionner; que vous auriez souhaité ? qu’on puisse le faire en vertu de la charte, mais je vous explique l’une des raisons pour lesquelles on a plutôt choisi le véhicule législatif qu’est le Code de procédure civile. Donc, je me contenterai simplement de vous remercier de votre participation éclairée à nos travaux. Je n’ai pas eu l’occasion de prendre connaissance de votre mémoire. Ce n’est pas de votre faute, là, ce n’est pas de la faute de personne, c’est une circonstance parlementaire qui fait que je n’ai pas eu l’occasion de prendre connaissance du mémoire, mais je vais le faire.

Et, avec la permission de Mme la présidente, j’offrirais à Mme la députée de Gatineau de continuer ses représentations. Mais je vous remercie.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Est-ce que vous voulez réagir, M. Cousineau?

M. Cousineau (Gaétan): Bien, je remercie M. le ministre de ses louanges quant aux efforts faits par la commission. Il faut dire que ces efforts de réduction de délai de traitement des plaintes avaient été commencés avant mon arrivée. C’est sûr qu’on a poursuivi.

On a voulu aussi, avec mon arrivée, accroître l’accès à la commission. Vous savez qu’on joue un rôle de filtrage, alors pour moi c’était important d’agrandir cet entonnoir, ce qui fait que maintenant on ne peut pas représenter tous les dossiers devant le tribunal. L’article 84 de la charte nous permet, dans l’intérêt public, de ne pas toujours poursuivre la poursuite de certains dossiers. Dans ce sens-là, on a doublé le nombre de dossiers qui peuvent maintenant aller au tribunal. Et on poursuit la réduction de nos délais. On a réduit nos délais de 66 %. Et les dossiers, ce qu’on peut dire, vieillis, là, qui traînent encore, qu’il faut aller chercher, deviennent de moins en moins nombreux chaque année, alors c’est dans la bonne direction. Je vous remercie de la louange.

Vous avez raison, la commission, même si elle avait souhaité… On nous offrait des options dans le premier document de consultation, trois options. On avait retenu celle d’un projet de loi, mais, celui d’amendement au Code de procédure, je pense que ça vient rapidement en tout cas changer la donne si on donnait suite au projet de loi. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Mme la députée de Gatineau.

Mme Vallée: Alors, merci, Mme la Présidente. M. Cousineau, Me Turenne, bonjour. Ça me fait plaisir d’être ici, aujourd’hui.

Peut-être pour ajouter aux commentaires du ministre… Et merci de me donner la parole. Je vois que ce n’est pas toujours évident de prendre la parole dans votre commission lorsque vous êtes présent, M. le ministre.

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: Un coup dur.

Mme Vallée: Non! C’est fait en toute amitié.

M. Dupuis: Je ne suis pas sûr que je vais retourner à l’activité de financement dans votre comté.

Des voix: Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Thériault): Continuez, Mme la députée, vous avez la parole.

Mme Vallée: Alors, pour ajouter à ce que disait le ministre, effectivement je crois que le projet de loi n° 99 vise non seulement les poursuites abusives, les poursuites-bâillons, mais également l’ensemble des procédures judiciaires. Pour avoir eu la chance de pratiquer sur le terrain en région, en ayant une pratique générale, je peux voir l’utilité de ces dispositions-là non seulement dans les grands dossiers environnementaux, mais également dans certains dossiers matrimoniaux, dans certains dossiers de chicane de clôture, qu’on pourrait dire, où parfois, malheureusement, les procédures se multiplient, et au grand désespoir des parties qui font face à la justice. Alors, je peux voir l’utilité sur le terrain de ces procédures-là et de ces amendements-là au Code de procédure civile.

Donc, au-delà des poursuites-bâillons, il y a également l’application terrain dans bon nombre de petites procédures ? je dis «petites procédures», là, sans préjugé ? mais de procédures qui ne font pas nécessairement l’objet d’une couverture média mais qui bénéficieront des amendements proposés au Code de procédure civile.

Ceci étant dit, évidemment, les propositions mises de l’avant par la commission demandent une étude encore plus approfondie. Lorsque vient le temps de faire des amendements ou de modifier la charte, de modifier, de façon substantielle, la charte, il faut voir, il faut regarder l’impact non seulement sur les procédures que l’on vise, le Code de procédure civile, mais aussi sur l’ensemble de la législation. Alors, je me permets de faire ces petites remarques là.

J’aimerais, ce matin, parce que nous avons eu la chance de recevoir plusieurs mémoires, et plusieurs mémoires également qui vous mettaient en cause, qui mettaient en cause la commission, j’aimerais avoir vos commentaires sur certaines recommandations mises de l’avant par d’autres organismes. Là, je pense, entre autres, à l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique qui, dans son mémoire, recommandait que le projet de loi contienne une disposition qui prévoit que, dans une déclaration de règlement hors cour ou dans une entente en désistement, toute clause ? alors, toute clause ? par laquelle une partie renonce à la liberté d’expression ou renonce au droit de participer aux affaires publiques serait nulle ? nulle et non avenue, finalement ? sauf si elle est approuvée par un jugement qui est motivé du tribunal qui est saisi par la cause, évidemment après avoir entendu les parties, et également motivée par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse.

Alors, en fait, ce qu’on dit, c’est: il y a un règlement hors cour. Pour le bénéfice des gens qui nous écoutent, qui ne sont peut-être pas familiers, le règlement hors cour souvent interdit aux gens de se prononcer sur le règlement en question, de se prononcer publiquement, et bien souvent, bon, on comprend, dans certains cas, c’est un bâillon en soi. Alors, ce qui est proposé, c’est que cette clause-là ne pourrait pas être valide à moins d’avoir été motivée.

Alors, que pensez-vous de cet outil-là, de cette proposition-là?

n(11 h 20)n

La Présidente (Mme Thériault): Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): On n’a pas étudié cette question-là, mais c’est une question fort intéressante, par exemple. Je la trouve fort intéressante parce qu’elle pose justement ce qu’on soulève dans notre mémoire, qui est le droit à l’information du public. Alors, il y a les parties en cause, mais il y a… Il y a celui qui parle, mais il y a celui qui écoute, et celui qui écoute, bien ils sont plus nombreux. Et, si, par une entente, on bâillonne justement parce que justement on règle le problème par une entente, ça mériterait qu’on regarde la question et qu’on soupèse et repèse ça.

Je ne sais pas si Me Turenne, qui a quand même fait beaucoup de recherches sur le droit à l’information, aurait un réflexe à ce sujet-là. Mais, moi, je trouve la question fort intéressante.

La Présidente (Mme Thériault): Me Turenne.

Mme Turenne (Michèle): Je continuerais dans le même ordre d’idées. Effectivement, dans quelle mesure… La charte étant la quasi-constitutionnelle qui régit tous les droits du Québec, on devrait se demander: Dans quelle mesure on pourrait adopter un règlement hors cour qui limiterait la liberté, les droits fondamentaux? Alors donc, dans le respect de l’ordre public, comment on pourrait permettre, dans l’ordre juridique actuel, un règlement qui ne permettrait pas le droit du public à l’information et une certaine liberté d’expression dans la question d’un débat public?

Et ça revient encore à la question du droit à l’information, la liberté de presse. Lorsqu’il y a eu la commission parlementaire sur la réforme du droit à l’information, j’avais participé à la commission parlementaire. C’est une des questions qui revenaient souvent, que la liberté de presse et le droit à l’information, du fait que ce soit limité par la loi au Québec, ne nous donnent pas autant de flexibilité dans le débat public, dans la juridiction, tel que c’est au niveau du Québec, et je me demande ? c’est une question à se poser ? comment on pourrait accepter qu’un règlement hors cour qui serait contraire à l’ordre public serait valide.

À la commission, ce qu’on a pour le moment… Je veux parler pour les contextes lorsqu’on a des dossiers concernant la discrimination quand c’est un… On ne peut pas se permettre. On a un programme de… On a développé un département de médiation au niveau des poursuites, et il n’y a aucun règlement qui peut se faire si c’est contraire à l’ordre public et si c’est contraire à des droits protégés par la charte, nonobstant la discrimination et nonobstant que les personnes soient d’accord pour un règlement.

La Présidente (Mme Thériault): Merci.

M. Cousineau (Gaétan): Et j’ajouterais, dans ce sens-là… Parce que justement, quand je répondais, je réfléchissais justement à ce qu’on fait chez nous avec les médiations, où souvent les gens demandent à ce que le résultat de la médiation soit secret, hein, que ce ne soit pas connu. Alors, on insiste beaucoup, nous autres. Et très souvent ce qu’on fait, c’est qu’on arrive à un compromis où les noms ne sont pas nommés, mais, les faits, on les rend publics pour faire connaître… parce qu’il y a tout le volet d’éducation, de promotion de la charte, des droits de la charte. On fait connaître les faits, et les résultats de la médiation, et les droits qui étaient en jeu, mais on ne fait pas connaître, disons, le montant en compensation, en dommages punitifs, des choses du genre. Voilà.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Mme la députée, vous avez quatre minutes à votre disposition.

Mme Vallée: D’accord. Mais on s’entend que, dans les dossiers qui sont traités par les tribunaux, les noms et les informations apparaissent. Mais il y aurait lieu certainement de se questionner.

Avant de continuer, là, plutôt que de continuer, j’aimerais voir.. parce que la même organisation a recommandé dans son mémoire également que, suite à l’adoption de ce projet de loi, qui, je l’espère, pourra procéder rapidement, il y ait une grande campagne de sensibilisation, une grande campagne publique d’information, de sensibilisation sur le projet de loi, sur les objectifs qui sont visés par le projet de loi, donc au-delà de la procédure, au-delà de la clientèle que sont les avocats, la magistrature et les clients, que l’ensemble de la population du Québec soit sensibilisée par les amendements au Code de procédure civile et que vous soyez les instigateurs de cette grande campagne de publicité visant à faire connaître les amendements.

Alors, qu’est-ce que vous pensez? Comment verriez-vous un tel mandat qui serait confié à la commission?

La Présidente (Mme Thériault): Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): La commission a un mandat double, si on peut l’appeler comme ça: il y a le mandat de la protection, toute la question des plaintes, le règlement des plaintes de discrimination, et bien sûr toute l’éducation, la promotion, la recherche face aux droits. Et, dans notre domaine de promotion, M. le ministre tantôt parlait des changements de structure que nous étions en train de faire. C’est justement parce que, vu que nous étions embourbés dans le traitement des plaintes et les délais de traitement des plaintes, nos ressources ont été accaparées par ça, et, maintenant qu’on est en train de régler… on peut faire équilibrer nos ressources vers le dossier promotion des droits.

Alors, ça dépend de l’envergure qu’on veut donner à cette campagne, où on aura peut-être besoin de soutien financier, mais ça nous fera plaisir d’être collaborateurs dans une promotion de cela. On serait encore plus heureux si on pouvait insister un petit peu plus sur le droit à l’information, et c’est pour ça qu’on vous suggérait d’y inclure dans le préambule, le «considérant» qu’on vous a lu tantôt.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député de Robert-Baldwin, il vous reste deux minutes au total, question, réponse.

M. Marsan: Oui. Merci, Mme la Présidente. M. le ministre, chers collègues et M. le président, Me Turenne, merci d’être avec nous ce matin.

Je voudrais simplement vous demander… Vous savez, lorsqu’il y a… Un des objectifs du projet de loi n° 99 est que la requête visant à faire déclarer une procédure abusive puisse être entendue et tranchée rapidement. Est-ce qu’on devrait mettre dans le projet de loi un délai pour s’assurer, là, que cet objectif-là serait atteint?

La Présidente (Mme Thériault): Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): On n’a pas considéré la question, mais je pense qu’il faut s’assurer qu’il y ait des délais courts. Est-ce qu’un délai cible pourrait aider? Je pense que c’est quelque chose qui… Bon, c’est un réflexe de ma part, mais je pense que, si ce projet de loi existe et que les amendements sont adoptés tels que proposés, ça va devenir quelque chose qui va être soulevé dès le début, de toute façon. Je ne vois pas comment on arriverait à arriver à ça plus tard que plus tôt. J’ai l’impression que c’est quelque chose qui devrait arriver, dans la démarche des choses, assez rapidement dans cela.

Est-ce que le juge doit agir plus rapidement plutôt que de retarder sa décision? Les délais de la justice pourraient peut-être nuire. Oui, ça pourrait causer des dommages. Dans ce sens-là, si on pouvait inciter à ce que ces questions soient traitées plus rapidement, ça pourrait sûrement aider au dossier, parce que sinon le militant, l’organisation qui défend ses droits pourrait être embourbée, là, s’il y a des délais qui font qu’on ne traite pas cette question-là.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Cousineau. Nous allons aller maintenant du côté de l’opposition officielle. M. le député de Saint-Hyacinthe, pour vos 15 minutes.

M. L’Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Alors, je salue M. Gaétan Cousineau et Me Turenne.

Alors, concernant votre mémoire, avant d’entrer avec certains commentaires au sujet de votre mémoire, j’aimerais avoir des précisions au sujet de votre intervention quand vous avez dit à M. le ministre, à titre de responsable de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, votre… en fait le volet médiation. Et pouvez-vous nous donner plus de précisions au sujet du volet médiation, à savoir combien de dossiers ont été traités en médiation? Et à quel moment ces dossiers-là ont-ils été traités?

La Présidente (Mme Thériault): Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): Oui, ça me fera plaisir. Quand on a changé notre façon de faire, de traiter les plaintes, avant, la médiation pouvait survenir n’importe quel temps durant le processus, et puis c’était souvent fait par les enquêteurs en milieu d’une enquête. Ce n’était sûrement pas la meilleure méthode. Et ce qu’on a fait maintenant, c’est que, dès qu’on a une demande qui est présentée à la commission… Et on parle… bon, il y a quelques années, on parlait de 22 000 appels; maintenant, ça varie entre 13 000 et 20 000 appels. De ces appels, bien sûr c’est de l’information, puis des fois c’est de l’information qui est ailleurs puis ça ne nous concerne pas, mais, dès qu’on détermine ? puis ça, ça se fait rapidement, dans les premières secondes, là, dans les premières heures ? à savoir si effectivement il y a matière à mettre en place les actions de la commission face à une plainte, dès le début, dès le processus d’accueil et recevabilité, on fait un examen préliminaire du dossier et déjà on offre la médiation. Puis c’est volontaire. Actuellement, il y a plus de la moitié des dossiers qui sont en enquête, qui s’en viennent en enquête, où les gens acceptent de volontairement aller en médiation, et il y a plus de 65 % des dossiers qui vont en médiation qui se règlent.

n(11 h 30)n

J’ai signé, il y a deux jours, 45 règlements suite à cette médiation. Alors, ça fonctionne très, très, très bien et ça nous permet de régler considérablement les dossiers. Et on reçoit souvent des commentaires très favorables des plaignants parce que… Vous savez, quand on se plaint d’une discrimination, on veut que ça se règle rapidement, on veut avoir satisfaction qu’on a tenu compte de notre plainte de discrimination et que le règlement ait lieu rapidement, et c’est ce que la médiation offre. Alors, c’est très productif, ça fonctionne très, très bien.

On n’a pas inventé le modèle, on avait regardé un petit peu ce qui se passait dans d’autres commissions, en toute honnêteté, et la commission canadienne avait déjà commencé à oeuvrer un peu comme ça, la commission ontarienne, et ça fonctionne bien. Moi, mon objectif, c’est, vu que la médiation, elle est volontaire, qu’on réussisse à accroître le taux de succès, parce que, si deux personnes veulent bien s’engager dans la médiation, pourquoi on ne serait pas à 70 %, à 80 % en succès versus 65 %? Mais actuellement c’est 65 %, 67 % habituellement, notre moyenne au bâton. Sinon, on retourne en enquête, et on s’est assurés que le processus de médiation soit étanche de l’enquête. Alors, ce qui est dit, en médiation, au médiateur, ce n’est pas les mêmes personnes, il y a un mur, là, qui protège, qui permet, en toute liberté, aux gens de s’ouvrir pour favoriser une médiation qui va arriver avec des résultats positifs.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député.

M. L’Écuyer: Merci, M. Cousineau. Je considère que cette avenue-là est très intéressante pour les personnes qui s’adressent à vous et je pense que c’est un bel exemple qui devrait être appliqué dans d’autres instances.

M. Cousineau (Gaétan): On vient souvent, maintenant, je dois vous dire, nous consulter à ce sujet-là justement parce que les gens ont commencé à savoir les résultats, et régulièrement, encore là, il y a d’autres commissions, d’autres agences qui viennent voir comment on procède et qui s’inspirent de notre modèle.

M. L’Écuyer: Excellent. Pour revenir à votre mémoire, en fait, lorsque vous parlez de la liberté d’expression, je constate que, la liberté d’expression, on la retrouve à l’article 54.1, et plus particulièrement lorsqu’on a le texte: «…si cela a pour effet ? au deuxième paragraphe de 54.1; si cela a pour effet ? de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics.» Et je reviens en fait à votre article 4: «Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, [à] son honneur et [...] sa réputation.» Et aussi: «Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion [pacifiquement] et la liberté d’association.» En fait, vous référez à la cause de Société Radio-Canada/Nouveau-Brunswick, cause à la Cour suprême, et plus particulièrement aux propos qui y sont tenus, et plus spécifiquement aux commentaires qui sont exprimés dans ce jugement-là, où on dit que «la liberté des individus d’échanger de l’information sur les institutions de l’État et sur les politiques et pratiques de [cette institution] est un élément fondamental [à] tout régime démocratique».

Dans le projet de loi présentement que vous avez devant vous, avec l’utilisation de cette partie de phrase ou de cette… «notamment ? à compter de ce “notamment” ? si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui [pour] le contexte [du débat public]», croyez-vous que c’est suffisant, dans le cadre du projet de loi n° 99, pour être en mesure de protéger l’intérêt, en fait ce qu’on appelle dans le fond la liberté d’expression, avec cet extrait ou cette partie de phrase qui va être interprétée de façon abondante par les procureurs, les avocats et tous ceux qui vont avoir à déterminer où commence l’intérêt privé et où commence… où se termine l’intérêt privé et où commence l’intérêt public?

La Présidente (Mme Thériault): Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): Me Turenne me presse de lui laisser la parole, elle a le goût de répondre à cette question.

La Présidente (Mme Thériault): Me Turenne.

Mme Turenne (Michèle): Alors donc, lorsqu’on regarde le droit à l’information, effectivement ça a été reconnu en vertu de la Charte canadienne, ça concerne tant le droit de recevoir l’information, la liberté d’expression. Le problème vient que, lorsqu’on veut appliquer… on est dans l’ordre juridique québécois. Lorsqu’on regarde l’article 44 de la charte québécoise, qui dit: «Toute personne a droit à l’information, dans la mesure prévue par la loi», or cet article-là se retrouve dans les droits économiques et sociaux, qui n’est pas couvert par l’article 52, et je le relis: «Aucune disposition d’une loi, même postérieure à la charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles», alors donc ce qui veut dire que donc l’article 44 n’est pas couvert par l’article 52 de la charte et donc est très limité.

Comment le justiciable, dans l’ordre juridique québécois, même s’appuyant sur la Charte canadienne, sachant que l’article 44… Alors, je fais l’avocat de l’autre partie qui pourrait présenter l’argument que l’article 44 limite l’exercice de ce droit à l’information et donc pourrait présenter l’article 44 pour jouir de certaines prérogatives et demander certaines limites du droit à l’information, ce qui ne serait plus le cas si le droit à l’information, dans l’ordre juridique québécois, était intégré du moins soit parmi les droits fondamentaux ou du moins parmi les articles qui sont inclus dans les articles 1 à 38. Alors donc, c’est là le propos. C’est sûr qu’au niveau strictement constitutionnel, dans l’ordre juridique canadien, on pourrait se rabattre sur toute la jurisprudence qui a été faite en vertu de la Charte canadienne. Mais la charte québécoise à notre avis est déficiente en laissant le droit à l’information comme un parent, ce qu’on dit souvent à la commission, parmi les parents pauvres de la charte dans les droits économiques et sociaux.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député.

M. L’Écuyer: Oui. Merci, Mme la Présidente. Me Turenne, simplement, et M. Cousineau, pour clarifier davantage, est-ce que vous avez fait la définition? Est-ce que vous vous êtes rendus le plus loin possible dans votre réflexion, à savoir, dans le contexte d’un débat public, où commence le débat public, où sont les droits d’un individu versus un débat public?

Je vous donne un exemple. Au niveau de l’environnement, s’il se déroule quelque chose à côté de chez moi, ça devient un débat privé à côté de chez moi, et ça devient un débat public quand je mobilise l’ensemble des citoyens à côté de chez moi. Alors, est-ce que vous avez fait une réflexion? Est-ce que vous avez étudié cette problématique-là?

La Présidente (Mme Thériault): Me Turenne.

Mme Turenne (Michèle): Pas précisément dans le cadre du débat concernant les enjeux environnementaux, mais, déjà en octobre 2003… J’ai le complément de mémoire qu’on avait fait au sujet justement de la réforme de l’accès à l’information, le choix de la transparence. On avait fait une étude en lien avec la loi d’accès à l’information et là on mettait vraiment en exergue la situation du droit à l’information comme un droit qui n’est pas complet en vertu de la charte québécoise.

À partir du moment que le débat… Donc, on s’entend que la loi d’accès à l’information, au Québec tant qu’au Canada, son pendant, protège le débat privé, protège les situations d’ordre privé. Mais, dès lors que la situation devient un enjeu public, on tombe dans la sphère publique, et le droit à l’information du public, la liberté de presse, etc., tous ces droits-là sont protégés en vertu de la liberté d’expression de la Charte canadienne. Et donc, évidemment, on peut dire: Le droit à l’information au Québec, du fait qu’il y ait l’article 44 qui limite cette portée-là, on ne pourrait pas se prévaloir de cette disposition-là pour avoir ce même droit au niveau des débats publics. Si vous voulez, je pourrai laisser cette copie-là du complément de mémoire qui a été fait déjà en octobre 2003, qui répondait un peu à la question du droit à l’information, droit canadien versus la charte québécoise, et, à ce moment-là, il est clair que les lois déjà qui sont actuellement, au Canada et au Québec, à l’information protègent les débats d’ordre privé.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Turenne. Trois minutes, questions et réponses, M. le député.

M. L’Écuyer: Oui, Mme la Présidente. Je vois que, comme solution que vous apportez, il faudrait y avoir dans le préambule: «Considérant que le droit à l’information est une composante importante de la liberté d’expression et [une péréquation pour...] un prérequis ? excusez, un prérequis ? pour favoriser les débats publics», sauf que, dans le projet de loi n° 99, même si on fait ce préambule-là, on est devant une situation où il y a une partie, une des deux parties qui abuse en fait de son droit et qui tente indirectement de limiter l’expression d’autrui dans un débat qui est devenu public.

Croyez-vous que c’est suffisant ou bien s’il faudrait aller plus loin dans les amendements éventuels à apporter à ce projet de loi là?

n(11 h 40)n

La Présidente (Mme Thériault): Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): Au départ, c’est pour ça qu’on avait suggéré de faire passer le droit à l’information des articles dans les droits économiques et sociaux aux articles… ce qu’on appelle les droits fondamentaux, et là ça aurait donné toute l’ampleur à cela. Mais le considérant pourrait déjà permettre à un décideur, un juge auquel on soumet un litige de rappeler le droit à l’information, le droit du public, qui n’est pas devant lui, là, d’être celui qui peut écouter, des droits qui au départ semblent privés, si ça concerne le grand public, comme par exemple les questions d’environnement, les questions de santé, qui sont souvent les cas où on essaie de faire taire les gens.

La Présidente (Mme Thériault): Merci.

M. L’Écuyer: Une question… assez courte: En vertu de l’article 23, est-ce que vous avez déjà eu des plaintes de déposées concernant «toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant»? Est-ce que vous avez déjà eu des plaintes de déposées d’une personne se sentant en fait déséquilibrée ou désavantagée, au point de vue économique, de déposer ce genre de plainte là en vertu de l’article 23 de la charte?

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Me Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): Bien, les plaintes qui sont soumises, il faut que ce soit lié à un des motifs de discrimination, alors ça ne pourrait pas être vertu de cet article-là. C’est un droit qui est reconnu, là, que la justice doit traiter. Ce n’est pas un motif de discrimination. Donc, ça nous ramène aux autres articles du début, les articles 10… de la charte.

La Présidente (Mme Thériault): C’est beau? Ça va, M. le député de Saint-Hyacinthe?

M. L’Écuyer: Oui.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. On va aller maintenant du côté du groupe de la deuxième opposition. M. le député de Mercier, 13 minutes.

M. Turp: Merci, Mme la Présidente. Moi, j’aime bien l’institution qu’est la Commission des droits de la personne. C’est une institution importante créée par notre charte et dont le président est élu, comme les autres commissaires, par notre Assemblée nationale. Mais je vais être un peu plus sévère que le ministre. D’abord, un mémoire qui a été adopté le 5 septembre par la commission, dont on n’a pas eu copie, là, et le secrétaire m’a dit qu’il ne l’a jamais reçu, je trouve ça un peu curieux. Moi, j’aurais aimé avoir plus de temps pour lire votre mémoire, première chose.

Deuxième chose, je vous avoue franchement, pour l’avoir lu rapidement, je trouve que c’est un peu faible. Je trouve qu’il n’y a pas grand-chose dans le mémoire de la Commission des droits de la personne, qui peut nous éclairer, nous aider à améliorer, bonifier le projet de loi, et je vous avoue que j’attends plus que ça de la Commission des droits de la personne quand elle se présente devant notre Assemblée pour un projet de loi qui est aussi important, qui concerne la liberté d’expression puis, comme vous le dites aussi, la liberté d’information. Alors, je regrette d’être sévère, là, mais c’est le fond de ma pensée. Pas de mémoire avant ce matin, puis un mémoire à mon avis très faible sur le contenu, qui éclaire peu les parlementaires sur ce que pense la commission du contenu précis du projet de loi. Et peut-être que vous voudrez faire un mémoire complémentaire, là, pour nous éclairer davantage sur ce que pensent la commission et ses commissaires sur le fond du projet de loi.

Alors, une des choses que vous proposez, c’est d’ajouter un préambule, d’ajouter un paragraphe au préambule: «Considérant que le droit à l’information est une composante importante de la liberté d’expression et un prérequis pour favoriser les débats publics.» Alors, peut-être, hein, parce qu’effectivement, la question des poursuites-bâillons, les gens d’Écosociété, qui vont venir nous parler tout à l’heure, vont vous dire que c’est une question aussi de droit à l’information. Ils publient des livres pour informer le public, et les poursuites-bâillons pourraient être un moyen d’empêcher, d’empêcher des maisons d’édition d’informer le public. Il y a des groupes écologistes qui font la même chose, qui veulent informer le public, et ils donnent de l’information au public. Alors, peut-être qu’effectivement il pourrait y avoir une référence à un autre droit qui est enchâssé dans la charte, qui est un droit fondamental, même s’il n’est pas… Il n’a pas de supériorité hiérarchique sur les autres lois comme les autres droits aux articles 1 à 38.

Si c’est si important, le droit à l’information, là, pourquoi est-ce que vous ne proposeriez pas qu’il y ait une référence aussi dans la définition de l’«abus»? Parce que, là, vous le mettez dans le préambule, il est question de la liberté d’expression. La logique voudrait qu’on l’ajoute aussi à l’article 54.1, deuxième paragraphe, à la fin, et on pourrait dire: «…notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui mais aussi le droit à l’information dans le cas des débats publics.» Alors, je voudrais savoir si vous pensez qu’on pourrait bonifier votre proposition en ajoutant une référence à la liberté d’information à l’article 54.1.

Le Président (M. Marsan): M. Cousineau.

M. Cousineau (Gaétan): Bien, au départ, si nos documents n’ont pas été envoyés à temps et que c’est vraiment le cas, moi, j’ai été informé qu’ils l’avaient été. Je vais revérifier. Vous avez raison de nous blâmer. Donc, j’accepte le blâme, et on n’aurait pas dû, comme commission, ne pas soumettre notre dossier. On est souvent convoqués devant la commission, et à tout coup nos documents sont bien rendus ici. Alors, je vais vérifier ce qui s’est passé, là. Vous avez raison de nous blâmer. Si c’est le cas, on aurait dû faire mieux que ça, assurément.

Est-ce que nos commentaires sur le projet de loi sont non satisfaisants ou auraient pu avoir plus d’ampleur? C’est possible qu’on aurait pu y consacrer plus de temps. On fonctionne avec les ressources qu’on a, on est toujours limités par les ressources qu’on a, et le nombre d’interventions qu’on doit faire… Actuellement, on se prépare pour une autre intervention dans une autre commission, et je sais que le directeur de Me Turenne insiste tout le temps, quand on lui soumet un autre dossier, d’avoir une ressource supplémentaire pour répondre aux attentes. Alors, on fait ce qu’on peut. Il faut dire qu’on avait déjà soumis un projet en février 2008, le mémoire, qui allait un peu plus loin dans la demande de droit à l’information. Vous pourriez peut-être regarder ce qu’on y avait inscrit. Là, on n’y fait que des allusions dans notre document. Ça pourrait peut-être satisfaire certaines attentes que vous avez face à la commission.

Quant à l’autre aspect, la troisième partie de votre question, qui est celle de bonifier… plutôt que d’y avoir un considérant, d’y aller dans la fin de l’article 54.1, deuxième paragraphe en y prévoyant «si ça limite le droit à l’information», notre choix qu’on avait préféré, c’était celui d’en faire un droit fondamental. On cherchait une solution alternative qui aurait pu être acceptable maintenant en le mettant en «considérant». C’est possible d’y faire… D’y ajouter quelque chose, au 54.1, pourrait aussi arriver, peut-être même mieux, à l’objectif que nous recherchons.

Le Président (M. Marsan): M. le député de… Oui, Me Turenne.

Mme Turenne (Michèle): Oui. Je voudrais ajouter quelque chose, un commentaire. C’est qu’en février 2008, lorsqu’on a présenté notre mémoire en lien avec le document, le rapport de Me Noreau et autres auteurs, donc on a un peu plus développé sur toute la question du droit à l’information. Il faut toujours… J’étais là, j’écoutais les interventions du Jeune Barreau tout à l’heure, ce n’est que dernièrement… Malheureusement, j’ai plus de 10 ans de Barreau, ça ne fait pas tant de temps que ça. Donc, j’étais membre du Jeune Barreau et j’étais très intéressée et contente de leur intervention.

Mais il faut toujours se remettre dans le contexte dans lequel la commission intervient. La commission intervient par rapport aux droits protégés. Lorsqu’on a eu à faire le mémoire, évidemment on a consulté les mémoires des autres intervenants, que ce soit l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique, etc. On a pris part de plusieurs mémoires, et aussi des mémoires qui étaient d’ordre plus procédural, ce qui n’est pas l’essence du travail de la commission. Et donc c’est pour ça qu’on a fait le choix… au lieu de répéter, parce que beaucoup de mémoires vont dans le même sens que ce que la commission pense, au lieu de répéter certaines choses que d’autres organismes et organisations présentent.

Et, deuxièmement, au niveau procédural, on a fait le choix… Peut-être si on avait des personnes qui sont spécialistes en droit procédural, on aurait développé sur le droit procédural, mais on avait fait le choix clair, au niveau de la recherche pour ce projet de loi là, à part si on voulait toucher les droits protégés par la charte, de faire le choix de ne pas discuter des enjeux d’ordre strictement procédural parce que ce n’est pas l’essence même et le mandat de la commission.

n(11 h 50)n

Le Président (M. Marsan): M. le député de Mercier.

M. Turp: Écoutez, là, je diverge complètement de position avec vous et sur le sens de votre mandat. Vous savez, il y a cette locution qui dit en anglais ? je vous la cite en anglais: «No rights without remedies.» Les droits…

M. Dupuis: …Paul McCartney…

M. Turp: Oui, tout à fait. J’adore McCartney, d’ailleurs. «No rights without remedies.» Alors, les droits, s’il n’y a pas de recours, sont illusoires. Alors, il me semble que la Commission des droits de la personne doit se préoccuper, parce qu’elle se préoccupe de la liberté d’expression et de la liberté d’information, des questions de recours, des questions de nature procédurale. Et donc, par exemple, la disposition sur le renversement du fardeau de la preuve, là, alors ce que vous dites, c’est: Ah! ça viendra renforcer et favoriser l’exercice des droits fondamentaux des parties les plus démunies. Alors, vous l’affirmez, vous vous contentez d’affirmer ça. Mais il y a des gens, si vous aviez lu d’autres mémoires, comme vous l’avez fait, là… Vous allez voir qu’il y a beaucoup de gens qui disent: Hum! la disposition sur le renversement du fardeau de la preuve, là, oh! oh! ce n’est pas une bonne formulation, c’est vraiment illusoire de penser que ce renversement du fardeau de la preuve, tel qu’il est formulé là, va garantir, créer une garantie contre les poursuites-bâillons et va protéger la liberté d’expression ou la liberté d’information.

Alors, je ne sais pas, moi, j’ai la tentation de vous demander: Est-ce que la Commission des droits de la personne pourrait peut-être travailler un peu davantage et nous dire ce qu’elle pense du libellé précis de l’article 54.2 en regard de la protection ou de la garantie meilleure qui serait accordée ou non à la liberté d’expression et d’information par le libellé exact de cet article? Et peut-être que ça vaut aussi pour la question de la provision pour frais. Là, vous dites aussi que… O.K., ça, ça vous paraît peut-être protéger la liberté d’expression, mais est-ce que ça suffit? Est-ce qu’il devrait y avoir un fonds d’aide aux victimes de poursuites-bâillons? Ça nous a été proposé par le rapport Macdonald-Jutras-Noreau, mais ce n’est pas là, ce n’est pas dans le projet de loi. Est-ce que, pour assurer une défense pleine et entière qui est évoquée dans le préambule aussi, quand il y a des forces économiques différentes en présence, est-ce que, selon la commission, il devrait y avoir un fonds de recours? Moi, c’est une autre question que je vous pose et où j’aimerais peut-être avoir une contribution substantielle de la commission.

Le Président (M. Marsan): M. Cousineau, il vous reste un peu moins de deux minutes.

M. Cousineau (Gaétan): O.K. Dans le mémoire du mois de mars, on avait suggéré un fonds monétaire pour s’assurer d’avoir l’équilibre budgétaire nécessaire dans ce type de demande. Là, on voit qu’il y a une recommandation, par les amendements procéduraux, d’avoir cette aide mais pas nécessairement de créer le fonds. Alors, oui, nous étions favorables à un fonds. Vous pourrez aussi… vous les retrouvez.

Nous n’aurions pas inscrit à notre mémoire que le renversement du fardeau de la preuve pourrait être utile si on ne l’avait pas discuté et considéré. Si vous voulez qu’on écrive quelques paragraphes pour justifier notre lecture à ce sujet-là, on pourrait toujours le faire, mais on ne l’aurait pas inscrit si on n’avait pas pris le temps d’en discuter et d’arriver à un consensus, je vous dirais, parce que ce document a été soumis aux membres de la commission et a reçu son approbation avant de venir le présenter à la commission, ici.

Le Président (M. Marsan): Très rapidement.

M. Turp: M. le Président, moi, j’exprime juste le souhait que notre commission et ses députés aient une opinion plus élaborée notamment sur ces deux questions, les deux dernières questions que je vous ai posées.

Le Président (M. Marsan): Alors, je vous remercie, M. Cousineau, M. Turenne. Je vous remercie bien.

Une voix: Mme Turenne.

Le Président (M. Marsan): M. Turenne… Excusez, M. Cousineau et Me Turenne.

Nous allons maintenant suspendre quelques instants afin de permettre aux représentants du Secrétariat syndical des services publics de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 11 h 55)

(Reprise à 11 h 57)

Le Président (M. Marsan): …du Secrétariat intersyndical des services publics à s’approcher.

Alors, je vous remercie de prendre place. La première chose que nous allons vous demander, c’est de vous identifier, et par la suite nous allons vous laisser une période de 15 minutes pour présenter votre mémoire.

Secrétariat intersyndical
des services publics (SISP)

Mme Martineau (Lucie): Bonjour, M. le Président. Alors, mon nom est Lucie Martineau, je suis présidente du Syndicat de la fonction publique du Québec, mais, aujourd’hui, je vais agir à titre de porte-parole du Secrétariat intersyndical des services publics et je serai accompagnée de Me Marie-Claude Morin, qui est avocate à la Centrale des syndicats du Québec, la CSQ.

Alors, le Secrétariat intersyndical des services publics, le SISP, a été mis en place par la CSQ, le SFPQ, le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec en mars 2005. Par la suite s’est jointe la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec, la FIQ, ainsi que l’Association du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, nommément appelée l’APTS, portant ainsi le nombre de membres que nous représentons à environ 300 000 travailleuses et travailleurs qui oeuvrent principalement dans les services public, parapublic et péripublic.

Alors, la mission première du Secrétariat intersyndical des services publics s’articule autour de la défense et de la promotion des services publics offerts à la population québécoise. Notre plateforme est claire: nous nous sommes engagés notamment à intervenir dans le débat public pour revendiquer l’adoption de politiques et d’initiatives publiques visant à maintenir et à développer l’accessibilité, la gratuité et la qualité de la prestation publique des services à la population, et ce, dans toutes les régions du Québec.

Alors, c’est en vertu de cette mission que nous nous sommes présentés, au mois de février 2008, avec un mémoire intitulé Nécessaire intervention de l’État: les SLAPP sont une menace réelle pour notre démocratie, devant la Commission des institutions. Au cours de ces consultations-là, nous avions appuyé le troisième scénario du rapport Macdonald, soit l’adoption d’une loi anti-SLAPP nommément établie à la section 7.2.3 du rapport. À la lecture du projet de loi actuel proposé, le SISP souscrit au choix gouvernemental puisque celui-ci est clairement dédié à protéger les tribunaux du détournement de la fonction judiciaire et à ne pas tolérer les poursuites-bâillons. Le projet de loi répond à notre demande réclamant un meilleur contrôle sur la procédure de manière à éviter le recours à des mécanismes dilatoires visant à retarder ou à prolonger indûment une poursuite.

n(12 heures)n

À notre avis, l’article 54.2 du projet de loi répond correctement à la nécessité de suspendre la procédure originale. Toutefois, nous nous questionnons sur le fardeau que les tribunaux imposeront à la partie qui devra établir que la demande en justice constitue, à sa face même, un détournement des fins de la justice. Il nous apparaît important de clarifier le fardeau nécessaire pour appliquer l’article 54.2. Nous croyons qu’il suffirait qu’une partie démontre qu’il s’agit d’une question d’intérêt public et que sa position n’est pas complètement farfelue pour renverser le fardeau de preuve.

Quant à la liberté d’expression protégée, en février 2008, nous avions plaidé pour que le Québec puisse se doter d’une loi qui permette de contrer les poursuites-bâillons, et ce, au nom du respect de la liberté d’expression consacrée dans la Charte des droits et libertés de la personne. Ces amendements répondent à notre demande de protection du droit de la liberté d’expression et du droit à la participation publique.

Concernant l’accès à la justice, nous avions souligné alors et nous le répétons encore aujourd’hui: dans le cas des poursuites-bâillons, les victimes de celles-ci font face à de sérieux risques financiers, alors que les entreprises qui poursuivent semblent n’avoir aucune limite financière. Le projet de loi propose une provision pour frais qui serait accordée à une personne ou à un groupe potentiellement victime d’une poursuite-bâillon. Si cet aspect du projet de loi constitue un progrès, nous souhaiterions que cet élément soit mieux encadré. En effet, selon le projet de loi, c’est le tribunal qui fixera le montant de cette provision. En considérant le libellé du paragraphe 5° de l’article 54.4, nous comprenons qu’il laisse trop de marge de manoeuvre à l’interprétation de ce que ce n’est qu’une situation économique telle. Notre crainte est que ce paragraphe soit interprété de manière trop restrictive et qu’il vienne hypothéquer l’esprit du projet de loi en matière d’accessibilité à la justice. Par ailleurs, il serait pour le moins assez déstabilisant que la démonstration des moyens financiers d’une victime potentielle soit faite devant le SLAPPer potentiel.

Une voix: C’est une nouvelle expression.

Mme Martineau (Lucie): Écoutez, oui.

Une voix: C’est une nouvelle présidente, c’est une nouvelle expression.

Mme Martineau (Lucie): Exact. Alors, ce dernier connaîtrait exactement alors la capacité de résistance de sa victime et pourrait ultérieurement utiliser ces renseignements contre le plaignant.

En conséquence, nous réitérons notre position à l’effet d’instaurer un fonds spécifique dédié à ceux, une personne ou un groupe, dont le tribunal jugerait qu’ils pourraient être victimes d’une poursuite-bâillon. Ce fonds aurait l’avantage d’assurer une expertise en la matière et une uniformité dans le traitement des dossiers et permettrait également de juger des moyens financiers des personnes ou des groupes sans la présence du poursuivant.

Nous apprécierions que le projet de loi prévoie qu’à la suite d’une requête gagnante les SLAPPers puissent être tenus de rembourser tous les dépens, honoraires et débours engagés et, le cas échéant, être condamnés à des dommages et intérêts punitifs importants.

M. Dupuis: C’est prévu.

Une voix: Nous apprécions.

Mme Martineau (Lucie): Oui, nous apprécions. Oui, oui, nous apprécions. Et nous pourrions investir ces sommes dans le fonds dédié.

Des voix: Ah!

Mme Martineau (Lucie): C’est ça.

M. Dupuis: Je le savais, que le pot viendrait.

La Présidente (Mme Thériault): M. le ministre, la parole est à madame.

Mme Martineau (Lucie): Oui. Finalement, pour terminer, un projet de loi comme le projet de loi n° 99 doit prévoir des mesures transitoires d’application immédiate afin de s’assurer que les organismes et les individus qui ont été victimes de poursuites-bâillons avant que cette loi n’entre en vigueur puissent également être protégés.

Alors, nous avions trois recommandations, donc peut-être que nous ne prendrons pas tout le temps qui nous a été consacré, mais ce n’est pas grave, on va l’offrir aux parlementaires pour se restaurer, et nous-mêmes.

Alors, les trois recommandations du Secrétariat intersyndical des services publics: la première est de clarifier la notion de «fardeau nécessaire» pour appliquer l’article 54.2; la deuxième, instaurer un fonds spécifique dédié à ceux, la personne ou le groupe, dont le tribunal jugerait qu’ils pourraient être victimes d’une poursuite-bâillon; et la troisième est d’adopter des mesures transitoires d’application immédiate pour que les organisations et les personnes victimes ne soient pas laissées pour compte. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci beaucoup, Mme Martineau. Donc, sans plus tarder, on va aller à la période d’échange avec le ministre. M. le ministre.

M. Dupuis: Alors, Mme Martineau, vous commencez votre mandat avec un succès assez éclatant puisque, deux de vos demandes sur trois, je suis prêt à y répondre immédiatement. La troisième, c’est le fonds; on en parlera un petit peu plus longuement. Votre première remarque sur le libellé de l’article 54.2… Il se lit actuellement: «Si une partie établit que la demande en justice ou l’acte de procédure constitue, à sa face même, un abus…» Ça m’apparaît aussi comme risquant d’être trop restrictif, de telle sorte que j’invite les partis d’opposition à suggérer un amendement. Mais je vais, moi, vous… je vais vous donner le libellé que nous envisageons. Il n’y a pas de décision qui est prise, mais j’admets avec le Syndicat de la fonction publique que l’écriture risque d’être trop restrictive, j’admets ça et je proposerais… Et je le dis au conditionnel pour que les partis d’opposition, que les gens qui souhaitent faire des recommandations puissent le faire. Éventuellement, on pourrait déposer un amendement qui ferait en sorte qu’on pourrait lire dorénavant: «Si une partie établit sommairement que la demande en justice ou l’acte de procédure [constitue un abus]…»

Une voix: Peut constituer un abus.

M. Dupuis:«…peut constituer un abus…» Donc, on change «sommairement»… on fait entrer «sommairement» et on fait entrer aussi «peut constituer un abus», de telle sorte que le fardeau de preuve dont vous parliez dans vos représentations devient beaucoup moins astreignant qu’être obligé de juger à partir d’un acte de procédure qui, à sa face même, constituerait un abus.

Je ne vous demande pas de répondre à ça, là. Considérez-le dans vos réflexions, si vous le souhaitez. Je le soumets, là, de façon très, très, très transparente pour que tout le monde puisse réfléchir à ça. Mais j’admets que l’écriture originale, le projet de loi qui a été déposé peut apparaître… la rédaction peut apparaître trop restrictive.

Donc, 1-0 pour le syndicat pour votre nouveau mandat, Mme Martineau. Passons à la deuxième…

Mme Martineau (Lucie): M. le ministre, si vous me permettez, oui, si c’est un succès de venir en commission parlementaire, on est prêtes à y venir à toutes les semaines si vous voulez, si vous dites oui à tout ce qu’on demande, évidemment.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Dupuis: Je ne suis pas sûr que c’est ça qu’on veut, là, mais…

Mme Martineau (Lucie): …bien préciser que ce n’est pas seulement que le Syndicat de la fonction publique du Québec, mais bien l’ensemble du secrétariat.

M. Dupuis: Oui, oui. Oui, oui, oui. Absolument.

Mme Martineau (Lucie): C’est beau. Merci.

M. Dupuis: C’est beau. Vous faites bien de le mentionner.

La deuxième avancée que vous faites au sujet de l’application immédiate des mesures, c’est entendu. Dans l’économie de notre droit en matière de procédure, quand une modification entre en vigueur, elle s’applique au moment de son entrée en vigueur, à moins, à moins qu’on en dispose autrement. Au moment où on se parle, au moment où on se parle, il n’y a pas de réflexion sur ce dernier aspect que je viens de mentionner. Donc, dans l’économie de notre droit, le Code de procédure est amendé, les dispositions entrent en vigueur. À moins qu’on en dispose autrement, ça entre en vigueur. Donc, ça pourrait s’appliquer en principe aux causes pendantes, à moins qu’on dise: Ça ne peut pas s’appliquer aux causes pendantes. Ça va? Bon, ça va.

Quant à votre troisième demande, le fonds, on a choisi de ne pas l’incorporer et de n’en pas demander la création au moment du dépôt du projet de loi pour les quelques raisons suivantes. D’abord, évidemment, une demande pour créer un fonds, ça oblige le ministre qui est le demandeur à se présenter devant le Conseil du trésor et le ministère des Finances, et c’est une procédure que j’ai estimé humblement, là, que j’ai estimé humblement et modestement ne pas pouvoir réaliser, compte tenu de la situation budgétaire actuelle au gouvernement. C’est une première raison.

n(12 h 10)n

La deuxième, par contre, elle est beaucoup plus fondamentale. La deuxième, elle est plus fondamentale et elle ne concerne pas l’appareil gouvernemental ou la situation budgétaire du gouvernement. C’est la chose suivante: si on crée un fonds, à mon avis, Mme Martineau, on va ajouter des délais de résolution des dossiers parce que, si on crée un fonds, il faut obligatoirement donner… obliger la personne qui requiert que des argents soient sortis du fonds pour rencontrer ses exigences au niveau d’une possibilité financière de se pourvoir devant les tribunaux… on doit lui permettre de faire une demande. Si on fait une demande, il faut étudier la demande puis il faut attendre la décision, et, tout ce temps-là, là, on réduit les délais. On ne cause pas de préjudice à la partie qui se fait poursuivre et qui prétend avoir une poursuite-bâillon puisqu’on donne la possibilité au juge, dans sa possibilité de demander une provision pour frais, de pourvoir à ça, d’une part, et, d’autre part, puisqu’on donne la possibilité au juge, au moment du jugement final, de consentir ou de rendre une ordonnance de paiement de dommages et intérêts, mais pas seulement de dommages et intérêts mais de dommages punitifs qui peuvent, qui peuvent servir évidemment à payer ce qu’on appelle, pour les fins de la discussion, dans notre langage à nous, les honoraires extrajudiciaires, qui sont évidemment les frais d’avocat.

Donc, Mme Martineau, le raisonnement est le suivant: difficulté d’obtenir, compte tenu de la situation budgétaire du gouvernement, que vous connaissez bien, Mme Martineau, puisqu’elle vous est expliquée régulièrement, hein… Je le dis en souriant, là. Souriez, vous aussi, je le dis en souriant. Compte tenu de la situation budgétaire, compte tenu des délais de traitement de la demande d’un fonds auprès du Conseil du trésor et du ministère des Finances ? et c’est normal que tout ça se fasse et soit considéré ? devant les délais qui seraient occasionnés par toute la procédure d’obtention de fonds du fonds ? je m’excuse d’employer ce langage-là ? on a estimé qu’on était en mesure, par les dispositions qu’on a déposées, de rencontrer…

L’autre chose, l’autre chose, Mme Martineau, et le dernier argument, c’est le suivant: il m’apparaît à moi… Là, vous avez employé l’expression «SLAPPer». Je ne l’accepte pas, mais je vais l’employer parce que vous l’avez employée, pour qu’on se comprenne bien. Moi, je pense que c’est normal que le SLAPPer soit payeur plutôt que le fonds consolidé du revenu, là, qui pourrait toujours avoir… Il pourrait toujours se retourner vers l’abuseur ou le SLAPPer pour se faire rembourser, mais c’est compliqué. Alors donc, c’est pour cette raison-là qu’on a choisi de déposer ce projet de loi avec le véhicule de la provision pour frais et avec le véhicule du «dommages et intérêts» et des dommages punitifs éventuels. C’est un choix délibéré qu’on a fait. C’est ce que j’avais à vous dire.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le ministre. Mme Martineau.

Mme Martineau (Lucie): Oui. Alors, je peux comprendre, M. le ministre, de ne pas vouloir aller au Conseil du trésor et au ministre des Finances actuellement.

M. Dupuis: Non, mais attention! Si vous me permettez, Mme Martineau, si vous me permettez, ce ministre-ci n’a pas eu peur d’aller au Conseil du trésor et au ministre des Finances, puisque, dans mes dossiers de sécurité publique et de justice, j’y suis allé souvent, et je dois dire que la présidente du Conseil du trésor a été particulièrement compatissante et compréhensive à l’endroit de nos demandes. Donc, ce n’est pas une peur, mais c’est simplement du réalisme.

Mme Martineau (Lucie): Je peux y aller avec vous. Je peux y aller avec vous la prochaine fois, j’aurais quelques petites demandes.

M. Dupuis: Ha, ha, ha!

Mme Martineau (Lucie): Vous savez, je voudrais également répondre sur la situation budgétaire. Si nous avons une commission sur les finances du gouvernement, ça va nous faire plaisir de nous y représenter.

Pour nous, le fonds, la création d’un fonds ou même l’utilisation du fonds sur les recours collectifs ? et Me Morin pourra ajouter, parce qu’elle est plus… c’est l’avocate, hein, voyez-vous ? ça a des critères plus uniformes parce que, oui, le juge peut juger, mais il y a beaucoup de juges au Québec qui risquent de ne pas avoir la même interprétation. Donc, on développe une expertise, on a des critères plus uniformes sur l’admissibilité à ce fonds-là. Donc, que le poursuivant ou le SLAPPer soit payeur, nous sommes tout à fait d’accord. Vous, vous le faites payer avant, mais, nous, on le fait payer en dommages dans le fonds. Donc ça, pour que ce soit le payeur, là, on n’a aucun problème avec ça.

Donc, il y a également… On avait indiqué qu’on n’aurait pas de problème s’il y a difficulté de créer un fonds, d’utiliser le fonds sur les recours collectifs, mais en y mettant les critères évidemment nécessaires.

M. Dupuis: Si vous permettez, Mme Martineau… Me Morin va peut-être être d’accord avec moi là-dessus. Me Morin, vous pourrez peut-être réagir. Mais il y a une différence fondamentale entre le Fonds d’aide aux recours collectifs et le fonds que vous souhaiteriez voir créé dans les poursuites-bâillons, c’est que, le Fonds d’aide aux recours collectifs, les gens y viennent avant que l’instance soit déposée, alors que, le fonds d’aide aux poursuites-bâillons, les gens y viendraient une fois que l’instance est introduite. C’est pour ça que je dis que ça occasionnerait des délais supplémentaires si on avait un fonds d’aide aux poursuites-bâillons, parce qu’on serait obligés d’interrompre la poursuite de la requête préliminaire pour que le juge ou pour que quelqu’un bénéficie d’une décision de pouvoir requérir au fonds. Donc, on augmente les délais, à ce moment-là.

Regardez, là, moi, je ne vous dis pas que la demande de fonds, elle est folle. Je ne dis pas ça. Je dis simplement que, compte tenu de ce que je vous ai mentionné tantôt, nous avons pris une décision délibérée de procéder plutôt en vertu du véhicule de la provision pour frais, et des dommages et intérêts, et des dommages punitifs. Mais, Me Morin, vous pouvez réagir à ce que je dis, là, sans problème.

La Présidente (Mme Thériault): Me Morin.

Mme Morin (Marie-Claude): Bien, j’ajouterais simplement que bien, en matière d’urgence, on peut toujours penser à des mesures d’urgence qui pourraient être avancées, là, au niveau du fonds. Si on veut vraiment mettre en place un fonds, je pense que c’est possible d’aussi viser l’urgence puis viser la célérité, là, du processus, quitte à ce qu’il y ait plusieurs étapes au fonds, à ce que ça se fasse, tu sais… En tout cas, on n’a pas réfléchi exactement à comment ça pourrait se…

M. Dupuis: Si vous me permettez, Me Morin et Mme Martineau, il y a toute la mécanique du fonds, hein? Si on crée un fonds, il faut créer la possibilité pour les gens de s’y adresser. Ce n’est pas le juge qui décide, là, c’est les gens du fonds qui décident. Bon, on verrait comment on nommerait ces gens-là. Mais, nous, on a voulu que le juge, qui en principe est celui qui a la compétence, les connaissances, la sérénité, la sagesse nécessaires pour être capable de… Et on lui donne les outils dans le Code de procédure civile pour être capable d’exercer toutes ces compétences-là, si vous me le permettez. Là, là, dans le cas qui nous occupe, c’est le juge qui va décider pour la provision pour frais, c’est le juge qui possède tous les faits du dossier, enfin même au niveau de la requête préliminaire, qui prendra la décision, alors que, si je crée le fonds, ce seraient évidemment des nominations qu’on ferait au fonds qui prendraient cette décision-là. Là, là, je m’inquiéterais peut-être d’échapper du monde, d’échapper des gens qui auraient une décision négative, par exemple, de la part du fonds. J’aime mieux, moi, laisser ça au juge, entre les mains du juge, donner des pouvoirs au juge. Moi, j’ai confiance dans la magistrature puis je pense que, vous aussi, vous avez confiance. Donnons donc au juge ce pouvoir-là. Ça a été notre raisonnement, je vous explique simplement notre raisonnement. Ça va? Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Mme Martineau.

Mme Martineau (Lucie): Ça va, j’ai compris le raisonnement de M. le ministre.

M. Dupuis: Merci beaucoup. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): C’est beau?

M. Dupuis: Moi, ça va. En ce qui me concerne, ça va.

La Présidente (Mme Thériault): C’est beau pour la partie ministérielle? Merci. Nous allons aller du côté…

M. Dupuis: J’ai tellement une belle entente avec Mme Martineau que je ne suis pas pour commencer à jouer là-dedans, ça va bien.

La Présidente (Mme Thériault): On va aller maintenant du côté de l’opposition officielle. M. le député de Saint-Hyacinthe, pour vos 15 minutes.

M. L’Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Alors, je vous remercie, Mme Martineau et Me Morin, d’être ici, ce matin.

J’ai en fait entendu comme vous un peu l’amendement proposé sous une forme conditionnelle… le ministre de la Justice. Et on parle, dans un premier temps, en fait, d’ajouter quelques mots à l’article 54.2, «sommairement» et aussi «qui peut constituer un abus», et, d’entrée de jeu, je dois vous dire que, si on veut actualiser une situation comme celle-là, il faut quand même se pencher sur ce qui se vit, à tous les jours, devant les tribunaux. Vous avez des gens qui… Et je reviens quand même sur votre… Il y a des gens qui se sentent, à un moment donné, victimes d’une poursuite-bâillon, et vous utilisez, dans votre mémoire, l’accès à la justice, vous utilisez «une personne ou à un groupe potentiellement victime d’une poursuite-bâillon». Alors, le «potentiellement victime d’une poursuite-bâillon» doit faire au moins l’objet d’une preuve. Il doit faire au moins l’objet… En fait, il faut l’établir devant un tribunal, et cette démonstration-là doit être faite…

n(12 h 20)n

Si je regarde, dans le fond, selon les termes utilisés par le ministre, «sommairement», ça veut dire «dans les plus brefs délais et dans l’espace le plus restreint», mais ça prend au moins une preuve à mon sens pour que le tribunal puisse se diriger adéquatement et dire: Oui, dans un cas qui est… présentement, il y a une personne ou un groupe qui est potentiellement ? je dis bien «potentiellement» ? victime d’une poursuite-bâillon. Et, ce faisant, je lui accorde, conformément en fait à mon pouvoir, je lui accorde une possibilité, ce qu’on appelle, nous, dans le jargon, en fait, une avance pour frais. Et, à ce moment-là, l’avance pour frais pour moi est différente ? et vous me corrigerez si je me trompe ? d’une déclaration qui est prévue à l’article 54.4, où on peut lui verser en fait une provision pour frais ou on peut aussi lui verser en fait, à l’article 54.3… «de lui verser une provision pour frais dont il fixe le montant», et aussi les dommages punitifs. Lorsqu’on parle de dommages punitifs, on parle, à ce moment-là, de dommages qui peuvent être des frais judiciaires et extrajudiciaires.

Est-ce que vous avez fait l’analyse de ces deux termes-là dans les deux objets? Alors, ma question est la suivante: Est-ce que vous aimeriez ou vous souhaiteriez qu’effectivement le juge puisse avoir plus de pouvoir au moment de l’attribution des frais, qui pourraient contenir des frais judiciaires et même aller jusqu’à une évaluation des frais extrajudiciaires?

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le député. Mme Martineau.

Mme Martineau (Lucie): Alors, peut-être que Me Morin va répondre à votre question.

La Présidente (Mme Thériault): Me Morin? Me Morin.

Mme Morin (Marie-Claude): Bon, je veux juste… Je ne suis pas certaine de bien comprendre la question, là, mais vous m’arrêterez si je ne vais pas dans la bonne direction.

La provision pour frais que le juge peut accorder, c’est sûr qu’il doit couvrir les frais, les dépenses judiciaires et extrajudiciaires, là, il faut que ça puisse permettre à la partie de pouvoir continuer. Mais du libellé, moi, je ne comprends pas que ça exclurait les frais extrajudiciaires, la provision pour frais. Peut-être que j’ai…

M. Dupuis: Non, vous avez raison, vous avez raison.

Mme Martineau (Lucie): 54.5, hein? C’est ça?

M. L’Écuyer: …comprend les frais extrajudiciaires. Ça n’exclut pas les frais extrajudiciaires.

Mme Morin (Marie-Claude): Donc, le juge évaluerait les besoins et donnerait les frais en proportion. Nous, ce n’est pas tellement là-dessus qu’on en a, c’est simplement sur l’aspect de rechercher l’uniformité de l’application des règles, qui ne sont pas variables d’un juge à l’autre, selon l’appréciation qu’ils pourraient faire de ces…

M. L’Écuyer: …préciser peut-être la question à Mme la…

La Présidente (Mme Thériault): Oui, M. le député, allez-y.

M. L’Écuyer: Lorsqu’on arrive devant cette situation-là, vous le dites vous-même, «potentiellement victime», alors est-ce que vous avez évalué la preuve qui devrait être faite devant un juge pour effectivement que le «potentiellement victime» lui permette d’avoir des frais judiciaires ou extrajudiciaires?

La Présidente (Mme Thériault): Me Morin.

Mme Morin (Marie-Claude): Bon, vous voulez dire mis à part 54.2, mis à… On ne parle pas de renversement de preuve, à ce moment-là, on parle d’un juge qui déciderait d’accorder une avance de frais.

M. L’Écuyer: 54.2 nous dit: «Si une partie établit que la demande en justice ou l’acte de procédure constitue, à sa face même…»

Une voix: Sommairement.

M. L’Écuyer: Alors «sommairement», si on peut ajouter… ou «peut constituer un abus de procédure». Alors, ce que vous avez fait… Demain matin, vous êtes dans un cas similaire. Quelle preuve faites-vous en rapport avec cet abus-là?

La Présidente (Mme Thériault): Me Morin.

Mme Morin (Marie-Claude): Tel que libellé, 54.2 nous apparaît inatteignable, dans le sens qu’il faudrait démontrer une intention, il faudrait démontrer prima facie le détournement des fins de la justice. Donc, c’est certain que, pris comme ça, on considère que c’est…

C’est parce que, là… D’abord, dire que le renversement de la preuve… 54.2, il doit chercher à filtrer toutes les situations… toutes… la majorité des situations de poursuite-bâillon. Il faut qu’il soit suffisamment efficace pour tenter de freiner toutes les poursuites-bâillons. Ce n’est pas une mesure d’exception comme pourrait l’être l’injonction provisoire, par exemple. Donc, il faut que le renversement du fardeau de preuve soit efficace tout de suite quand il y a des indices valables, transporter sur le poursuivant le fardeau de démontrer que ses objectifs sont nobles puis qu’il n’y a pas de…

M. Dupuis: Avec votre consentement, M. le député de Saint-Hyacinthe ? mais, si je ne l’ai pas, je n’interviendrai pas ? mais, avec votre consentement, préciser ça: si ce n’est pas assez clair à la requête préliminaire, le juge a d’autres moyens, là, on lui donne d’autres moyens. Il peut dire, par exemple: Je ne suis pas sûr que c’est abusif, mais j’ai un doute, alors j’ordonne une gestion de l’instance. Vous allez marcher ça, là, puis vous allez me marcher ça avec discipline, puis rapidement, puis tout ça, parce que je ne veux pas… Bon. Donc, il a plusieurs moyens à sa disposition, le juge.

Mme Morin (Marie-Claude): Mais, d’après 54.2, si la cause n’arrête pas là, par 54.2, s’il y a des doutes sérieux, à ce moment-là, il peut y avoir des provisions pour frais, hein? C’est dans ce sens-là.

M. L’Écuyer: Oui, mais je reviens à l’argument de M. le ministre. Si effectivement, à 54.2, vous établissez… en fait vous ouvrez, par requête ou par une demande particulière… vous dites: Moi, je considère effectivement ou mon groupe considère effectivement que je suis potentiellement victime d’une poursuite-bâillon, alors il est certain que le juge peut mettre en fait une… En fait, il peut faire la gestion de l’instance. Ça, je suis d’accord avec ça. Mais est-ce que vous vous êtes penchées sur la question en fait ? puis je reviens, à ce moment-là, à l’article 54.1 ? où commence la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics? Alors, où commence, où vous sentez effectivement que vous avez été… que vous ne pouvez pas exprimer le… Parce qu’on dit «à sa face même». «À sa face même», vous savez, c’est très exigeant au niveau juridique, là. Et, «à sa face même», là, il faut que ce soit réellement… On le considère simplement une lecture.

Et d’ailleurs on reviendra sur le 165. Quelquefois, il y a la prescription. Donc, si un délai de prescription est épuisé, c’est à sa face même. Ça ne prend pas une longue démonstration, il y a un texte de loi qui le dit. Mais, dans ce contexte-là, j’essaie simplement d’éclairer le débat pour être capable de savoir si…

M. Dupuis: …

La Présidente (Mme Thériault): M. le ministre, non. La parole n’est pas à vous, M. le ministre, s’il vous plaît. Me Morin.

Mme Morin (Marie-Claude): Nous, ce qu’on proposait, c’est qu’à partir du moment où la personne démontre que c’est une question d’intérêt public et que sa position n’est pas complètement farfelue, c’est-à-dire qu’il y a des indices valables à l’effet d’avoir cette position-là, bien sûr il faut être dans un cas où la liberté d’expression est en jeu puis où il y a un déséquilibre financier de part et d’autre. Il faut être dans le contexte. Mais, à partir du moment où on démontre qu’il y a un débat d’intérêt public et que ce n’est pas farfelu, la position du défendeur, là, du défendeur original, bien, à ce moment-là, il devrait y avoir renversement du fardeau de la preuve de 54.2. Nous, c’est notre position.

La proposition du ministre, c’est sûr qu’il y a une amélioration. Il faudrait l’étudier, là. On n’est peut-être pas prêtes à intervenir là-dessus. Mais notre position pour le renversement du fardeau de preuve nous apparaît raisonnable, toujours dans l’objectif où on cherche à filtrer le plus possible les cas de poursuite-bâillon et non de… exceptionnellement quand le cas est si flagrant qu’à sa face même c’est une poursuite-bâillon, que seulement ces cas-là soient filtrés par 54.2.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député, il vous reste cinq minutes.

M. L’Écuyer: Pardon?

La Présidente (Mme Thériault): Cinq minutes.

M. L’Écuyer: Cinq minutes. J’aurais une question aussi concernant l’épineux problème de l’article 165: Est-ce que vous avez étudié l’article 165, en fait l’amendement qui est prévu à l’article 4, qui dit: par la suppression du paragraphe 4°, par l’ajout de l’alinéa suivant: «Le défendeur peut opposer également l’irrecevabilité de la totalité ou d’une partie de la demande»? Est-ce que avez porté une attention sur cet amendement-là? Car, au niveau de la procédure civile, les inscriptions partielles en droit, on a toujours… en fait la Cour d’appel a toujours quand même soutenu qu’il faut avoir une inscription totale en droit, c’est-à-dire que la cause est rejetée ou pas. Vous ne croyez pas qu’avec l’introduction de l’article 165, tel que modifié, on pourrait avoir des situations où on va rendre une décision partielle qui fait l’objet d’un appel et qu’à ce moment-là la cause continue durant plusieurs années?

La Présidente (Mme Thériault): Me Morin.

n(12 h 30)n

Mme Morin (Marie-Claude): Non, on ne s’est pas penchées particulièrement sur l’article 165 parce que ça sortait un petit peu… On est plus dans l’opération, dans l’application du Code de procédure dans son sens large, là. Nous, on était axées sur les poursuites-bâillons principalement.

Mais, si je comprends bien, étant donné qu’on voit, à 54.4, qu’on… attendez un petit peu, là, où on peut supprimer des parties du recours… En tout cas, je préférerais, je pense, ne pas intervenir sur cet article-là plutôt que d’improviser.

M. L’Écuyer: Oui, mais quand même, Mme la Présidente…

La Présidente (Mme Thériault): Oui, Mme Martineau. Vous voulez ajouter…

M. Dupuis: Mais, vous savez, l’ADQ fait ça régulièrement.

La Présidente (Mme Thériault): M. le ministre, M. le ministre, vous n’avez pas la parole. Merci.

M. L’Écuyer: Non, non, mais, je veux dire, avec l’ADQ, je veux dire, quand on veut avoir des précisions dans un projet de loi, il ne faut pas que ce soit simplement des «words», «words», «words», je veux dire, mots, mots, mots…

Une voix: On vous taquine, on vous taquine.

M. L’Écuyer: …sans avoir un objet précis au niveau de la loi qu’on adopte, en fait. Et je pense que c’est un point qui est important. Vous devriez vous pencher sur l’article 4, et plus particulièrement sur l’amendement qui est proposé à l’article 165 concernant… parce qu’on parle ici: «…et conclure à son rejet, total ou partiel…»

Mme Morin (Marie-Claude): Ce qui est nouveau, oui.

M. Turp: Il n’est pas dans le… Ce n’est pas dans le code, actuellement. C’est ça?

M. L’Écuyer: C’est ça.

Mme Morin (Marie-Claude): Je comprends bien votre question, là, mais c’est…

M. L’Écuyer: Et, depuis 1966, ce n’est pas interprété comme étant les recours partiels. Actuellement, lorsqu’on a un procès, il faut décider complètement ou… Partiellement, des fois ça peut créer des problèmes, alors on a tendance à vouloir que ce soit décidé de façon définitive et…

La Présidente (Mme Thériault): Il vous reste un peu moins de deux minutes, M. le député.

Mme Martineau (Lucie): …intéressant, oui, parce que souvent, dans nos sentences arbitrales aussi, c’est accepté partiellement ou totalement ou rejeté de la même façon. Mais on n’en a pas tenu compte dans notre mémoire.

M. L’Écuyer: D’accord. Alors, je vais terminer ici, sur ces commentaires, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le député de Saint-Hyacinthe. Ce sera au tour du député de Mercier pour clore ce dernier échange. 13 minutes à votre disposition.

M. Turp: Et on va arriver juste à temps, en plus. Regardez, il est trente-deux, quarante-cinq…

La Présidente (Mme Thériault): Ça va être parfait, on va avoir récupéré…

M. Turp: Vous dirigez nos débats, Mme la Présidente, avec cette discipline, là, exemplaire.

Alors, d’abord, merci beaucoup pour le mémoire, hein? Merci. C’est un bon mémoire, puis vous soulevez deux questions qui nous permettent, là, avec le ministre d’avoir des échanges sur deux choses fondamentales et importantes.

Et d’ailleurs, sur le fardeau de la preuve, alors j’apprécie l’ouverture du ministre sur la modification d’un texte parce que je crois qu’il est un peu trop restrictif et que, si on constate et on considère, comme le ministre l’a fait, suite à toutes les représentations qui ont été faites aux consultations antérieures, qu’il y a ce besoin de renversement de fardeau de la preuve, encore faut-il que le texte qui va le créer ne crée pas l’illusion d’un renversement potentiel du fardeau de la preuve. Alors là, l’idée d’ajouter le mot «sommairement», l’idée de la possibilité, par le «peut»… je crois que ça va améliorer le texte. Moi, je suis ouvert à regarder une rédaction ou vous en proposer une.

Je crois par ailleurs qu’il faut s’interroger sur le reste de la phrase aussi. Et ce qui m’a fait penser à ça, c’est votre référence au détournement des fins de la justice. C’est intéressant que l’on retrouve la notion de détournement des fins de la justice. Il y en a qui ont parlé du détournement de la fonction judiciaire. C’est un peu difficile à définir, hein, ça, parce que, quand il faut se poser la question: Quelles sont les fins de la justice? Quelles sont les fonctions judiciaires?, oh! regarde, on peut donner des sueurs aux juges, là, qui vont devoir interpréter la notion.

Mais en même temps, moi, ce que je constate, c’est que, dans 54.2, on ne revient pas à ces expressions, sauf par la référence, dans cet article-là, à la notion d’«abus», parce que l’«abus» est défini en partie ou partiellement, dans la deuxième partie de la phrase, par la référence au détournement des fins de la justice. Mais le fardeau pourrait être très lourd encore si on maintient la notion «de manière excessive ou déraisonnable et ? et, et ? se justifie en droit». Regardez, là, c’est quelque chose, auquel il faudrait penser.

Alors, je pense qu’il y a une réflexion à faire sur même le deuxième élément de la partie de l’article 54.2 pour vraiment s’assurer que le renversement de fardeau de la preuve puisse être possible, parce que les juges n’aiment pas ça, renverser le fardeau de la preuve. En tout cas, on en reparlera, M. le ministre. Je ne vous donne pas mon consentement.

M. Dupuis: …

M. Turp: Non. Non. Pas maintenant.

M. Dupuis: …

M. Turp: Oui, tout à fait. Mais en tout cas c’est juste pour vous dire que ce que vous nous apportez comme réflexion, ça amène le ministre à faire cette ouverture, et, moi, je suis ouvert à trouver le meilleur texte parce que c’est une disposition fondamentale de ce projet de loi. Mais, sur le Fonds d’aide aux recours, alors j’apprécie aussi, M. le ministre, votre explication des choix, les critères qui vous ont conduit à ne pas inclure une référence au fonds. Mais je pense qu’on a le droit à un débat dans cette commission, même si vous avez fait ce choix-là, parce que je crois qu’il y a plusieurs groupes qui vont venir devant la commission et nous dire exactement ce que…

Il en faut un, fonds. Et, s’il y a une ouverture de la ministre à un fonds ou si vous avez une bonne ouverture auprès de la présidente du Conseil du trésor, bien l’argument peut ne pas être valable. Tu sais, si vous avez réussi avant, vous pourriez réussir ici aussi. Alors, s’il y a une possibilité d’utiliser des méthodes pour accélérer l’examen de la demande de recours au fonds, bien, alors, l’argument voulant que ça va retarder indûment le processus d’octroi du soutien financier, bien, alors, ce n’est peut-être pas un argument.

Moi, je vous soumets, M. le ministre, que la question importante. C’est: Est-ce qu’on a besoin du fonds à des fins dissuasives aussi? Je pense que c’est une question… La question que je posais tout à l’heure, c’est: L’objectif du projet de loi, c’est aussi de créer de la dissuasion. Est-ce que la provision judiciaire est un instrument suffisant de…

M. Dupuis: Est-ce que je peux répondre à ça tout de suite?

M. Turp: Non, non, non, pas tout de suite.

M. Dupuis: Ah! vous ne voulez pas?

M. Turp: Non, non. Non, pas tout de suite.

M. Dupuis: Vous me posez une question, puis je n’ai pas le droit de répondre.

M. Turp: Bien, oui, vous n’avez pas le droit de répondre parce que c’est mon temps de parole.

La Présidente (Mme Thériault): Oui, c’est votre temps de parole, M. le député de Mercier, sauf que, si vous n’interpellez pas le ministre, ce sera beaucoup plus facile pour nos échanges. Allez-y.

M. Dupuis: Il ne voudra pas…

M. Turp: Mais, oui, il va répondre, il va avoir d’autres occasions de répondre.

Alors là, donc, est-ce que la provision judiciaire, la possibilité, en fin de parcours, de dommages et dommages punitifs est suffisamment dissuasive pour des gens puis des administrateurs d’intenter des poursuites-bâillons? C’est ça, la vraie et bonne question.

M. Dupuis: …

M. Turp: Bien, tout à l’heure. Et je pense qu’il faut réfléchir à ça parce qu’il y a certainement des moyens procéduraux puis des moyens même financiers pour soutenir des victimes de poursuites-bâillons, puis le Fonds d’aide aux recours collectifs pourrait devenir un fonds avec deux volets, recours collectifs et poursuites-bâillons. Ce ne serait pas si compliqué que ça. Il y a des gens qui ont fait des… Ça existe dans d’autres juridictions. Il y a d’autres juridictions qui ont trouvé que c’était une bonne idée, là, puis c’est pour ça que bien des gens viennent nous le proposer, parce que ça se fait ailleurs aussi.

Alors donc, moi, je souhaite, M. le ministre, vous donner l’occasion, quand ce sera à votre tour de parler…

M. Dupuis: Je n’en ai plus, de tour. Je ne peux pas répondre.

M. Turp: Mais on continue cet après-midi, là. Parce que je veux savoir ce qu’en pensent nos deux témoins, là, de tout ça. Sur la question du fonds, à la lumière des explications du ministre, à la lumière de mes contre-arguments, qu’est-ce que vous pensez?

La Présidente (Mme Thériault): Mme Martineau.

Mme Martineau (Lucie): Je vais commencer, et Me Morin pourra terminer. D’abord, pour l’article 54.2 dont vous faites référence, nous, c’est l’ensemble de l’article. Il faut vraiment, là, que pas juste le premier bout de la phrase, mais le dernier… On est en accord de regarder tout pour qu’effectivement, là, cet article-là ne vienne pas empêcher des gens de pouvoir avoir leur liberté d’expression.

Ceci étant dit, concernant le fonds, bien, à deux sur trois, on est rendus à deux et demie sur trois, peut-être. Ha, ha, ha! Alors, écoutez, je pense que, quand on veut réellement… Et nous n’avions pas, dans notre mémoire, le fait de dire que ce serait dissuasif, mais vraiment j’aime cette réflexion-là. Mais, si ça se peut et comment on pourrait le faire, alors je vais demander à Me Morin de terminer là-dessus.

La Présidente (Mme Thériault): Allez-y, Me Morin, la parole est à vous.

n(12 h 40)n

Mme Morin (Marie-Claude): Oui. Nous, 54.2, c’est sur le fardeau de la partie qui demande, qui prétend à l’abus, c’est là-dessus qu’on veut réduire.

Naturellement, la deuxième partie, qui dit, bon: «…il [reviendra alors] à la partie qui [introduit la demande en justice ou l'acte de procédure, là,] que son geste n’est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit», nous, on pense que cette partie-là est correcte, dans le sens que, quand un fardeau de preuve est renversé, on veut que la partie qui a déposé la demande en justice d’origine ait un fardeau important pour que le juge puisse savoir exactement, là, ce qu’il en est, et donc un fardeau important pour démontrer qu’elle n’est pas en train de faire une poursuite-bâillon. Donc, nous, sur 54.2, la deuxième partie, on pense que c’est correct.

Sur le fonds, bon, on est d’accord avec tout ce que le député de Mercier a dit. Et naturellement, naturellement, les mesures d’urgence nous apparaissent, après vos réflexions, M. le ministre, nous apparaissent tout à fait adaptées, là. Il faudrait vraiment prévoir des mesures d’urgence pour accélérer le processus de gestion par ce fonds-là. Mais sinon, toujours pour les mêmes raisons, pour des questions de confidentialité, des questions d’uniformité et d’expertise, on pense que le fonds devrait exister.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député de Mercier, en vous indiquant que vous avez quatre minutes à votre disposition.

M. Turp: Quatre minutes?

La Présidente (Mme Thériault): Un peu moins.

M. Turp: J’en offre deux au ministre.

M. Dupuis: Merci, j’accepte. Merci, j’accepte.

M. Turp: Mais pas tout de suite. Pas tout de suite. Laissez-moi parler deux minutes.

C’est intéressant, le débat sur la deuxième partie. Je comprends bien ce que vous dites. Je pense que le ministre est d’accord avec vous là-dessus, que la deuxième partie ne pose pas de problème. Peut-être que c’est ça qu’il va nous dire tout à l’heure. Mais la question se pose, c’est: Est-ce qu’on devrait exiger de la partie, tu sais, qui a le fardeau de la preuve, parce qu’il y a eu renversement… que son geste n’est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit ou est-ce qu’on ne devrait pas plutôt exiger qu’il fasse la démonstration qu’il ne détourne pas les fins de la justice, il ne détourne pas les fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics? Là, il y a quelque chose qui fait que peut-être «exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit», ça va lui permettre de s’en sortir, là, alors que, si on dit plutôt qu’«il doit faire la preuve qu’il ne détourne pas les fins de la justice et qu’il n’abuse pas de la liberté d’expression, ne prive pas»… peut-être que ça, c’est le test qui serait préférable à celui du caractère excessif ou déraisonnable, la justification en droit de son recours.

Alors, c’est juste pour vous dire qu’il y a peut-être un besoin d’arrimer davantage l’article 54.1 et 54.2. Alors, M. le ministre, moi, je vous serais intéressé à vous entendre.

M. Dupuis: Oui. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Thériault): Oui. Il reste exactement deux minutes. Donc, le député de Mercier est très gentil de vous donner ses deux minutes.

M. Dupuis: D’abord, pour ce qui concerne le fonds et votre question, qui est pertinente: Est-ce que c’est plus dissuasif? Est-ce que ce serait plus dissuasif d’avoir un fonds que d’avoir une provision pour frais?, ma réponse est la suivante: Il m’apparaît clairement que c’est bien plus dissuasif, pour la partie qui veut introduire une poursuite, qu’on appellera, pour les fins de la discussion, une poursuite-bâillon, la provision pour frais que le fonds. Le fonds, là, tu sais, c’est: le fonds consolidé du revenu met l’argent dans un fonds. Alors, la personne qui veut poursuivre ou qui veut se plaindre qu’un commentaire a été fait d’une compagnie dit: Bah! c’est le gouvernement qui va payer, de toute façon, alors que, la provision pour frais, c’est eux autres qui vont la fournir. La provision pour frais puis les dommages punitifs, c’est eux autres qui vont les payer, puis, les dommages-intérêts, c’est eux autres. C’est beaucoup plus dissuasif, à mon avis.

Ça, c’est ma première réponse à votre remarque. Parce que la question est pertinente, je n’en disconviens pas. À mon avis, là, beaucoup plus, beaucoup plus dissuasif, la provision pour frais, dommages-intérêts, dommages punitifs, que de créer un fonds, mettre de l’argent à même le fonds consolidé du revenu. Bah! c’est le gouvernement qui paie. Oui, mais, tu sais, tu peux être obligé de rembourser dans le fonds, après, par subrogation. Ouais, ouais, mais on verra ça. On sait comment ça fonctionne. Ça, c’est ma première réponse.

La deuxième, sur 54.2, si le juge en vient à la conclusion que le recours a été exercé de manière excessive ou déraisonnable et ne se justifie pas en droit, c’est ça, le détournement de la justice. Moi, je ne veux pas l’inscrire dans l’article parce que je vais faire une généralité qui est beaucoup trop à mon avis, beaucoup trop difficile à établir en preuve, même si c’est par prépondérance de preuve. Là, le fardeau se renverse quand la personne…

Prenons pour acquis que l’amendement va être accepté par tout le monde. Alors, si on était capable d’établir sommairement, hein, que la demande est bien fondée puis peut constituer… à ce moment-là, il y a un renversement de fardeau. C’est à la partie qui a introduit la poursuite de démontrer que son geste n’a pas été exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit. S’il n’est pas capable de démontrer ça, c’est ça qui constitue un détournement des fins de la justice. Alors, c’est dans ce sens-là.

M. Turp: Pas sûr, pas sûr, là, mais on va avoir des bons débats…

M. Dupuis: On verra. On en discutera.

M. Turp: …on va avoir des bons débats là-dessus, je crois, et…

La Présidente (Mme Thériault): Ça va, messieurs?

M. Dupuis: Je pense qu’on est plates, là, pour Mme Martineau puis Me Morin.

M. Turp: Oui. Ha, ha, ha! Bien c’est elles qui provoquent ce débat.

La Présidente (Mme Thériault): Mais de toute façon, messieurs et mesdames, vous allez me permettre de remercier Mme Martineau et Me Morin de leur présence en commission.

Et je suspends les travaux jusqu’à 14 heures. Bon appétit à tous.

(Suspension de la séance à 12 h 46)

(Reprise à 14 h 3)

La Présidente (Mme Thériault): À l’ordre! À l’ordre, s’il vous plaît! Donc, la Commission des institutions reprend ses travaux. Je demanderais encore une fois aux personnes présentes dans la salle de bien vouloir fermer leurs téléphones cellulaires ou de les mettre en mode vibration, s’il vous plaît.

Je vous rappelle que la commission est réunie afin de tenir des consultations particulières et auditions publiques à l’égard du projet de loi n° 99, Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics.

Donc, cet après-midi, le premier groupe, qui a déjà pris place, c’est l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique et Comité de restauration de la rivière Etchemin. Je vous souhaite la bienvenue. On s’était vus déjà au printemps, donc vous êtes familiers avec nos procédures. Donc, sans plus tarder… J’imagine que c’est Mme Lachapelle qui nous fait la présentation. Donc, Mme Lachapelle, si vous voulez nous présenter les personnes qui vous accompagnent, et par la suite vous avez 15 minutes pour nous faire vos doléances sur votre mémoire.

Association québécoise de lutte contre
la pollution atmosphérique (AQLPA) et Comité
de restauration de la rivière Etchemin (CRRE)

Mme Lachapelle (Jocelyne): Donc, honorables membres de la commission, Mmes, MM. les députés, M. le ministre, merci de nous recevoir. Je me nomme Jocelyne Lachapelle, et je suis directrice générale adjointe de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique, et je suis également membre du Comité de restauration de la rivière Etchemin, et je suis active en environnement depuis 20 ans maintenant au Québec.

Je vais vous présenter M. Normand Landry, à mon extrême droite, doctorant et chercheur à l’Université McGill en études de la communication. Il a précédemment été étroitement impliqué au Laboratoire de recherche sur les politiques de communication de l’Université de Montréal. Ses principaux intérêts de recherche portent sur les mouvements sociaux, les controverses liées à la régulation des médias et la communication politique. Et maintenant M. Dominique Neuman est avocat depuis 21 ans. Pratiquant en droit de l’environnement et de l’énergie, il représente de nombreux organismes environnementaux, dont l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique et Stratégies énergétiques, devant différents organismes administratifs tels que la Régie de l’énergie et le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement. Et je cède la parole à Normand Landry.

La Présidente (Mme Thériault): Je vous remercie. M. Landry, la parole est à vous.

M. Landry (Normand): Oui. Mmes, MM. les députés, membres de la commission, M. le ministre, permettez-moi d’abord de vous féliciter tous et toutes. C’est avec plaisir et satisfaction que nous avons accueilli le projet de loi n° 99 qui a été déposé par M. le ministre en juin dernier. Vous avez su jusqu’à présent travailler de manière conjointe et non partisane afin de protéger les valeurs fondamentales à la société québécoise de liberté d’expression et de droit à la participation publique.

Permettez-moi ensuite de vous remercier plus personnellement, M. le ministre. Vous avez su faire preuve d’un leadership dans ce dossier qui fera, j’en suis certain, l’envie de vos homologues des autres provinces. Donc, merci d’avoir su écouter nos préoccupations. Il est à souhaiter que d’autres juridictions canadiennes suivent l’exemple du Québec en la matière.

Donc, maintenant, suite à une étude détaillée des diverses lois visant à empêcher les poursuites-bâillons aux États-Unis et ailleurs dans le monde, le comité Macdonald en arrive à la conclusion que toute politique concernant le contrôle des poursuites-bâillons doit rencontrer les objectifs suivants ? ils sont au nombre de cinq, hein: la protection du droit à la liberté d’expression et d’opinion publique, l’interruption rapide des poursuites-bâillons en cours d’instance ? fondamental, d’ailleurs ? la dissuasion des initiateurs de poursuites-bâillons, le maintien de l’intégrité et la finalité de l’institution judiciaire, et finalement l’accès à la justice. Donc, pour que le projet de loi n° 99 soit véritablement efficace, il devra assurer trois choses, trois grands objectifs: premièrement, la protection des victimes de poursuites-bâillons; ensuite, les réparations des dommages qui ont été encourus par les victimes; et finalement la dissuasion des initiateurs de telles poursuites.

Donc, bien que le projet de loi soit satisfaisant à de nombreux égards, nous estimons que celui-ci ne répond pas entièrement aux objectifs décrits de protection, de dissuasion et de réparation en cas de poursuite abusive. Le projet de loi est notamment muet sur les renonciations au droit d’expression contenues dans les règlements hors cour bâillons. Mon collègue, Me Neuman, vous résumera nos préoccupations dans quelques instants.

Donc, avant de passer la parole à Me Neuman, je voudrais vous rappeler, aux députés ? et vous m’excuserez, M. le ministre, d’apporter ici des questions partisanes ? que nous sommes plusieurs, dans la société civile, à craindre le déclenchement d’élections avant l’adoption du projet de loi. Puis-je donc vous demander, M. le ministre, si vous pouvez faire tout en votre pouvoir pour que nos propositions soient prises en considération et que le projet de loi soit adopté dès que possible et évidemment, et possiblement, avant le déclenchement éventuel bien sûr, MM. les députés, d’élections?

Une voix: …

M. Landry (Normand): Parfait. Donc, je vous remercie de votre temps et je vais maintenant passer la parole à Me Neuman.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Me Neuman.

M. Neuman (Dominique): Bonjour, Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes et MM. les députés. Alors, comme vous avez pu le voir, nous avons fait distribuer à la commission le texte de notre mémoire que nous avons voulu être un outil qui va vous servir lors de l’étude prochaine article par article de ce projet de loi. Dans ce mémoire, nous avons couvert tous les articles du projet de loi et l’avons complété de certaines autres recommandations. Donc, si vous voulez bien, je vais passer en revue, à partir du texte du mémoire, nos différentes recommandations.

n(14 h 10)n

Donc, je vous attirerais tout de suite à la page 4 de notre mémoire, relative aux principes et au préambule. Les rédacteurs du projet de loi avaient deux choix qui leur étaient proposés par le rapport Macdonald quant aux principes à énoncer dans le projet de loi: d’une part, soit se centrer sur la protection du respect de la liberté d’expression et de la participation des citoyens aux débats publics, soit se centrer sur l’utilisation abusive des tribunaux. Le rapport Macdonald évoquait la possibilité de codifier ces deux principes, et c’est ce que les rédacteurs du projet de loi ont choisi de faire, et c’est très bien, c’est ce que nous avions recommandé en février, c’est ce que d’autres organismes ont également recommandé.

Donc, nous appuyons la formulation du préambule de ce projet de loi, sauf que nous avons une certaine inquiétude quant à la survie de ce préambule comme outil d’interprétation des dispositions qui suivent puisque toutes les dispositions qui suivent sont amenées à être abrogées, puisqu’elles seront intégrées au Code de procédure civile. Donc, on se retrouvera, après la refonte permanente des lois, avec un projet de loi dont le seul contenu restant sera un préambule, mais toutes les dispositions substantives seront dans le Code de procédure civile.

Donc, ce que nous avons recommandé, nous l’avons formulé à la page 5 du mémoire: c’est d’intégrer ces mêmes principes du préambule au Code de procédure civile lui-même pour qu’ils servent de guide d’interprétation, et le meilleur endroit pour le faire était les articles 4.1 et 4.2, ce qui a été d’ailleurs évoqué dans le rapport Macdonald. Donc, nous vous encourageons à faire cette intégration des principes au Code de procédure civile.

J’attire maintenant votre attention à la page 10, concernant le droit d’appel. Nous traitons de cette question tout de suite puisque c’est dans l’ordre numérique des articles du Code de procédure civile. C’est un élément nouveau que nous vous apportons. Nous savons que… C’est-à-dire, si une cause est… si une poursuite abusive est rejetée, le poursuivant, si le montant du litige est supérieur à 50 000 $, dispose d’un droit d’appel de plein droit devant la Cour d’appel. C’est la règle, actuellement. Ce que nous voulons apporter, c’est une règle différente dans le sens suivant, à savoir que, si la cause est rejetée au motif qu’il s’agissait d’une poursuite abusive, donc si cela fait partie des motifs de rejet, que ce soit un rejet préliminaire ou un rejet après audience au mérite, nous pensons qu’il serait approprié de modifier la règle de l’appel de plein droit et de prévoir que l’appelant doit demander la permission à un juge de la Cour d’appel avant de pouvoir porter en appel ce jugement. La raison de cela est que le poursuivant a déjà été reconnu comme abusif par un tribunal de première instance, donc il a déjà une prise contre lui, et il serait normal, comme l’objectif de la loi est d’empêcher l’épuisement des défendeurs par la multiplication des procédures, il nous semble que ce procédé donnerait une arme aux défendeurs pour éviter que leur supplice se prolonge et espérer qu’un juge de la Cour d’appel puisse refuser la permission d’en appeler du jugement initial.

Nous passons à la page 13. Donc, la page 13 concerne l’article 54.1 nouveau du Code de procédure civile que vous proposez d’édicter. Nous sommes tout à fait en accord avec cet article, avec plusieurs aspects de cet article, puisque d’une part l’article uniformise le droit des tribunaux, à toutes les étapes de la procédure, de faire déclarer la poursuite abusive. L’article définit l’«abus» et fusionne les différentes notions d’«abus», donc y compris l’article 75.1 que l’on connaît actuellement dans le Code de procédure civile, pour fusionner cela dans un principe général. Également, l’article donne, de façon large, des pouvoirs au tribunal de prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive. Donc, on présume que cette disposition sera plus large que les articles qui suivent, qui, eux, sont des cas particuliers de sanctions pouvant être prononcées, et cela cadre parfaitement avec les objectifs du projet de loi.

Là où nous avons certaines réserves et certaines propositions de modification, c’est quant à l’article 54.2, qui se trouve couvert à la page 15 du mémoire, concernant l’inversion du fardeau de la preuve. Tel que rédigé, il nous semble qu’il n’y a pas véritablement d’inversion de fardeau de la preuve qui est introduite par l’article 54.2 proposé puisque, dans un régime civil où la preuve… les parties doivent convaincre le juge par prépondérance de preuve. Si, comme le texte de l’article 54.2 propose, Si, à la face même de la demande en justice, celle-ci apparaît abusive, bien notre droit actuel prévoit déjà que, selon les règles du fardeau de preuve, le poursuivant a le fardeau de démontrer que sa poursuite n’est pas abusive. Donc, le fait d’exiger, pour qu’il y ait inversion du fardeau de preuve, qu’il faille démontrer que la procédure constitue, à sa face même, un abus, ce n’est pas une vraie inversion de fardeau de preuve. Ce que nous proposons, c’est d’introduire la notion d’apparence d’abus comparable à ce que l’on retrouve dans le droit de l’injonction pour pouvoir déclencher cette inversion du fardeau de preuve.

Également, nous proposons de spécifier deux autres éléments à cet article 54.2: d’une part, que la demande pour faire déclarer abusive une procédure est traitée d’urgence et, d’autre part, que, lors de l’audience sur cette demande de déclaration d’abusivité, le juge peut assujettir l’examen de cette demande à certaines conditions et requérir des engagements des parties afin d’atteindre l’objectif d’éviter l’abus. L’idée est d’éviter que la requête préliminaire en rejet de l’action se transforme elle-même en une audience-fleuve qui épuisera économiquement la partie défenderesse.

Je passe à la page 18, qui énonce cinq remèdes qui seront à la disposition du tribunal en cas d’abus à l’article 54.4. Nous sommes, de façon générale, en accord avec ces articles, à l’exception de la disposition du cinquième paragraphe relative à la provision pour frais. Les conditions d’octroi de cette provision pour frais nous semblent beaucoup trop restrictives. D’une part, avant que l’article 54.4 soit déclenché, il faudrait, par définition, qu’on se trouve déjà dans une situation où il y a apparence d’abus de la partie poursuivante. À cela le paragraphe 5° ajoute trois critères supplémentaires: il faut qu’il y ait des motifs sérieux d’obtenir une provision pour frais; autre critère, il faut que les circonstances le justifient; et, dernier critère, il faut que le juge constate qu’une partie se trouve dans une situation économique telle qu’elle est dans l’impossibilité de valablement faire valoir son point de vue.

Nous proposons de remplacer cette notion d’«impossibilité de faire valoir son point de vue» par la notion de «difficulté à faire valoir son point de vue» et, de façon plus générale, nous proposons une reformulation de cet article afin qu’il soit plus aisé au défendeur d’obtenir une provision pour frais.

Et nous vous rappelons que, s’il devient difficile ou irréaliste pour une partie d’obtenir cette provision pour frais, cette partie a de bonnes chances de venir frapper à la porte du gouvernement, à votre porte, M. le ministre, pour demander une aide financière par un fonds d’aide, ce qui fait partie d’une de nos recommandations suivantes. Donc, plus le défendeur aura de la facilité à obtenir cette provision pour frais dans les cas qui le méritent, moins l’aide financière du gouvernement sera sollicitée.

À la page 20, nous traitons des dommages-intérêts. Il y a une erreur de rédaction à l’article 54.5, cet article semblant s’appliquer indistinctement à la partie poursuivante et à la partie poursuivie, et nous avons proposé une reformulation.

À la page 22, nous traitons de la responsabilité des administrateurs. C’est un principe nouveau, et nous félicitons les rédacteurs du projet de loi pour avoir introduit la possibilité que les administrateurs soient personnellement tenus responsables des dommages de la personne morale ou, lorsqu’il s’agit de l’administrateur du bien d’autrui, du patrimoine qui poursuit, qui est à l’origine de la poursuite.

À la page 23, nous proposons simplement une modification de formulation.

Et finalement, à la page 25, nous traitons des règlements hors cour bâillons, qui est un point très important que nous voulons faire valoir à la commission.

n(14 h 20)n

Il est de la nature des poursuites-bâillons de ne pas se rendre jusqu’au jugement au mérite. Dans la quasi-totalité des cas, l’objectif visé par le poursuivant est d’amener à bâillonner la partie défenderesse, et très souvent cela se fait en lui offrant un règlement hors cour par lequel le poursuivant accepte de se désister de tout sans frais si la partie poursuivie accepte de consentir à ne plus nuire ou ne plus parler contre le projet du poursuivant. Dans la quasi-totalité des cas, c’est de cette manière que se terminent les poursuites abusives. Donc, s’il n’y a pas d’encadrement aux règlements hors cour bâillons, le projet de loi n’aura pas atteint ses objectifs.

Nous avons proposé un texte, qui circulait déjà depuis plusieurs mois, que nous avions présenté au mois de février, lors d’une présentation antérieure en commission, à l’effet que, si un règlement hors cour ou une entente de désistement comprend une clause par laquelle une partie renonce à sa liberté d’expression ou au droit de participer aux affaires publiques, cette clause est nulle, sauf si elle est approuvée par le juge, et le juge qui serait celui du procès que cette entente vise à terminer.

La Présidente (Mme Thériault): Et je vais vous demander d’aller à la conclusion, vous avez déjà dépassé le temps.

M. Neuman (Dominique): D’accord, si vous pouvez me donner quelques instants pour compléter ce point.

Donc, ce que nous proposons, c’est que ce genre de clause ne puisse être valide que si elle est approuvée par le juge. Et, comme la partie poursuivie ayant signé n’est plus à même de se défendre et de plaider contre la présence de cette clause, nous proposons que le juge ait le pouvoir de s’enquérir lui-même des circonstances ayant mené à la présence de cette clause de l’entente et également que le juge puisse demander à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse de participer à l’audience au sujet de cette clause et faire des représentations sur la question de savoir si elle devrait être maintenue ou pas. Donc, ça termine ce que j’avais à soumettre sur les règlements hors cour bâillons.

À la page 28, nous traitons très rapidement de l’encadrement du droit d’appel s’il est exercé. Je ne vais pas m’attarder là-dessus, mais je vais vous parler, à la page 30, d’une clause que nous recommandons d’ajouter.

La Présidente (Mme Thériault): Je m’excuse, je me dois de vous demander d’aller à la conclusion.

M. Dupuis: Sur mon temps, de consentement. Sur mon temps.

La Présidente (Mme Thériault): Je comprends que vous allez donner du temps, sauf que vous avez déjà trois minutes de dépassées, et je me dois de tenir rigoureusement l’horaire ici. Donc, allez à votre conclusion, s’il vous plaît.

M. Neuman (Dominique): En tout cas, nous proposons que la loi spécifie qu’elle s’appliquerait aux causes pendantes. Nous comprenons qu’il y a accord sur le principe qu’elle s’appliquerait, mais il pourrait y avoir une difficulté d’interprétation qui se poserait si ce n’était pas explicite au projet de loi.

Donc, je termine ma présentation là-dessus. Les autres éléments sont déjà spécifiés au texte. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci beaucoup, Me Neuman. Donc, sans plus tarder, nous allons aller à la période d’échange avec le ministre. M. le ministre.

M. Dupuis: Oui. Alors, Me Neuman, M. Landry, Mme Lachapelle, merci beaucoup de l’excellent travail que vous avez fait suite au dépôt du projet de loi et des commentaires que vous avez formulés, M. Landry particulièrement, en début d’intervention.

Simplement quelques remarques, parce que ma collègue la députée de Gatineau voudrait s’entretenir d’un certain nombre de sujets avec vous, donc je vais quand même aller assez rapidement pour répondre à un certain nombre de vos commentaires.

Premièrement, vous n’aviez pas ? et ce n’est pas de votre faute, là, il n’y a pas de problème ? vous n’aviez pas le bénéfice d’être ici, ce matin, lorsque nous avons discuté de la rédaction de l’article 54.2, qui est l’article qui indique: «Si une partie établit que la demande en justice [...] constitue, à sa face même…» Les arguments que vous soulevez ont été soulevés par d’autres groupes, et, ce matin, j’ai indiqué que nous retenions les objections qui sont faites à cette rédaction de l’article 54.2, et j’ai, ce matin, proposé un projet de modification à l’article 54.2 qui ferait en sorte que le renversement du fardeau de preuve ne serait pas simplement théorique mais pourrait être effectif, en ce sens que, si la partie démontre sommairement que la demande peut constituer un abus, il y aura, à ce moment-là, renversement du fardeau, de telle sorte qu’on va ouvrir ça, là. Prenez ça pour acquis.

Est-ce que ce sera cette formulation-là particulière? J’ai invité les partis d’opposition à me suggérer une formulation qui irait évidemment dans le sens de ce que je vous mentionne maintenant. Mais le principe est acquis qu’effectivement la formulation actuelle de 54.2 pourrait être trop restrictive ou apparaître trop restrictive.

Donc, cette chose-là étant réglée, sur le préambule, c’est certain que le choix que le gouvernement a fait et propose aux partis d’opposition, c’est de modifier le Code de procédure civile. C’est un choix délibéré que nous avons fait parce que nous ne voulons pas nous concentrer uniquement dans le cas des poursuites-bâillons, nous voulons ouvrir ce champ-là pour toute poursuite qui pourrait apparaître abusive.

On a voulu aussi parler de la quérulence, là, l’espèce de prolifération de demandes par la même personne. On voulait régler ça. On a choisi de l’inclure dans le Code de procédure civile, de telle sorte que bien sûr on ne peut pas inclure un préambule dans le Code de procédure civile. Mais retenez quand même que le préambule ne disparaît pas dans l’interprétation que les gens feront parce qu’on ne l’inclut pas dans le Code de procédure civile. Il reste que les gens pourront toujours se référer à l’intention du législateur. Les propos que nous tenons tous sont enregistrés, et les juges pourront s’y référer ou les parties pourront s’y référer pour interprétation. Mais honnêtement, entre vous et moi, au moment où on se parle, je ne vois pas de raison personnellement pour modifier l’attitude que le gouvernement a choisie de modifier ou d’inclure les dispositions dans le corpus du Code de procédure civile.

La provision pour frais, on va regarder vos arguments, mais ma première réaction sur la provision pour frais, c’est celle de vous dire: Ce n’est pas automatique, la provision pour frais, il faut quand même établir un certain nombre de… il y a des critères que la partie qui le requiert devra établir. Je pense que c’est correct. On peut regarder, là, on peut regarder, en fonction de ce que vous dites, si ce n’est pas un fardeau qui est trop important, mais honnêtement on y a réfléchi avant de le déposer et on pense que ça peut passer la rampe.

Le règlement hors cour. Le projet de loi et les dispositions qui sont soumises à la discussion publique et à la discussion avec les partis d’opposition, la représentation que vous nous faites aujourd’hui est en fonction de la situation qui existe au moment où on se parle, sans qu’il y ait modification du Code de procédure civile. Moi, je vous comprends parfaitement. Dans la situation qui existe actuellement, il y a plusieurs situations où les parties, pour une raison ou pour une autre ? je ne veux pas juger ça ? décident de régler hors cour, et, dans ce règlement hors cour, évidemment il y a cette disposition que j’appellerai, pour les fins de la discussion, bâillon, entre guillemets. Maintenant, évidemment, c’est dans la situation qui existe actuellement. Ce qu’on cherche à faire en déposant les dispositions qu’on a déposées et en amendant le Code de procédure civile dans le sens où on le fait, c’est justement qu’on puisse aller à jugement final et qu’il y ait la détermination par un juge que, oui ou non, il s’agit d’une poursuite abusive, et ainsi permettre qu’on aille jusqu’à un jugement final, d’une part. Simplement pour vous dire ça, là. C’est des réflexions que je fais.

Et je termine en vous disant: S’il devait encore y avoir des règlements hors cour ? et là je m’interroge, je n’ai pas de réponse à l’interrogation que je vous donne ? peut-être est-ce qu’effectivement, dans certains cas, ça favorise les règlements, le fait qu’il y ait des clauses de non-divulgation d’un certain nombre de dispositions dans le règlement hors cour. Mais je ne veux pas aller plus loin que ça dans cette discussion-là parce qu’à l’origine les dispositions sont déposées justement pour qu’on puisse régler la question et qu’on ait un jugement final sur la question de savoir si c’est une poursuite abusive ou non.

C’est les quelques remarques que j’avais à formuler, et je vais maintenant, avec la permission de Mme la présidente, lui demander de permettre à la députée de Gatineau, même si j’ai pris un petit peu plus de temps que prévu, de poser ses questions. Ça va? Merci. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Thériault): Mme la députée de Gatineau, vous avez un peu moins de 10 minutes à votre disposition.

n(14 h 30)n

Mme Vallée: Merci, Mme la Présidente. Alors, merci pour votre présentation. J’avais quelques questions qui découlent des différentes propositions incluses à votre mémoire et dont vous n’avez pas eu la chance probablement, faute de temps… sur lesquelles vous n’avez pas eu la chance d’élaborer. Vous avez soulevé quelque chose qui m’interpelle particulièrement concernant toute la grande réflexion que vous proposez de mettre sur la table avec le Barreau du Québec. Donc, si je comprends bien, vous souhaiteriez que des amendements ou des modifications soient apportés au Code de déontologie des avocats spécifiquement pour contrer, disons, l’impulsion de certains collègues, que pourraient avoir certains collègues à multiplier procédures et poursuites. C’est intéressant. La Loi sur le Barreau prévoit déjà certaines mesures qui visent à user de professionnalisme lorsque nous devons rédiger des procédures, lorsque nous devons représenter des clients. Mais j’aimerais vous entendre sur les amendements ou les modifications que vous pouvez voir ou qui pourraient à votre avis servir d’outils justement pour contrer les poursuites-bâillons et les recours abusifs aux procédures judiciaires.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Me Neuman, vous avez compris que notre collègue de Gatineau, elle est avocate.

M. Neuman (Dominique): Oui.

La Présidente (Mme Thériault): D’accord. La parole est à vous.

M. Neuman (Dominique): Nous n’avons pas proposé que ce soit une modification à la Loi sur le Barreau ni de modification au Code de déontologie des avocats. Il y a déjà des dispositions, dans la Loi sur le Barreau, dans le code de déontologie, sur les devoirs généraux de l’avocat, qui sont très bonnes et qui pourraient déjà couvrir le genre de situation qui est visé par le projet de loi.

Ce que nous avons surtout proposé: c’est au Barreau de prendre une part dans la mise en oeuvre de ce projet de loi donc une fois qu’il sera adopté. C’est un projet de loi qui modifie les règles du jeu, et ce que nous souhaiterions, c’est que le message véhiculé par le projet de loi soit bien transmis, bien reçu par l’ensemble de la communauté juridique, et cela prendrait un rôle de la part du Barreau, un rôle de leadership pour s’assurer que l’approche voulue par ce projet de loi d’abord soit transmise au niveau de la formation des futurs avocats. Également, nous parlons d’une réflexion au niveau de la déontologie, que, s’il y a des messages que le Barreau peut-être peut vouloir transmettre de façon générale à la profession, il serait peut-être approprié qu’il se penche sur l’opportunité de le faire. Mais nous n’allons pas jusqu’à proposer des modifications au texte puisque les textes généraux peuvent suffire à couvrir ce genre de situation.

Et nous avons fait ça aussi sans connaître la position du Barreau, qui est un des témoins qui viendront devant la commission d’ici quelques jours. Nous savons qu’en février le Barreau du Québec était peut-être hésitant quant à l’attitude appropriée face aux poursuites-bâillons et nous comprenons que le Barreau représente l’ensemble des avocats, donc tous ceux qui agissent à tous les égards, et nous ne savons pas si la position du Barreau a évolué, donc… Mais, quelle que soit cette position, une fois que le projet de loi sera adopté, il faut que le Barreau poursuive et d’après nous fasse certaines démarches pour communiquer, pour bien communiquer les objectifs de cette loi à la communauté juridique.

Mme Vallée: Iriez-vous jusqu’à voir le Barreau comme étant un partenaire d’une campagne d’information? Parce que vous avez également mentionné un souhait que la Commission des droits de la personne soit un joueur d’avant-garde dans la campagne de sensibilisation publique.

M. Neuman (Dominique): On n’a pas parlé du Barreau à ce niveau-là. Ce serait la Commission des droits. Ce serait la Commission des droits. En fait, initialement, on avait vu ça davantage comme une démarche du gouvernement du Québec en propre, mais peut-être que, comme la Commission des droits a un mandat spécifique relatif à la protection de la liberté d’expression, il est apparu peut-être qu’elle pourrait être impliquée à ce niveau-là. Et je pense qu’une question lui avait été posée plus tôt aujourd’hui.

La Présidente (Mme Thériault): Mme la députée.

Mme Vallée: Vous avez mentionné tout à l’heure… Le ministre a parlé de la question de la provision pour frais. Vous avez mentionné votre intérêt à voir modifier le paragraphe 5° de l’article 54.4 au niveau de la qualification de la capacité des gens de se représenter adéquatement devant les tribunaux, c’est-à-dire, alors, remplacer «impossibilité» par «difficulté», puis c’est… Bon, on s’entend, il s’agit de deux critères subjectifs. De quelle façon qualifiez-vous la distinction entre l’«impossibilité» et la «difficulté»? La difficulté peut amener l’impossibilité de se représenter, la difficulté d’avoir accès à des fonds.

La Présidente (Mme Thériault): Me Neuman.

M. Neuman (Dominique): En fait, il nous semblait que, bien, introduire une notion d’«impossibilité de faire valoir son point de vue» était un fardeau probablement trop lourd pour… Enfin, il est très difficile à surmonter de la part d’un défendeur.

Ce que nous voulions, c’est assouplir les critères d’admissibilité à cette provision pour frais. C’est certain que nous ne prétendons pas que la provision pour frais devrait être automatique, ce n’est absolument pas ça, notre propos, sauf que nous avons constaté que ce paragraphe 5° est comme alourdi d’une surenchère de conditions qui sont posées au défendeur pour pouvoir obtenir la provision pour frais. Il nous a semblé que c’était vraiment trop et que, dans l’esprit du projet de loi, il fallait rendre l’accès à cette provision pour frais plus facile. Mais de toute façon ce sera toujours un juge qui déterminera si les conditions le justifient, tout comme il déterminera si les autres remèdes qui sont prévus aussi aux autres paragraphes de 54.4 sont appropriés.

Donc, il nous a semblé que, par exemple, en termes de règles d’interprétation, s’il n’y a aucune condition exprimée de cette manière dans les quatre premiers paragraphes et qu’arrivé au cinquième il y a ces trois conditions qui se superposent les unes aux autres, il me semble que le législateur donne un message au juge d’interpréter très restrictivement l’octroi des frais, et nous ne pensons pas que c’est ça, l’objectif du projet de loi. Mais nous n’allons pas jusqu’à l’inverse, qui est de dire que ça devrait être automatique. Aucun des cinq remèdes de l’article 54.4 n’est automatique. Dans tous les cas, il faudra convaincre le juge que les conditions s’y prêtent.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Mme la députée, il reste un peu moins que deux minutes.

Mme Vallée: Vous avez soulevé un autre élément intéressant, lors de votre présentation, concernant le droit d’appel. Je comprends que votre position est d’assujettir tout appel à une procédure de permission d’en appeler. Est-ce que cet assujettissement irait dans les deux sens, c’est-à-dire tant pour l’entreprise ou l’organisme qui s’est fait taxer d’avoir entrepris des poursuites abusives que pour la partie qui est poursuivie? Est-ce que la partie poursuivie qui a fait face à un jugement où on a reconnu que le dossier était un dossier qui n’était pas un dossier abusif, qui souhaiterait se prévaloir d’un droit d’appel, devrait également s’adresser aux tribunaux pour une permission d’en appeler?

La Présidente (Mme Thériault): Vous avez 30 secondes pour répondre.

M. Neuman (Dominique): Il y a deux aspects. S’il s’agit d’une requête préalable pour faire rejeter la poursuite, et qu’elle n’est pas accueillie, donc que le procès se poursuit, dans notre droit d’appel de plein droit, le défendeur devra obtenir la permission d’un juge de la Cour d’appel. Si par contre on se rend au jugement au mérite, et que la poursuite est gagnée par le poursuivant, et que dans ce cas s’il s’agit d’une cause de plus que 50 000 $, il y a un droit d’appel de plein droit par le défendeur qui aura perdu et qui aura été condamné à l’occasion de cette poursuite.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Ceci met fin à l’échange avec la partie ministérielle. Désolée, je dois tenir le temps. Donc, nous allons du côté de l’opposition officielle avec le député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Alors, bonjour, Me Neuman et Mme Lachapelle, de même que M. Landry. Les principes, je vais immédiatement, là… De toute façon, d’entrée de jeu, je dois dire que votre mémoire est très bien libellé, très bien argumenté, et puis c’est très agréable de voir des solutions puis aussi des tableaux comparatifs, des textes comparatifs, ce qui nous aide beaucoup dans notre travail.

n(14 h 40)n

Je vais essayer de parcourir les différents points que vous avez dans votre mémoire. Le premier point, concernant les principes, j’aime bien quand même l’avenue que vous proposez au sujet en fait des articles du préambule qui pourraient facilement être ajoutés déjà aux articles 4.1 et 4.2, en fait les intercaler dans ces articles-là qui… En substance, il y a quand même, ce que je peux dire, une… C’était comme le précurseur un peu de ce que nous avons présentement en vertu du projet de loi n° 1999. En fait, «elles sont tenues de ne pas nuire», à 4.1… Je lis un extrait de 4.1. Lorsque le présent code est… «Elles sont», en fait on parle, là, des procédures. Ces procédures sont tenues de ne pas… en fait ne sont pas tenues, «les parties ne sont pas tenues de ne pas agir en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive ou déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi». On sait que maintenant la bonne foi doit être quand même… on présume de la bonne foi dans toute procédure. Et «le tribunal veille au bon déroulement de l’instance et intervient pour en assurer la saine gestion».

Alors, je dois comprendre, le préambule, que ce que vous nous suggérez en ce qui concerne les considérants du projet de loi n° 99, vous souhaiteriez que ces considérants-là soient intégrés aux articles 4.1 et 4.2. Est-ce bien là dans le fond le propos que vous voulez, en fait le souhait que vous nous exprimez aujourd’hui?

La Présidente (Mme Thériault): Me Neuman.

M. Neuman (Dominique): Oui. Attendez, je veux être sûr de bien comprendre la question.

M. L’Écuyer: Est-ce que vous aimeriez que ce principe-là soit établi, soit ajouté?

M. Neuman (Dominique): Oui. Bien, absolument. Donc, ce que nous souhaitons, c’est de codifier le préambule en l’intégrant à la formulation de 4.1 et 4.2, donc selon la proposition que nous vous avons présentée.

Et je tiens à souligner que, ce faisant, nous ne contestons pas, nous ne remettons pas en question l’orientation du projet de loi, qui consiste à intégrer les règles au Code de procédure civile. Nous sommes tout à fait d’accord avec cette orientation. Je sais qu’à l’époque du rapport Macdonald il y avait plusieurs voies possibles, mais nous sommes tout à fait d’accord avec cette orientation et nous sommes conscients évidemment que, même après la refonte du projet de loi, le préambule serait toujours présent, il ne serait pas aboli. Mais il nous semble qu’il serait plus facile, plus adéquat pour les plaideurs que le contenu de ce préambule soit intégré au Code de procédure civile lui-même, dans ses articles introductifs. Et l’article 4.1, comme vous l’avez souligné, il est très approprié pour codifier ces principes puisqu’ils sont presque la conséquence logique de ce qui trouve déjà écrit à 4.1.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L’Écuyer: Et, Mme la Présidente, ma deuxième question à cet effet: Est-ce que vous avez déjà eu l’occasion de plaider en fonction de 4.2, et plus particulièrement concernant «les actes de procédure choisis sont, eu égard aux coûts et au temps exigés, proportionnés à la nature et à la finalité de la demande»? Est-ce que vous avez déjà eu, dans votre longue expérience de 20 ans de pratique, à plaider cet article 4.2?

La Présidente (Mme Thériault): Me Neuman.

M. Neuman (Dominique): Oui. D’abord, les deux articles n’ont pas 20 ans d’expérience, mais malheureusement je n’ai pas eu l’occasion de les plaider, et c’est d’ailleurs ce qui est mentionné dans une des citations que nous avons indiquées, à l’effet que cet article est sous-utilisé par les avocats. Donc, je plaide coupable, je ne les ai moi-même pas utilisés.

M. L’Écuyer: Est-ce que vous avez fait une recherche à savoir effectivement l’application de 4.1 et 4.2 et une recherche… Est-ce que vous avez fait une recherche jurisprudentielle au sujet de 4.1 et 4.2, au niveau de l’application des juges ou du tribunal?

La Présidente (Mme Thériault): Me Neuman.

M. Neuman (Dominique): …je n’ai pas fait de recherche spécifique. Une certaine recherche est citée dans le rapport Macdonald, mais je n’ai pas moi-même vérifié au niveau de la jurisprudence plus récente.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L’Écuyer: Merci, Me Neuman. Je dois comprendre, au sujet de l’article 26, la permission d’appeler lorsqu’il y a une décision rendue… Je reviens un peu à la question de ma consoeur, et plus particulièrement en vertu de l’article 165, la modification au point 4 du projet de loi concernant: L’article 165 du code est modifié par l’ajout de l’alinéa suivant. Je voudrais quand même savoir votre opinion au sujet de l’inscription, ce qu’on appelle l’inscription partielle en droit en rapport avec l’article 26.

La Présidente (Mme Thériault): Me Neuman.

M. Neuman (Dominique): Oui. Attendez un petit instant, je… En tout cas, nous, notre proposition n’abolit pas le recours spécifique selon l’article 165. La proposition que nous faisons porte simplement sur une reformulation, une interversion du texte ? un petit instant; oui ? pour s’assurer que la possibilité de recourir à cet article 165 pour demander une requête en rejet préliminaire pour abus ne sombrera pas dans une dissertation, à savoir: Est-ce que c’est une irrecevabilité en droit ou une irrecevabilité tenant compte à la fois des points de fait et de droit? Donc, c’est pour cela que nous l’avons reformulé. Étant donné qu’il y a déjà le recours selon l’article 54.2 ou 54.3, ce que nous voulions éviter, c’est que la formulation de l’article 165 n’oblige à une… ne sème la confusion, lorsque de tels recours seraient exercés, pour distinguer une irrecevabilité en droit d’une irrecevabilité qui serait fondée selon 54.3. Selon notre compréhension, selon la formulation, que nous proposons, de 165 in fine, cela inclurait le motif de 54.3 s’il est présenté de façon préliminaire. Est-ce que ça répond à votre question?

M. L’Écuyer: Ça répond partiellement, Mme la Présidente. Simplement pour ajouter: on est dans un contexte effectivement où il y a urgence. On a une procédure qui est intentée, une personne qui prétend en fait être victime d’abus de procédure, et il se doit ou elle se doit d’intervenir immédiatement et de déposer une requête ou bien de faire une demande au tribunal en question. Cette demande-là, si je reprends l’article, en fait ça devient une requête de droit en droit partiel. Et je reviens à l’article 165. Quand même, on amende l’article 165 et, à ce moment-là, on fait droit à… on demande un jugement, et le tribunal va rendre un jugement sur notre position, en fait sur les arguments qu’on a prétendus devant le tribunal.

Effectivement, il pourrait y avoir appel de cette décision-là sur permission en vertu de l’article 26 ? vous me corrigerez si je me trompe, jusque-là ? et ça peut faire automatiquement que ça peut quand même… il peut y avoir des délais supplémentaires qui soient accordés, à ce moment-là, et là on peut continuer, dans plusieurs procédures, à venir avant de débattre du fond du dossier, et je voudrais savoir si effectivement…

C’est beau de marquer ici, à votre point 4, «demande de rejet» et «l’inversion du fardeau de la preuve». Vous vous êtes penchés sur cette question-là, vous utilisez le mot «urgence» et vous dites: On va utiliser des affidavits, un peu comme les requêtes en injonction. Vous demandez que les participants puissent déposer des affidavits pour appuyer leurs principes qui sont établis dans leurs requêtes ou dans leurs demandes. Un, avec les affidavits, vous ne craignez pas qu’il y ait un 93, en vertu de l’article 93, qu’il y ait des interrogatoires qui soient demandés au préalable? Et, deuxièmement, vous ne croyez pas qu’à ce moment-là cette décision-là puisse faire l’objet d’un appel et ainsi aller d’appel… avec des délais supplémentaires?

n(14 h 50)n

M. Neuman (Dominique): Sur les interrogatoires, dans notre proposition à l’article 54.2, au deuxième paragraphe, nous prévoyons que le juge puisse assujettir l’examen d’une telle demande ? donc, une requête en rejet ? à certaines conditions et requérir des engagements des parties afin d’atteindre l’objectif d’éviter l’abus, Donc, le juge pourrait, dans ce cadre-là, limiter ou même interdire la possibilité de faire certains interrogatoires, dans le respect évidemment de la règle audi alteram partem. Il pourrait prévoir différents moyens de preuve pour s’assurer que la requête préliminaire ne soit pas elle-même l’occasion d’une audience-fleuve où la partie défenderesse s’épuiserait économiquement.

Par ailleurs, en ce qui concerne le droit d’appel, selon le droit actuel, selon l’article 26 ? et d’ailleurs il y a une erreur, comme vous avez pu le constater, il est fait mention de l’article 29 dans notre mémoire, mais c’est «l’article 26» qu’il faut lire ? selon le droit actuel, si la cause est de plus de 50 000 $ et si une demande est rejetée à l’occasion d’un article 165, il y a droit d’appel de plein droit. Si elle n’est pas rejetée, la cause se poursuit et il n’y a pas d’appel de plein droit. Il n’y a qu’un appel sur permission, selon le droit actuel. Et la proposition que nous avons faite au mémoire est de faire en sorte que, si la poursuite est rejetée, selon l’article 165, au motif qu’elle est abusive, il n’y aurait plus d’appel de plein droit comme dans notre droit actuel mais que cet appel ne se ferait que sur permission.

Donc, l’objectif est de limiter la multiplication des procédures, parce qu’effectivement, si le défendeur croit être poursuivi abusivement et ne réussit pas, au stade préalable, à faire rejeter cette poursuite, il est certain que son intérêt, à partir de ce moment-là, c’est d’aller au procès, au fond, le plus rapidement possible, donc de demander, s’il le peut, au tribunal d’alléger les procédures interlocutoires pour se rendre le plus rapidement possible au débat au mérite et donc également de limiter la possibilité que le poursuivant fasse des appels des différents jugements interlocutoires qui pourraient être rendus.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Il vous reste 1 min 30 s, question, réponse.

M. L’Écuyer: Oui. Au sujet des dommages et intérêts, vous semblez soulever que l’article 54.5… vous sentez comme une problématique au sujet du libellé même de l’article, parce que vous nous dites, à un moment donné: «Cela devient donc un désincitatif à se plaindre des abus.» Alors, il faut que la personne se déclare abusée pour pouvoir profiter de l’article.

La Présidente (Mme Thériault): Me Neuman.

M. Neuman (Dominique): Oui. L’objet de l’article, selon notre compréhension, est d’énumérer certaines sanctions contre l’auteur d’une poursuite abusive. Or, tel que rédigé dans le projet de loi, l’article 54.5 semble en fait ne pas s’adresser exclusivement à cette partie mais s’adresser aux deux parties. Par exemple, un premier remède peut consister au «remboursement de la provision pour frais». Donc, c’est définitivement un remède dirigé contre le défendeur. Et par la suite on parle de «condamner une partie à payer [...] des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie», et il me semble que… En fait, la formulation ne m’apparaît pas correspondre aux objectifs du projet de loi, qui est de viser la partie poursuivante qu’on aura déclarée… que le tribunal aurait préalablement déclarée abusive.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Ça vous va? Merci. Nous allons aller du côté du député de Mercier.

M. Turp: Merci. J’avais hâte. D’ailleurs, je souligne aux membres de la commission que, par la magie de l’électronique et du sans-fil, alors j’ai reçu, à 14 h 31, un communiqué de presse diffusé conjointement par votre association, la Ligue des droits et libertés, le Réseau québécois des groupes écologistes et Écosociété, donc ceux qu’on reçoit cet après-midi, qui s’intitule Poursuites-bâillons (SLAPP): un projet de loi pertinent qui doit être bonifié ? Campagne de lettres à l’attention de la Commission des institutions. Alors, nous allons bientôt recevoir des lettres.

Une voix: C’est déjà commencé.

M. Turp: C’est déjà commencé?

La Présidente (Mme Thériault): J’en ai reçu, moi, ce matin.

M. Turp: Alors, la présidente en a reçu. Donc, on va recevoir des lettres qui visent à bonifier notre projet de loi dans le sens que vous proposez, j’imagine, et que les autres organismes le proposent également.

Alors, d’abord, merci beaucoup d’avoir accepté de venir devant notre commission. Et surtout je veux souligner la qualité exceptionnelle du mémoire. Vraiment, on a le droit d’être sévère des fois, là, puis dire des choses qu’on veut dire, mais, moi, je veux dire que ce mémoire est vraiment un exemple de contribution exceptionnelle à la qualité de nos travaux, qui va nous aider, nous, les parlementaires, à faire une meilleure loi. Vous avez non seulement bien motivé les modifications que vous proposez, mais vous les avez même rédigées. Vous nous donnez un bon coup de pouce, là, sur des questions fines de rédaction.

Ce matin, le ministre a montré une ouverture à la reformulation de certaines dispositions qui nous préoccupent, nous, et de toute évidence qui vous préoccupent, parce qu’il faut faire la meilleure loi. Un de vos collègues disait: Bien, il faudra que les autres en fassent, mais, avant que les autres en fassent, faisons-en une, nous, qui est la meilleure, une loi pionnière, une loi innovatrice, une loi qui va donner l’exemple aux autres ici et ailleurs dans le monde. Peut-être même les Californiens vont modifier leur loi qu’ils ont faite avant nous parce que la nôtre va être meilleure que la leur. D’ailleurs, notre ami ici, je crois, connaît très, très bien l’expérience américaine, n’est-ce pas, et a su comparer les nombreuses lois américaines qui ont été adoptées puis qui pourraient peut-être aussi, dans certains cas, nous inspirer. Alors, un grand merci pour un mémoire d’une qualité exceptionnelle.

Moi, je pense qu’on devrait garder à l’esprit au moins deux rédactions que vous nous proposez, 54.2, parce que vous avez une nouvelle version qui vise à ajouter la notion d’«urgence» et peut-être à assurer que le renversement du fardeau de la preuve soit réel et pas illusoire. Alors, je pense qu’il y a une formulation qui pourrait nous être utile. Je crois aussi… parce que je suis particulièrement préoccupé, moi aussi, par la rédaction du paragraphe 5° de l’article 54.4 qui crée des conditions cumulatives, là, pour la possibilité d’ordonner des provisions pour frais, qui pourrait peut-être, là encore, rendre illusoire une provision pour frais. Et je crois qu’on devrait regarder attentivement le libellé qui nous est proposé à la page 18 de votre mémoire.

Alors, j’ai une question. Peut-être qu’elle va s’adresser… Je ne sais pas si, M. le ministre, vous autoriseriez la mère de notre Code civil et la grande juriste d’État dont on a le privilège d’avoir autour de notre table, là, Mme Longtin, à répondre peut-être à la question de l’effet de la refonte de cette loi éventuelle dans le code, dans la refonte des lois, et la disparition ou l’abrogation du préambule. Vous avez évoqué l’idée que ça n’avait pas d’effet. Est-ce que c’est tout à fait exact? Le fait que la loi soit éventuellement abrogée parce qu’elle est incluse, refondue fait-il vraiment disparaître le préambule? Est-ce que les juges vont hésiter à l’utiliser pour interpréter les dispositions qui sont dans une loi? En tout cas, ce serait peut-être intéressant d’avoir l’avis de Me Longtin là-dessus.

Mais je veux juste faire mes deux commentaires ou mes deux questions avant cette réponse. Alors, j’aimerais que vous nous parliez du fonds d’aide. Vous, vous avez l’expérience, vous avez représenté des organisations ou en tout cas…

Une voix: Non.

M. Turp: Non? Vous n’avez pas représenté… Mais en tout cas, moi, je veux savoir pourquoi vous insistez pour qu’il y ait un fonds d’aide et les provisions, parce qu’ils semblent dire que ce n’est pas incompatible, il faut que ça existe de façon parallèle.

Puis, la deuxième question que j’aimerais vous poser, c’est l’application aux causes pendantes. Le ministre nous a déclaré ce matin ? je le répète, c’est important ? que cette loi s’appliquerait aux causes pendantes, et je veux savoir pourquoi vous insistez pour que le ministre et nous incluions cette déclaration dans le texte du projet de loi.

La Présidente (Mme Thériault): Me Neuman.

M. Neuman (Dominique): Je vais commencer par l’application aux causes pendantes. La raison pour laquelle nous le demandons, c’est parce que, selon les principes d’interprétation des lois, si une disposition est de pure procédure, elle va s’appliquer immédiatement. Si ce n’est pas une disposition de pure procédure, dans ce cas elle ne s’appliquerait en principe pas aux causes pendantes. Et c’est notre préoccupation, à savoir: Est-ce que l’ensemble des nouvelles dispositions qu’on est en train d’introduire, le droit des dommages-intérêts, des dommages-intérêts punitifs, est-ce que ces clauses seront toutes interprétées comme étant des clauses de pure procédure? Et, plus encore, est-ce que l’on souhaite que les citoyens québécois qui sont présentement en train d’être poursuivis par ce que l’on pourrait peut-être qualifier de poursuites abusives, est-ce qu’on veut que ces citoyens fassent les frais d’un débat sur l’interprétation de la nouvelle loi pour déterminer s’il s’agit ou non d’une loi de pure procédure? Est-ce qu’on veut que ces citoyens qui sont déjà victimes de ces poursuites abusives fassent les frais d’un débat sur cette question alors que ce serait tellement simple de l’écrire si tout le monde est d’accord? Si l’ensemble de la commission semble partager ce point de vue, ce serait tellement simple de l’écrire. Ça prendrait une ligne, et c’est réglé.

Pour ce qui est du fonds d’aide, bon, ce que…

n(15 heures)n

M. Dupuis: Bien là, si vous me permettez, avec votre permission, sur ce sujet-là, c’est clair que ce que nous souhaitons, c’est que les dispositions puissent s’appliquer dès leur entrée en vigueur, de telle sorte qu’on regardera la possibilité de l’indiquer dans… de déposer un amendement au moment de l’article par article pour rédiger… de telle sorte qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur cette question-là.

M. Turp: Très bien, très bien, très bien, M. le ministre.

La Présidente (Mme Thériault): Me Neuman, pour la deuxième question du député.

M. Neuman (Dominique): Oui. Sur le fonds…

M. Dupuis: En anglais, on dit…

M. Neuman (Dominique): Oui. Sur le fonds d’aide…

M. Dupuis: M. McCartney parle dans cette langue-là.

Des voix: Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Thériault): Allez-y, Me Neuman, la parole est à vous.

M. Neuman (Dominique): Oui. Sur le fonds d’aide, l’avantage du fonds d’aide pour les défendeurs, c’est que ça leur permet d’une part de débattre de l’obtention de cette somme dans un contexte qui est hors du contexte confrontationnel avec le poursuivant, ça leur permet d’obtenir une aide financière qui soit ferme, selon les mêmes principes que ceux qui sont appliqués actuellement au Fonds d’aide aux recours collectifs, à savoir que les parties qui l’obtiendront au vu du dossier, au vu du sérieux de leur dossier obtiendront cette aide, ne seront pas à risque d’avoir à la rembourser, sauf évidemment le cas où ces parties obtiendraient elles-mêmes une condamnation en leur faveur à des dommages-intérêts. Dans ce cas, la somme obtenue de la partie poursuivante servirait à rembourser le fonds d’aide.

Il nous semble que l’État a un rôle à jouer pour aider les parties qui font l’objet de poursuites abusives, au même titre que l’État joue déjà un rôle pour aider les parties qui souhaitent entreprendre des recours collectifs. Il me semble que c’est la même logique quant à l’implication de l’État. Cela permet aussi de reconnaître que les parties ne sont pas laissées à elles-mêmes, que le gouvernement, comme il l’exprime dans le préambule de son projet de loi, comme il l’exprime en décidant de faire adopter un tel projet de loi… que c’est une situation qui n’est pas acceptable dans la société québécoise et que, si des parties se trouvent victimes de ce genre de procédure et se trouvent à avoir besoin d’une aide financière, elles peuvent avoir recours à cette aide de la part de l’État. Puis, au niveau administratif, nous ne l’avons pas proposé textuellement, mais il serait parfaitement concevable de pouvoir fusionner le fonds d’aide que nous proposons au Fonds d’aide aux recours collectifs; la structure administrative est déjà en place, et ce seraient les mêmes règles, quant au remboursement, que j’ai déjà mentionnées.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Il vous reste environ deux minutes. Vous avez adressé une question pour Me Longtin.

M. Turp: Oui. Je ne sais pas si le ministre consentirait. C’est une question de droit pur, là, de…

La Présidente (Mme Thériault): D’accord. Donc, le ministre…

M. Turp: Et je ne sais pas, Me Longtin, si…

M. Dupuis: Si Mme Longtin peut répondre à la question, je n’ai aucun problème.

La Présidente (Mme Thériault): Le ministre consent. Donc, Me Longtin, il y a un consentement. Me Longtin, la parole est à vous pour la réponse.

Mme Longtin (Marie-José): Oui. Dans les opérations qui se font au moment de l’intégration des lois dans le recueil général refondu, les Lois refondues, en fait on va aller chercher les modifications qui sont apportées au Code de procédure civile, mais on ne fait pas disparaître la loi. Donc, la loi demeure, et donc le préambule peut être invoqué.

M. Turp: Si vous me permettez, madame, donc la loi qui subsiste, qui existe encore, pourra être invoquée par les plaideurs pour interpréter les dispositions d’une autre loi, qui est le Code de procédure civile, qui a fait l’objet de la refonte, là. Parce que c’est ça, l’inquiétude de nos amis ici, c’est que finalement on ne puisse plus l’utiliser à cette fin-là, donc il faudrait inclure l’équivalent des dispositions dans le code.

La Présidente (Mme Thériault): Il reste 30 secondes, Me Longtin.

M. Turp: Et vous nous assurez que cette autre loi pourra être utilisée pour interpréter l’autre loi qu’est le Code de procédure refondu?

M. Dupuis: Comme tout ce qu’on dit ici, d’ailleurs.

La Présidente (Mme Thériault): Me Longtin.

Mme Longtin (Marie-José): Oui. En fait, c’est la loi qui est celle-ci, et… demeure dans les recueils annuels des lois, et donc existe encore, et elle n’est pas abrogée.

M. Turp: Elle n’est jamais abrogée par la refonte?

Mme Longtin (Marie-José): Ce qui est abrogé, c’est ce qui… Et encore, c’est une forme d’abrogation relative. C’est ce qui est introduit dans le code, disons, ce qui est remplacé par un nouvel article…

M. Dupuis: Ce qui ne sera pas le cas.

Mme Longtin (Marie-José): …ce qui ne sera pas le cas.

M. Turp: Et ça semble inquiéter encore nos amis ici.

La Présidente (Mme Thériault): Mais ceci va mettre fin à l’échange…

Une voix: …

La Présidente (Mme Thériault): Ceci va mettre fin à l’échange. Donc, nous allons suspendre quelques instants. Mme Lachapelle, Me Neuman et M. Landry, merci d’être venus en commission parlementaire.

Nous suspendons quelques instants, et j’invite Les Éditions Écosociété à prendre place.

(Suspension de la séance à 15 h 5)

(Reprise à 15 h 8)

La Présidente (Mme Thériault): À l’ordre, s’il vous plaît! Donc, la Commission des institutions poursuit ses travaux, et nous recevons M. Guy Cheyney, qui est le coordonnateur des Éditions Écosociété. Donc, M. Cheyney, la parole est à vous. Vous avez 15 minutes pour nous faire votre présentation, et par la suite il y aura des échanges avec les formations politiques.

Les Éditions Écosociété inc.

M. Cheyney (Guy): D’accord. Est-ce que vous m’entendez?

La Présidente (Mme Thériault): Oui, on vous entend bien.

M. Cheyney (Guy): O.K., parce que, moi, je ne m’entends pas. Ah oui! là, je m’entends mieux.

M. le ministre, Mme la Présidente, Mmes et MM. les députés, j’ai écrit un texte que je vais vous lire parce que je préfère procéder comme ça puis aller aux questions après.

La démocratie n’est pas un long fleuve tranquille. Elle est non seulement imparfaite, mais n’a jamais été totalement acquise. Il y a eu et il y aura toujours des événements, des actions, des lois qui la font reculer en même temps que d’autres qui la font avancer. Le projet de loi n° 99 de M. le ministre Jacques Dupuis est un bon projet de loi qui fera avancer la démocratie s’il est adopté. Pour démontrer à l’Assemblée nationale l’importance de ce projet, je suis venu vous raconter mon expérience en tant que coordonnateur d’une maison d’édition qui est actuellement aux prises avec deux poursuites-bâillons. Depuis le 29 avril 2008, Les Éditions Écosociété et trois auteurs font face à des accusations de diffamation et des réclamations de plusieurs millions de dollars pour avoir publié le livre Noir Canada.

Il existe depuis longtemps un vaste débat public, au Canada et ailleurs, sur les agissements des compagnies minières canadiennes dans le monde et, entre autres, sur la Barrick Gold. Vu la nature de leurs activités, les compagnies minières ont un impact très fort sur l’environnement et les populations. Donc, leur action est non seulement économique et juridique, mais politique. Il faut qu’il soit possible de questionner leurs agissements dans notre société démocratique. Les compagnies doivent donc accepter le débat public et y participer, ce qu’elles font, d’ailleurs, c’est-à-dire qu’elles s’expriment sur la place publique souvent avec des moyens considérables mais presque toujours, malheureusement, pour nier les problèmes et prétendre contribuer au développement quand les populations concernées crient à l’exploitation et au désastre écologique.

n(15 h 10)n

La Barrick Gold, pour la nommer, va même jusqu’à défendre parfois des principes avec lesquels ma foi nous ne pouvons qu’être d’accord. Dans Le Devoir du 17 septembre 2008, Patrick J. Garver, vice-président-directeur et directeur des affaires juridiques de la Barrick Gold, appelait à un «débat public et transparent». La lettre de M. Garver se termine par un étonnant paragraphe, que je cite: «Notre action en justice ne s’oppose pas à l’examen public de ces questions, contrairement à ce que les auteurs prétendent. Elle garantit, au contraire, qu’il y ait un débat public transparent afin de les résoudre et de faire éclater la vérité au grand jour, de façon impartiale.» Serait-il donc pour la création d’une commission d’enquête publique indépendante sur les minières canadiennes, comme le réclame le livre Noir Canada? Rien n’est moins sûr.

Quelques jours plus tard, nous avons reçu une nouvelle lettre des avocats de la Barrick Gold nous intimant de ne plus parler de SLAPP ou de poursuite-bâillon. Nous comprenons alors que pour eux un débat transparent signifie un recours aux tribunaux. C’est une vision pour le moins très restrictive de la démocratie. Aux plus riches la vérité, car, pour défendre ses idées non pas dans les livres, mais devant un juge, il faut des moyens que peu de citoyens ont.

Toujours dans cette même lettre au Devoir, M. Garver va jusqu’à nous accuser de ne pas croire en l’impartialité de la cour ou de profiter de la situation pour mousser nos ventes. Ça m’apparaît quelque peu diffamant. Le problème que soulèvent les poursuites-bâillons n’est pas l’impartialité de la cour mais l’accès inégal à la justice.

Tout a commencé par une mise en demeure que nous avons reçue comme quelque chose de très violent. Nous avons failli abandonner, nous n’avions aucune envie de vivre une poursuite qui, nous le savions, serait épuisante. Mais nous pensions que c’était notre devoir de citoyens et aussi la raison d’être de notre maison d’édition de défendre le bien commun en publiant ce livre. Nous n’avons jamais douté du sérieux et de la pertinence de Noir Canada, qui ne fait que citer des sources sérieuses et crédibles, déjà du domaine public. Il semble que ce fut à «nos risques et périls», pour reprendre les mots de la première mise en demeure.

On nous demande souvent: Après la mise en demeure, vous deviez vous douter qu’ils vous poursuivraient. Pourquoi avoir quand même sorti le livre? La question m’étonne toujours. Reculer aurait voulu dire faire le jeu de ceux qui veulent tuer le débat public par un recours abusif aux tribunaux et accepter que le pouvoir de l’argent l’emporte sur ce que nous considérons comme nos droits et notre devoir. Si nous reculions, c’était la démocratie qui reculait.

La première poursuite est arrivée, celle de la Barrick Gold, et depuis nous nous épuisons, les auteurs de Noir Canada et nous, la petite équipe de la maison, à répondre sans fin aux demandes de la partie adverse. On nous a réclamé l’ensemble des documents relatifs à la publication et à la poursuite. Je cite le paragraphe de la lettre des avocats de la Barrick Gold nous les demandant: «Le terme “documents” inclut notamment les analyses, articles, avis, communiqués de presse, compilations, comptes rendus, contrats, correspondance, courriers électroniques, déclarations, dessins, diagrammes, discours, ébauches de livre ou d’article, enregistrements, journaux, lettres, livres, manuscrits, mémorandums, notes, périodiques, photographies, procès-verbaux, rapports, recherches, registres, résumés, soumissions, tableaux, transcriptions et vidéos, que ce soit sous forme physique, électronique ou d’un fax.»

Ceci n’est que le premier paragraphe. Il y avait encore deux pages de demandes plus précises, et, d’après les auteurs de la lettre, ce n’était que, et je cite, «la liste préliminaire des documents que nous demandons à vos clients de nous communiquer dans le cadre de leurs interrogatoires après défense». On nous a aussi demandé les différentes versions de Noir Canada, c’est-à-dire l’état du manuscrit au fur et à mesure de sa réécriture, et, pour le leur remettre, il nous a fallu numériser le tout.

Depuis quelques semaines ont commencé les interrogatoires après défense, pratique sur laquelle il semblerait que nous n’ayons pas grand-chose à redire. Alain Deneault, le principal auteur de Noir Canada, a déjà goûté, pendant quatre jours, aux interrogatoires des avocats de Barrick Gold et il devra encore y retourner. William Sacher, coauteur, doit y retourner encore au moins deux jours après y avoir été une journée et demie. Ces longs interrogatoires se déroulent selon les conditions de Barrick Gold, de manière très hostile. Les auteurs les vivent comme une violence à leur égard et ils en ressortent épuisés moralement. Au fur et à mesure nous sont demandés à nouveau d’innombrables engagements: courriels, articles, liste de cours suivis, etc. De plus, toutes les objections que notre avocat pourrait juger pertinentes risquent d’entraîner un passage à la cour qui gonflerait davantage nos frais.

Je suis moi-même convoqué pour une première séance le 28 octobre, et on nous a fait comprendre que la fin est encore loin. Bien évidemment, les frais liés à cette procédure sont très élevés. Nous avons, par exemple, reçu, la semaine dernière, une facture de 1 400 $ uniquement pour la sténographie. Pendant ces nombreuses journées d’interrogatoire, nous ne travaillons pas à autre chose, bien évidemment. Nous y allons avec notre avocat, qu’il faut bien payer. Ces dépenses iront en augmentant alors que le procès, qui devrait durer des mois, n’est même pas commencé.

Il y a aussi bien sûr la deuxième poursuite, celle de Banro, déposée en Ontario, dans une autre langue et un autre système de droit. Pour l’instant, nous tentons de faire transférer le procès à Montréal pour cause de forum non conveniens. Il y a plusieurs avocats ici, je pense que… C’est une expression que, moi, je viens d’apprendre. Il a bien sûr fallu produire à nouveau des documents pour ce deuxième procès, et Alain Deneault a dû se rendre à Toronto à quelques reprises. Ce sont encore des frais, et, si le procès devait demeurer en Ontario, nous n’aurions pas les moyens d’y faire face. Il en coûterait encore plus cher que pour le premier procès, ne serait-ce qu’à cause des frais de déplacement et de logement.

Bref, nous sommes traités comme des criminels pour avoir voulu être des citoyens responsables. Nous sommes de plus en plus épuisés et avons de la difficulté à exercer notre métier d’éditeur. Notre programme de l’automne s’en ressent. Que devrons-nous faire dans l’avenir lorsque nous voudrons publier un livre critique? Tenir des réunions secrètes, ne pas prendre de notes, faire de l’édition clandestine? Est-ce que cela ne vous rappelle pas quelque chose? Est-ce ça, l’avenir de l’édition?

Je n’aimerais pas utiliser, à tort et à travers, des mots comme «fascisme» ou «dictature», mais une question mérite d’être posée: Permettrons-nous que le pouvoir de l’argent impose une censure qui rappelle les pires excès des dictatures? Nous nous étonnons qu’une semblable chose soit permise dans un État de droit. Nous ne contestons pas le droit de poursuivre pour diffamation, mais nous pensons que la démocratie et la justice sont plus importantes que le droit des entreprises à ne pas être diffamées. Une personne morale ne souffre pas, mais elle peut faire souffrir, et pour cette raison certaines choses doivent pouvoir être dites sans entraves.

D’ailleurs, on voit bien que le droit évolue dans le sens de la protection de la liberté d’expression. En décembre 2000, dans un jugement de la Cour suprême, le juge Binnie cite le juge Cory. Je le cite aussi: «Il est difficile d’imaginer une liberté garantie qui soit plus importante que la liberté d’expression dans une société démocratique. [...]On ne peut trop insister sur l’importance primordiale de cette notion.»

Et plus récemment, en 2008, dans un autre jugement rendu encore une fois par la Cour suprême et dont le rédacteur est à nouveau le juge Binnie: «La fonction du délit de diffamation est de permettre le rétablissement de la réputation, mais de nombreux tribunaux ont conclu qu’il faudrait peut-être modifier les éléments constitutifs traditionnels de ce délit pour faire plus de place à la liberté d’expression. On redoute en effet que, par crainte des coûts de plus en plus élevés et des problèmes engendrés par les poursuites en diffamation, les diffuseurs passent sous silence des questions d’intérêt public. Selon la Coalition des médias, des reportages d’enquête sont mis à l’écart, en dépit de leur véracité, parce qu’ils sont fondés sur des faits difficiles à établir en fonction des règles de preuve. [...]Bien sûr, il n’est pas intrinsèquement mauvais que les propos faux et diffamatoires soient “réprimés”, mais, lorsque le débat [porte] sur des questions d’intérêt public légitimes[...], on peut se demander s’il n’y a pas censure ou autocensure indues. La controverse publique a parfois de rudes exigences, et le droit doit respecter ses exigences.»

Depuis le début de cette affaire, nous avons pu voir d’ailleurs nous-mêmes comment certains médias se restreignaient à une prudence qui parfois nuisait au droit du public à être informé, qui plus est, à être informé sur une restriction à la liberté d’expression. Par exemple, plusieurs entrevues que des médias avaient prévues avec Alain Deneault ont été annulées à la suite de la première mise en demeure. Nous accueillons donc avec beaucoup d’espoir le projet de loi n° 99.

La première qualité de ce projet de loi est de reconnaître non seulement l’importance de la liberté d’expression et de la participation des citoyens aux débats publics, mais aussi la réalité du phénomène des poursuites abusives. Sa deuxième qualité est de proposer des mesures pour aider les citoyens ou groupes de citoyens victimes de poursuites abusives. Toutefois, à la lumière de notre expérience actuelle, nous aimerions le voir amélioré. Nous proposerons donc ? et là j’arrive avec ma liste d’épicerie:

Que soit rajoutée au projet de loi une disposition interprétative explicite afin que la loi s’applique aux causes pendantes. Mais là j’ai bien vu, avec les discussions qu’on a eues tout à l’heure, que M. le ministre était allé de l’avant, et je vous remercie encore une fois. Je reçois cela avec beaucoup d’émotion;

Que soit instauré un fonds d’aide aux victimes de poursuites abusives. Je pense qu’il y a eu une discussion sérieuse très technique, tout à l’heure, là-dessus. Moi, je reviens sur quelques points qui nous concernent, mais je ne suis pas juriste, je n’irai pas aussi loin bien sûr que les juristes qui m’ont précédé;

Que soit rajoutée au projet de loi une disposition interprétative explicite afin qu’un citoyen ou un groupe de citoyens victime d’une poursuite abusive hors Québec puisse recevoir une aide financière. Vous en avez parlé;

Que soit intégré au projet de loi un délai d’urgence afin que l’irrecevabilité de toute procédure abusive puisse être prononcée rapidement;

Que soit prévue, dans le projet de loi, une disposition venant encadrer le mode de preuve admissible pour ne pas que la partie adverse abuse des procédures et épuise ainsi ceux qu’elle poursuit au moment de l’audition de la requête. Autrement dit, que ceux qui poursuivent ne puissent pas embourber avec des procédures tout le processus dès le départ plutôt que plus tard au procès;

Que soit mis en place un mécanisme d’évaluation afin de vérifier si les différentes dispositions de la loi permettent que soient réalisés les objectifs poursuivis par le projet de loi n° 99.

n(15 h 20)n

Je ne sais si c’est le genre de choses que l’on peut inscrire dans une loi, encore une fois n’étant pas juriste, mais il importe de préciser ce qui est entendu par «liberté d’expression» et qui comprend un certain droit à la déduction, à l’interprétation, à l’erreur même. Rassurez-vous, je ne parle surtout pas d’irresponsabilité, bien au contraire. Mais le livre est un lieu d’invention, de parole vivante. Les écrivains et les éditeurs ont en quelque sorte la responsabilité sociale de la pensée audacieuse. Si nous vivions continuellement dans la crainte de faire la moindre erreur, il est certain que nous pratiquerions l’autocensure et que sans doute notre maison d’édition aurait cessé d’exister. Qu’adviendrait-il de la démocratie si les auteurs et les éditeurs eux-mêmes perdaient l’assurance qu’il est permis de penser librement?

Comme ultime demande, je souhaite que la loi soit adoptée le plus rapidement possible. J’ai peur qu’elle ne soit reléguée aux oubliettes si nous devions aller en élection. Je vous demande donc d’adopter cette loi devenue nécessaire. La société évolue, le capitalisme évolue, la démocratie évolue et le droit doit aussi évoluer.

Nous avons reçu et recevons toujours beaucoup d’appuis, et tous ces appuis nous aident à tenir le coup. Mais il y en a deux qui m’ont touché encore plus particulièrement. Le premier est venu des Soeurs oblates franciscaines de Saint-Joseph. Permettez-moi de vous la lire, leur lettre: «Madame, monsieur, comme nous nous indignons devant les moyens utilisés par une grosse compagnie minière comme Barrick Gold pour tenter de pousser à la faillite une petite maison d’édition comme Écosociété pour avoir mis à jour des faits bien documentés dans le livre Noir Canada, nous tenons à être partenaires de votre combat.

«Vous trouverez ci-joint un chèque au montant de 2 000 $ pour soutenir [votre cause...] votre défense juridique, [pardon]. Cette poursuite de 6 millions de la part de Barrick Gold, qui représente 25 fois le chiffre d’affaires annuel d’Écosociété, nous convainc que nous avons affaire à une poursuite-bâillon ou SLAPP.

«Une telle poursuite constitue pour nous une lourde menace pour le droit à l’information, pour la liberté d’expression et pour la démocratie. Voilà pourquoi nous apprécions qu’Écosociété y voie un enjeu pour l’ensemble de la population et qu’elle demande au gouvernement de légiférer rapidement sur la question des SLAPP.

«Veuillez accepter notre don comme une marque de reconnaissance pour la qualité du travail que vous faites, comme une manifestation des valeurs que nous partageons avec vous et comme geste de responsabilité citoyenne devant toute atteinte à la liberté d’expression et la démocratie.

«En vous assurant de notre solidarité.»

Ce sont donc des valeurs fondamentales qui sont en jeu. Ces valeurs, que nous pourrions appeler humanistes, nous les partageons, nous tous ici, je n’en doute pas, malgré les divergences politiques, et seules des lois fortes et la démocratie peuvent les protéger.

L’autre lettre nous vient d’un groupe de professeurs de l’Université de Montréal. Je me permets de la lire aussi. Pascale Dufour, Denis Monière, Normand Mousseau, Christian Nadeau, Michel Seymour et Isabelle Baez ont écrit cette lettre au Devoir il y a deux semaines: «Dans son édition du 17 septembre, Le Devoir a publié une lettre de M. Patrick J. Garver, vice-président-directeur de la minière canadienne Barrick Gold. Poursuivant une logique orwellienne, celui-ci affirme que la plus grande compagnie aurifère du monde a intenté une poursuite en diffamation de 6 millions contre trois auteurs et une petite maison d’édition sans le sou dans le but de lancer un “débat public transparent”. S’il est vrai que les juges sont indépendants et impartiaux, ce n’est pas la vérité qu’ils jugent, surtout dans le cas de poursuites en diffamation, mais la loi. Sans surprise, cette différence fondamentale est complètement occultée par M. Garver.

«Car, pour Barrick Gold, la meilleure façon de mener un débat public serait-elle de mener à la ruine quiconque ose soutenir une position contraire à la sienne? Peu importe l’issue du procès, les auteurs et l’éditeur du livre Noir Canada devront dépenser des sommes considérables afin de préparer leur défense et de lutter, à armes très inégales, contre une armée d’avocats soutenus par les poches presque sans fond de la minière. La tactique, dans ces luttes inégales, est d’ailleurs souvent de ruiner les défendeurs afin d’imposer un règlement à l’amiable qui bâillonnera l’opposition en plus d’effrayer quiconque osera se pencher à nouveau sur la question.

«Si Barrick Gold voulait vraiment un débat public, c’est devant l’opinion publique qu’elle aurait dû présenter sa vision des faits. Contrairement à ce qui se fait dans plusieurs des pays où travaille Barrick Gold, les débats, au Canada, se font normalement par l’échange d’idées et non à coups de matraque. Il suffisait donc à la minière d’ouvrir ses livres, ses dossiers et d’établir un vrai débat à travers les journaux, les médias, les publications et le financement d’équipes de recherche indépendantes qui auraient pu faire la lumière sur la question.

«Mais Barrick Gold semble ne pas faire confiance à l’opinion publique et rejette du revers de la main les pétitions et lettres de soutien aux auteurs de Noir Canada. Peut-être M. Garver pourrait-il expliquer comment il peut à la fois demander un débat “public” tout en méprisant les opinions de ce même public. Dans le monde du vice-président, il semble que ce mot désigne seulement les avocats grassement payés et non l’ensemble des Canadiens; voilà une vue plutôt étroite du concept. En démocratie, même les détracteurs ont droit à la parole.

«Ce que ne comprend pas ? ou ne veut pas comprendre ? Barrick Gold, c’est que le public qui soutient les auteurs et éditeurs de Noir Canada le fait avant tout parce qu’il rejette la manière brutale de la minière. Ce public est prêt à entendre Barrick et à juger, mais sur la base d’échanges civilisés d’arguments, et non dans le cadre de ce que plusieurs perçoivent comme une poursuite-bâillon ? poursuivant le “débat public”, Barrick Gold vient d’ailleurs de déposer une mise en demeure à l’endroit des auteurs de Noir Canada, leur intimant de cesser l’utilisation de ce terme…

«Au-delà du discours surréel de M. Garver, la poursuite de Barrick Gold est une attaque directe contre la liberté de recherche universitaire et la quête de vérité, essentielles à toute société démocratique. Elle nie en bloc le droit à la citation de sources crédibles et au débat sur les faits et les interprétations, qui représentent la base même du travail intellectuel. S’il est impossible d’étudier et de discuter de sujets qui déplaisent aux riches entreprises de ce monde dans un pays comme le Canada, sous peine de poursuites à répétition, qui pourra le faire?

«Si Barrick Gold voulait vraiment un débat public et transparent, elle pourrait le faire en suivant les normes scientifiques utilisées par les auteurs de Noir Canada. Elle a un droit de réplique. Le milieu universitaire, auquel nous appartenons, sait depuis longtemps gérer les débats et les désaccords et résoudre les conflits.

«La poursuite démesurée…»

La Présidente (Mme Thériault): Je vais vous demander, M. Cheyney, d’aller à la conclusion parce que vous avez déjà dépassé le temps.

M. Cheyney (Guy): Oui. Il me reste deux tout petits paragraphes. Oui.

«La poursuite démesurée de Barrick Gold montre clairement que, contrairement à ce qu’elle prétend, elle n’a aucune envie d’un débat transparent. C’est une perte pour le monde universitaire, tout comme pour le débat public au Canada, et il est temps que les gouvernements mettent en place des dispositifs limitant ce genre de poursuites…» Mais, bon, on est ici pour ça.

En terminant, j’aimerais citer ce bon vieux Montesquieu, pour qui l’homme de bien, c’est l’homme de bien politique.

Une voix: …

M. Cheyney (Guy): Oui. Merci. C’est une bonne nouvelle pour vous. Je le cite texto: «C’est l’homme qui aime les lois de son pays, et qui agit par l’amour des lois de son pays.» Alors, je nous souhaite à tous d’être aussi cet homme de bien.

En terminant, je tiens à féliciter encore une fois et chaleureusement M. le ministre de la Justice, M. Jacques Dupuis, pour son courage politique. Mmes et MM. les députés, merci à nouveau.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. Cheyney, pour votre présentation. Je voudrais tout simplement rappeler aux membres présents ici que c’est une cause qui est pendante devant les tribunaux également, donc c’est une cause que nous avons tous entendu parler… deux, deux causes qui sont devant les tribunaux. Donc, je vais vous demander évidemment de la prudence dans vos propos, comme vous le savez. Je vais aller directement à la députée de Gatineau.

Mme Vallée: Alors, merci, Mme la Présidente. Merci, M. Cheyney. Merci pour votre témoignage. Vous comprendrez qu’en raison justement du fait que votre dossier est toujours pendant devant les tribunaux et puisque nous sommes aussi… nous sommes tenus… Nous avons notre propre code de déontologie, nous, les députés et les ministres. Compte tenu des restrictions prévues aux articles 35.3°, 35, paragraphe 3°, et à l’article 82, nous ne pourrons commenter ni entretenir un dialogue avec vous suite à votre présentation. Ce n’est pas par manque d’intérêt ni par manque de compassion mais bien en raison des obligations légales que nous devons respecter si nous voulons mettre à bien notre travail et assurer un suivi en bonne et due forme du projet de loi. Alors, nous ne ferons pas de commentaires, nous ne poserons pas de questions, mais ce n’est pas par manque d’intérêt, soyez-en assuré. Merci.

M. Cheyney (Guy): Donc, aucune question, si je comprends bien, du tout? Rien?

La Présidente (Mme Thériault): Là, Mme la députée de Gatineau parlait pour la partie ministérielle. Chaque porte-parole, s’il veut faire une intervention ou vous parler, le fera. Mais elle parlait réellement au nom de la partie ministérielle. Ça va? Il n’y a pas d’autres commentaires du côté ministériel? D’accord. On va aller du côté de l’opposition officielle avec le député de Vanier.

M. Légaré: Merci, Mme la Présidente. Alors, bonjour. Merci beaucoup. On s’excuse pour le changement de député, là.

Une voix: Le changement de chiffre.

M. Légaré: Le changement de chiffre, le chiffre de soir qui vient de commencer.

Une voix: Quart de travail, en français.

M. Légaré: Bon. Alors, je regarde à la page 5 de votre mémoire, vous parlez de la liberté d’expression au deuxième paragraphe: «Je ne sais [pas] si c’est le genre de choses que l’on peut inscrire dans une loi, mais il importe de préciser ce qui est entendu par “liberté d’expression”, et qui comprend un certain droit à la déduction, à l’interprétation, à l’erreur même.» Peut-être me préciser un peu ce que vous entendez par…

M. Cheyney (Guy): Oui. J’ai bien parlé de responsabilité après aussi, que ce n’était pas une question d’aller vers l’irresponsabilité puis de raconter n’importe quoi. Mais forcément, dans l’édition, dans les livres, surtout dans l’essai ? le mot l’indique bien ? il y a une marge, je ne dirais pas de… Ce n’est pas de l’imaginaire, là, ce n’est pas cette question-là, mais il y a un travail intellectuel qui fait… Il y a une méthodologie du travail intellectuel mais qui oblige quand même à laisser une marge pour des déductions, pour de l’interprétation, pour des tentatives de compréhension de ce qui se passe dans la réalité, et qui très souvent peuvent donner flanc à des attaques, et qui ne sont pas de la diffamation, loin de là, mais qui sont de l’interprétation. Vous avez des faits devant vous, les faits parfois parlent d’eux-mêmes, d’autres fois il faut les rassembler, vous constituez un objet, quand même, hein, toute recherche est construction d’un objet. Forcément, on ramasse, on rassemble, on peut faire une erreur en passant, on peut avoir une interprétation trop forte sur certains dossiers, mais il reste que ce que, nous, on souhaite, c’est d’avoir le droit à cette erreur-là mais sans tomber dans la diffamation. Je ne sais pas si ça vous éclaire un peu, là.

M. Légaré: Oui, oui.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député de Vanier.

n(15 h 30)n

M. Légaré: Merci, Mme la Présidente. Peut-être très rapidement, page 4, vous dites vouloir que la loi s’applique aux causes pendantes. Est-ce que vous entrevoyez des difficultés d’application de cette loi?

M. Cheyney (Guy): Écoutez, je suis loin d’être un juriste, mais j’avais cru comprendre que les lois étaient rarement rétroactives, ou enfin c’est ce qu’on me dit. Donc, c’était une de mes demandes, c’est de pouvoir… Moi, c’est bien sûr que, si cette loi est adoptée, je pars à la course puis je vais voir qui de droit pour lui faire une demande bien précise. Donc, c’est un peu ça, c’est la même idée dont M. le ministre parlait tout à l’heure, c’est que, si la loi est applicable aux causes pendantes, donc elle l’est à mon cas. Et je ne m’intéresse pas qu’à mon cas mais quand même pas mal.

M. Légaré: Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Thériault): Ça vous va?

M. Légaré: Oui.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Merci, M. le député de Vanier. Nous allons aller du côté du groupe formant la deuxième opposition, donc M. le député de Mercier.

M. Turp: Merci, Mme la Présidente. Je comprends la réserve du ministre et de sa collègue du parti ministériel. Je crois qu’on peut… et, moi aussi, j’ai le souci, là, de prendre acte du fait qu’il y a une cause pendante qui concerne…

Une voix: Deux.

M. Turp: …une au Québec, une en Ontario et une mise en demeure qui s’est jointe à cela récemment et qui pourrait peut-être nous préoccuper. On a parlé des règlements hors cour, on pourrait aussi parler de la mise en demeure. On l’a évoqué dans quelques mémoires, là, s’agissant des règles qui pourraient être incluses dans des codes de déontologie des avocats pour encadrer ou en tout cas régir la question de l’utilisation des mises en demeure et non pas du procès pour bâillonner la liberté d’expression.

Moi, je veux vous citer… Vous avez cité quelques arrêts de nos tribunaux, de certains tribunaux, de la Cour suprême. Dans ce magnifique ouvrage dont je veux faire la publicité aujourd’hui vient de paraître, aux Éditions Yvon Blais, Droit constitutionnel, 5e édition, Henri Brun et Guy Tremblay, et s’ajoute à l’équipe une nouvelle constitutionnaliste, Eugénie Brouillet, qui est la troisième coauteure dans ce chapitre qui est consacré… ou dans le développement concerné sur la liberté d’expression. On cite aussi une des premières affaires importantes de la Cour suprême dans le domaine de la liberté d’expression. Il y en a eu d’autres, mais, dans l’affaire Dolphin Delivery ? les juristes connaissent bien cette affaire ? voici comment la Cour suprême définissait la liberté d’expression. C’est vraiment intéressant.

D’abord, le juge McIntyre rappelait que «la liberté d’expression n’est [...] pas une création de la charte[...] ? de la Charte canadienne, ni de la charte québécoise antérieure à la Charte canadienne. Elle constitue l’un des concepts fondamentaux sur lesquels repose le développement historique des institutions politiques, sociales et éducatives de la société occidentale. La démocratie représentative ? ça, c’est nous ici, là, hein ? dans sa forme actuelle, qui est en grande partie le fruit de la liberté d’exprimer des idées divergentes et d’en discuter, dépend pour son existence de la préservation et de la protection de cette liberté.» C’est ça, c’est la raison pour laquelle nous sommes ici, aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle je suis heureux que le gouvernement ait pris l’initiative de déposer un projet de loi et que les partis d’opposition, je pense, j’espère ? en tout cas, je parle pour le mien, là ? on est tout à fait d’accord avec le projet puis on veut le bonifier comme vous le souhaitez. Puis, je veux vous rassurer, là, s’il y a des élections, je suis à peu près convaincu ? le ministre pourra le dire pour son parti ? qu’il va le représenter, ce projet de loi, devant nous.

M. Dupuis: Avec plaisir, mais…

M. Turp: Regarde, il l’a dit, là, parce qu’il veut se faire vanter encore par toutes sortes d’organisations. Mais sachez que, moi, je vais plaider aussi pour mon parti. Si c’est mon parti qui forme le gouvernement, je crois que je peux vous donner l’assurance que ce projet de loi, il va revenir devant le Parlement, devant notre Assemblée nationale, et qu’on aura la même collaboration des autres partis d’opposition, dans ce cas-là, pour adopter un projet de loi qui vise à contrer les poursuites-bâillons. Alors donc, je voulais vous rassurer là-dessus parce que je crois qu’il y a maintenant un très, très large consensus dans cette Assemblée que notre Parlement soit celui qui soit le premier au Canada à adopter une loi qui vise à protéger la liberté d’expression.

Je vous signale que j’ai aussi fait distribuer aux collègues de cette commission l’article que Pierre Trudel, mon collègue professeur à l’Université de Montréal, spécialiste du droit de l’information, écrivait, il y a quelques années, en réaction d’ailleurs au rapport Macdonald-Jutras-Noreau, où il s’inquiétait, là, du rapport. Il consacrait cet article… il l’intitulait Les poursuites-bâillons et le droit à la réputation. Et voici ce que je veux vous lire, parce que c’est quand même assez important, et peut-être qu’on peut vous demander… Je pense que ça ne posera pas de problème en termes de ce que représente le fait qu’il y ait une cause pendante, de ce que vous pensez de cela.

Dans son article, Pierre Trudel, et je le cite… C’était un article du Devoir du 19 juillet 2007. Alors, je le cite: «Les poursuites-bâillons sont encouragées par la portée étendue qui est donnée au droit à la réputation en droit québécois. Ce droit a acquis une troublante suprématie sur la liberté d’expression. Il est maintenant étendu au point d’avoir l’allure d’un droit de faire taire les critiques. Dans l’affaire Société Radio-Canada c. Néron, la majorité de la Cour suprême a choisi d’inclure dans le champ de la faute des faits et gestes qui relevaient jusque-là de l’exercice normal de la critique engagée. Du coup, le champ de ce qui peut être considéré comme constituant un comportement fautif à l’égard de la réputation d’une personne s’est trouvé à être considérablement élargi. Pour décourager les poursuites-bâillons, il faut recadrer le droit à la réputation en le limitant aux propos qui sont vraiment abusifs, par opposition aux commentaires critiques ? qui peuvent être sévères, comme sont sévères des critiques qui sont publiées dans des livres des Éditions Écosociété sur toutes sortes de sujets ? sur les agissements d’une entité.»

Alors, ma question. Je ne sais pas si vous pouvez un peu élaborer là-dessus. Est-ce que le projet de loi… Vous l’avez lu, vous avez fait des recommandations. Est-ce que ça vous rassure sur l’intention de notre Assemblée nationale de donner de l’importance à la liberté d’expression dans son rapport avec le droit à la réputation?

La Présidente (Mme Thériault): M. Cheyney.

M. Cheyney (Guy): Oui. Merci. Écoutez, je crois que le maître mot, c’est «l’équilibre». Il faut un équilibre entre le droit de poursuivre, le droit de défendre sa réputation, ça, on ne peut pas nier ça. Quelqu’un peut être attaqué et peut vouloir se défendre, à juste titre, mais d’autre part il faut pouvoir avoir une liberté d’expression, il faut pouvoir critiquer en démocratie pour que ça fonctionne. Donc, je pense qu’il faut trouver tout simplement un équilibre entre les deux. Le symbole du droit à la justice, c’est une balance, mais on le voit bien, que, là, maintenant, avec les poursuites-bâillons, bien le plateau penche complètement d’un bord, puis le deuxième plateau, lui, il s’est envolé. Il faut retrouver un équilibre entre les deux, et je crois que cette loi cherche tout à fait ça, pas à empêcher une poursuite en diffamation mais à retrouver un équilibre entre celui qui veut poursuivre parce qu’il se croit justement attaqué et puis celui qui veut pouvoir s’exprimer librement et de manière pertinente en société, en démocratie.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député de Mercier, vous avez encore cinq minutes à votre disposition.

M. Turp: Bon, peut-être sur une note un peu plus personnelle, je pense que ce serait bon que les députés de notre Assemblée sachions qu’est-ce que ça représente. Vous l’avez évoqué un peu dans votre mémoire, vous m’avez dit tout à l’heure, en arrivant ici, que vous étiez nerveux. Vous avez dit des choses, vous avez dit des choses, là, vous avez écrit des choses, vous avez dit des choses, vous avez répété, là, des choses. Pourriez-vous peut-être, pour les fins de nos travaux, nous parler un petit peu davantage de ce que ça représente, le fait d’avoir deux poursuites, une mise en demeure, au plan personnel, au plan personnel?

M. Cheyney (Guy): Bien, je dirais que, oui…

La Présidente (Mme Thériault): Allez-y, M. Cheyney.

n(15 h 40)n

M. Cheyney (Guy): Bien, c’est-à-dire qu’avec ces poursuites-là le plan personnel et le plan professionnel tout à coup sont complètement mélangés. On ne distingue plus très bien entre les deux. On est complètement pris là-dedans du matin au soir. Bon, je les ai énumérées tout à l’heure, leurs exigences, qui, moi, me paraissent farfelues, sinon frivoles. Il ne manquait que la pierre tombale de mon père pour compléter le tableau. Ils nous arrivent avec des questions personnelles dans les interrogatoires qui sont… On se demande où ils ont trouvé… Par exemple, ils voulaient connaître les liens intimes qui pouvaient lier Alain Deneault et Delphine Abadie. Puis je ne sais pas où ils ont trouvé leur information, mais, moi, j’ai appris des choses. Ça me paraissait absolument grossier comme manière de faire les choses.

Les interros sont sans fin, c’est du martelage, c’est du criage, c’est des méthodes qui sont dignes… ou qui sont indignes d’une démocratie d’un État de droit, je crois. Je ne savais pas que ça marchait comme ça, que ça fonctionnait comme ça. Mais je suis étonné de ce que je découvre, de voir jusqu’à quel point ils peuvent aller tout en ayant tout à fait le droit, semble-t-il, de le faire. Je vois aussi que, de plus en plus, ils veulent tout savoir de nous, c’est-à-dire même…

Bien sûr que, nous, quand on a reçu la première mise en demeure, avant de décider de sortir quand même le livre, on a tenu une réunion. Les Éditions Écosociété appartiennent à l’Institut pour une écosociété. On a réuni les vieux de la vieille, on a réuni les auteurs, un avocat, on a réfléchi ensemble, mais ça, ils veulent avoir le procès-verbal de cette réunion. Mais, je me dis, j’ai droit, moi, à me préparer une défense en privé, il me semble. Moi, je n’ai pas leurs procès-verbaux, là, de leurs réunions de la Barrick Gold, ou avec leurs avocats, ou quoi que ce soit. Mais ils veulent tout avoir. Ils ont demandé nos ordinateurs. On a refusé de les remettre, les ordinateurs personnels des auteurs. Ils fouillent dans nos vies, finalement, et c’est un stress assez permanent.

Pour moi, si je vous disais que j’étais un peu nerveux, c’est que je ne mâche pas mes mots, je crois, ici et je n’ai pas l’immunité parlementaire, et ça, ils vont me le ressortir. Ça, je vais l’avoir au visage, en interro, le 28 octobre. On me le ressort, ça, je vous le garantis. Ça va être publié sur le site Internet du Parlement et de l’Assemblée nationale, et j’y tiens, j’y tiens. Mais il y a un certain stress à venir vous lire ça ici, aujourd’hui, parce que je sais très bien que ça va me revenir, que des propos ici vont être retenus contre moi, puis qu’il va falloir que je réexplique chaque phrase, chaque mot, et qu’on va considérer ça comme étant diffamant. Donc, c’est permanent, on doit constamment se réajuster aussi à leurs attaques, à leurs nouvelles lettres d’avocat, leurs nouvelles mises en demeure aux interros. On doit se re-re-réunir pour essayer de comprendre vers quoi ils veulent aller puis… Donc, c’est très accaparant.

Moi, ces cinq derniers mois, j’ai dû y mettre 70 % de mon temps de travail, qui, lui, a explosé. Je n’ai pas eu beaucoup de fins de semaine à moi depuis longtemps. Et puis je crois que c’est encore pire pour les auteurs, qui, eux, sont en interro constamment. On doit réagir aussi beaucoup à ce qu’ils publient, à ce qu’ils font. Ils nous reprochent d’avoir organisé une campagne de diffamation contre eux malgré la mise en demeure, malgré la poursuite. Bien, moi, ce que je leur réponds, c’est que je n’ai absolument pas le choix: Si vous aviez accepté un débat public, on aurait pu en discuter calmement; si vous n’avez rien à cacher, pourquoi vous refusez d’en parler publiquement? Je n’ai pas les moyens, moi, d’aller en procès, ça va me coûter… Les deux procès risquent de nous coûter 200 000 $, 300 000 $, je ne sais pas, moi, dans les deux systèmes de droit différents, un au Québec, l’autre en Ontario. Je n’ai pas cet argent, donc je suis obligé de faire une levée de fonds.

Au fond, ils se sont fait eux-mêmes leur publicité. S’il n’y avait pas eu de poursuite, le livre, il s’en serait vendu 1 200 copies en librairie, au Québec. Ça aurait peut-être intéressé quelques personnes ? on le souhaite, quelques députés au Parlement, à Ottawa ? pour exiger une commission d’enquête indépendante sur les agissements des minières canadiennes, mais sinon ça n’aurait pas été un best-seller, ça, c’est clair et net. Ils en ont fait un best-seller, et ca, ils nous le reprochent en même temps.

Vous voulez que je vous parle de ma vie? Bien, c’est ça. C’est sans fin qu’on est pris là-dedans et ce n’est pas vrai qu’entre deux interrogatoires, dans une même semaine ou sur deux semaines, vous revenez tranquillement au bureau, vous êtes tout à fait à l’aise dans ce que vous faites. Vous êtes constamment sollicité, vous êtes constamment interpellé, vous êtes là-dedans à fond.

Je sais que, de nos auteurs, il y en a deux sur trois au moins qui sont chargés de cours. Bien, ils n’ont plus la concentration qu’ils doivent avoir pour exercer leur métier. Ce sont des profs, ce sont des chercheurs, et là ils sont sortis de leur monde. Alain Deneault a annulé sa charge de cours au printemps, à l’UQAM, parce qu’il n’arrivait plus à se concentrer là-dessus. Il a fallu écrire une requête aussi suite à leur poursuite. Il a fallu défendre chacun de nos points. On a remis un document qui avait 80 pages. On voulait être sûrs de notre coup. Bien ça, c’est un travail énorme. Il a fallu reprendre le livre au complet, revérifier les 1 300 notes de bas de page qu’il y a. Eux-mêmes l’ont fait, d’ailleurs. Eux-mêmes vont même jusqu’à citer les autres écrits des gens qui sont mentionnés en note de bas de page. Donc, ils ont fait un travail fou de recherche pour tenter de trouver la moindre petite erreur qu’il pourrait y avoir dans le livre, la moindre virgule mal placée qui permettrait une interprétation qui irait dans leur sens. Donc, c’est comme ça, c’est sans fin.

M. Turp: Merci beaucoup pour ce témoignage.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. Cheyney.

M. Cheyney (Guy): Je vous en prie.

La Présidente (Mme Thériault): Nous allons vous souhaiter bonne chance dans la suite de vos démarches et nous allons suspendre quelques instants pour permettre aux membres du Parlement de vous saluer. Nous allons accueillir le Réseau québécois des groupes écologistes.

(Suspension de la séance à 15 h 45)

(Reprise à 15 h 47)

La Présidente (Mme Thériault): À l’ordre, s’il vous plaît! Donc, la Commission des institutions poursuit ses travaux, et nous recevons le Réseau québécois des groupes écologistes. Mme Priscilla Gareau, qui est la directrice générale, est ici avec nous. Mme Gareau, je vais vous demander de nous présenter la personne qui vous accompagne. Vous avez une quinzaine de minutes pour nous présenter l’essentiel de votre mémoire, et par la suite il y aura des échanges avec les différentes formations politiques. La parole est à vous.

Réseau québécois des groupes
écologistes (RQGE)

Mme Gareau (Priscilla): Bonjour. Donc, Gabrielle Ferland-Gagnon, qui va présenter avec moi notre analyse et nos recommandations par rapport au projet de loi.

Donc, le Réseau québécois des groupes écologistes, on oeuvre depuis 25 ans pour favoriser l’implication des citoyennes et citoyens à l’élaboration des politiques publiques liées à la protection de l’environnement ainsi qu’à leur application. Donc, la population du Québec s’est dotée de plusieurs lois visant à protéger l’environnement mais aussi, par le fait même, la santé des communautés, des sources effectives et potentielles de contamination.

La principale loi conférant le droit des citoyens à vivre dans un environnement sain demeure la Loi sur la qualité de l’environnement et les règlements connexes, et cette loi inclut divers droits fondamentaux liés à une société démocratique, comme le droit de participer aux affaires publiques, de poursuivre un éventuel pollueur, etc. Malheureusement, particulièrement depuis les années quatre-vingt-dix, plusieurs groupes ont l’impression que ces droits sont bafoués, pour diverses raisons, notamment à cause des poursuites stratégiques contre la mobilisation publique par les acteurs industriels. En effet, même si plusieurs articles de la Loi sur la qualité de l’environnement permettent aux citoyennes et citoyens d’intervenir dans des cas de contamination potentielle, ces droits sont lésés, actuellement. Plusieurs citoyennes et citoyens en sont venus à investir beaucoup de temps et à dépenser des sommes relativement élevées dans des procédures judiciaires.

n(15 h 50)n

Les poursuites-bâillons, qui visent à intimider les citoyennes et citoyens, entraînent une méfiance de la part des citoyens à l’égard des acteurs industriels mais également à l’égard de l’État, qui a comme responsabilité de faire appliquer les lois et règlements dans un but d’équité entre les différents acteurs de la société. Les SLAPP ne sont que la pointe de l’iceberg parce que c’est l’étape finale d’un processus d’intimidation pour faire taire un citoyen, utilisée majoritairement par les acteurs industriels. En effet, avant l’utilisation de ce moyen, les industries souvent, dans plusieurs cas, utilisent plusieurs autres moyens qui vont de l’intimidation verbale et physique, mises en demeure, agressions verbales et même physiques dans certains cas, particulièrement au niveau de la gestion des déchets. Ça ne date pas d’hier, ça fait au moins depuis les années quatre-vingt-dix que se passent des choses comme ça. Donc, on est fort heureux qu’il se passe quelque chose au niveau politique, au niveau de ce dossier-là.

Donc, étant donné que les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique constituent un phénomène répandu, au Québec, depuis les années quatre-vingt-dix, étant donné que de telles poursuites constituent une violation des droits fondamentaux, puisqu’elles portent atteinte au droit de participer aux affaires publiques, à la liberté d’expression et constituent un risque d’atteinte au droit à un procès juste et équitable, étant donné que l’état actuel du droit québécois ne permet pas d’offrir une protection adéquate contre les SLAPP, étant donné que de telles poursuites constituent une véritable menace pour les citoyennes et citoyens et les groupes de participation aux débats publics, une menace réelle pour la démocratie participative et un risque de détournement des finalités de la justice, c’est pourquoi le Réseau québécois des groupes écologistes, on s’impliquait activement dans ce dossier-là, particulièrement depuis les deux dernières années, en faisant des formations pour sensibiliser les citoyens et citoyennes aux risques qu’ils encourent et aussi en menant une campagne de sensibilisation avec d’autres acteurs de la société, dont la Ligue des droits et libertés, Écosociété, l’AQLPA, etc.

Donc, considérant que ce dossier est prioritaire, on a participé aux consultations publiques de février 2008, et, bien que, lors de cette première consultation publique, nous ayons recommandé l’adoption d’une loi nommément établie, tel que le prévoit la troisième option du rapport Macdonald, nous sommes tout de même satisfaits du projet de loi actuel, qui propose une modification au Code de procédure civile. Et ma collègue, Gabrielle Ferland-Gagnon, va présenter notre analyse et nos recommandations relatives au projet de loi n° 99.

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Oui. Merci. Donc, suite…

M. Dupuis: Avez-vous dit «satisfaits» ou «insatisfaits»?

Une voix:«Satisfaits».

Le Président (M. Marsan): Alors, Mme Ferland-Gagnon.

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Oui. Donc, merci, Priscilla. Donc, à la suite de notre analyse, nous recommandons:

Que soit intégré au projet de loi un délai afin que la requête visant à faire déclarer une procédure abusive puisse être entendue et tranchée rapidement;

Que soit intégrée au projet de loi une disposition venant encadrer le mode de preuve admissible lors de l’audition de la requête visant à faire déclarer une procédure abusive, afin d’empêcher que l’objectif d’épuiser financièrement la partie défenderesse-requérante soit atteint dans le cadre de cette même procédure;

Que soit mis en place un fonds d’aide aux victimes de poursuites-bâillons, tel que le suggère le rapport Macdonald. Ce fonds d’aide devrait prévoir un mécanisme qui puisse donner accès à l’aide très rapidement dans le processus judiciaire. Il devrait être réservé dans les affaires mettant en cause la liberté d’expression et devrait exclure les cas relatifs aux dossiers quérulents;

Que soit reformulé le paragraphe 5° de l’article 54.4 du projet de loi pour qu’il puisse correspondre au préambule. La provision pour frais devrait pouvoir être ordonnée lorsqu’elle est raisonnablement nécessaire pour favoriser un meilleur équilibre dans les forces économiques des parties plutôt que lorsqu’une partie se trouve dans une situation économique telle qu’elle est dans l’impossibilité de valablement faire valoir son point de vue;

Que soit intégrée au projet de loi une disposition interprétative explicite afin de s’assurer de son application aux causes pendantes, de manière à éviter des frais supplémentaires aux parties et surtout de permettre à toutes les victimes de poursuites-bâillons de bénéficier des mêmes protections légales face à ces injustices;

Que soit intégré au projet de loi un droit d’appel afin qu’une partie qui voit sa requête en déclaration d’abus rejetée puisse également porter sa cause en appel;

Que soit ajoutée au projet de loi une disposition au projet de loi qui énoncerait qu’il est contraire à l’ordre public qu’une transaction prévoie une limite à la liberté d’expression sur les faits ayant mené à l’action judiciaire. Ainsi, les détails de l’entente hors cour pourraient rester confidentiels, mais les parties pourraient toujours s’exprimer quant aux faits relatifs à la cause;

Que soit lancé par les parlementaires un appel explicite au Barreau du Québec pour que celui-ci modifie son code de déontologie de manière à pénaliser les avocates et avocats qui se prêtent à l’exercice de l’intimidation judiciaire par voie de mises en demeure;

Que, suite à l’adoption du projet de loi n° 99, le ministre de la Justice organise, en collaboration avec les groupes communautaires en défense collective des droits, une campagne publique d’information sur la nouvelle loi et sur la portée juridique réelle d’une mise en demeure et qu’il prévoie le financement de sessions de formation à cette fin; et finalement

Que soit mis en place un mécanisme d’évaluation afin de vérifier si les différentes dispositions de la loi permettent que soient réalisés les objectifs poursuivis par le projet de loi n° 99. Ce mécanisme devrait prévoir la participation des personnes qui auront eu à recourir à ces dispositions ainsi que des groupes ayant participé au processus d’adoption du projet de loi n° 99.

Le Président (M. Marsan): Est-ce que vous avez terminé?

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Oui, oui, oui. Excusez-moi.

Le Président (M. Marsan): Bien, en vous remerciant. En vous remerciant. Et tout de suite je vais céder la parole au ministre de la Justice.

M. Dupuis: Alors, Mme Gareau, Mme Ferland-Gagnon, merci beaucoup de votre présentation et surtout merci de votre travail d’étude du projet de loi, bien sûr de vos commentaires que vous avez faits en fin d’intervention, Mme Ferland-Gagnon.

Simplement vous dire que les représentations que vous faites sont considérées de façon sérieuse. Il y a déjà un certain nombre de demandes que vous faites, auxquelles on a répondu en partie pendant la commission parlementaire, là, depuis ce matin, entre autres une disposition explicite quant à l’application de ce projet de loi aux causes qui sont déjà instruites devant les tribunaux ? quand je dis «instruites», là, qui sont pendantes devant les tribunaux. Peut-être que vous n’étiez pas dans la salle quand je l’ai fait un petit peu plus tôt, mais j’ai indiqué que nous souhaitions que les dispositions s’appliquent dès qu’elles entreront en vigueur. Donc, ça veut dire qu’elles pourraient s’appliquer aux causes pendantes. Mais, puisqu’il pourrait y subsister une ambiguïté sur cette question-là, il y a aura une rédaction qui sera proposée au moment de l’étude article par article du projet de loi, qui réglera cette question-là.

Mme la députée de Gatineau, qui m’accompagne dans cette commission parlementaire là, souhaiterait vous poser un certain nombre de questions et faire un certain nombre de remarques, alors je vais, avec la permission du président, lui demander d’intervenir à ce moment-ci. Mais encore une fois je voulais vous remercier du travail que vous avez effectué et des bons mots que vous avez eus à notre endroit, le «nous» étant un «nous» inclusif. Merci beaucoup.

Le Président (M. Marsan): Mme la députée de Gatineau.

Mme Vallée: Merci, M. le Président. Merci, M. le ministre. Bonjour. J’avais effectivement quelques commentaires, quelques questions pour échanger avec vous. Dans votre mémoire, vous souhaitez qu’au projet de loi soit incorporé ou soit inclus un délai afin que toute requête qui vise à faire déclarer une procédure abusive puisse être entendue et tranchée rapidement. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais cette requête-là serait incluse à l’intérieur des moyens préliminaires, et les moyens préliminaires sont déjà prévus au Code de procédure civile comme étant des moyens qui doivent être présentés et dénoncés avant même la présentation, la présentation de la requête initiale. Donc, dans tout le processus judiciaire, les moyens préliminaires sont toujours tranchés de façon prioritaire. Donc, ça répond, j’imagine, à votre requête, dans le sens qu’il n’y a pas de délai précis, mais, comme c’est un moyen préliminaire et comme ça doit être dénoncé avant la date de présentation de la requête, il s’agit d’un moyen d’urgence. Donc, ça peut répondre, là… ça répond au besoin de ne pas prolonger la présentation de la requête dans un délai flou.

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Oui. Si je peux me permettre, en fait…

Le Président (M. Marsan): Oui, Mme Ferland-Gagnon, s’il vous plaît.

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Merci. Donc, effectivement, c’est une de nos recommandations. Bien que la procédure qui est déjà prévue dans le Code de procédure civile fasse en sorte que les poursuites abusives ou les requêtes en déclaration de poursuite abusive, là, la requête en abus de procédure, elle est considérée comme étant prioritaire, nous, à la lumière de l’étude qu’on a faite, notamment concernant la loi californienne qui prévoit un délai de 60 jours, un délai de 60 jours pour signifier la requête, puis ensuite un délai de 30 jours pour que le juge puisse entendre cette requête-là, à la lumière du fait que le rapport Macdonald spécifiait qu’il était primordial pour que les objectifs de la loi puissent faire en sorte que la poursuite soit rejetée rapidement, puisqu’il y avait une recommandation d’intégrer un délai, nous, on a jugé que c’était essentiel qu’il y ait un délai de prévu. Puis, même si c’est prioritaire, j’imagine qu’il y a tout de même des stress et puis justement des frais qui peuvent être occasionnés par les délais. Donc, même si c’est prioritaire, on considère que ce serait bien qu’il y ait un délai fixe pour que la priorité puisse… doivent être entendu dans un délai, par exemple, de 30 jours, parce qu’étant donné les délais des tribunaux à l’heure actuelle, même si c’est prioritaire, j’imagine que ça peut tout de même être long, puis, nous, on considérait qu’il devait y avoir un délai pour que ce soit entendu très rapidement.

n(16 heures)n

Le Président (M. Marsan): Mme la députée de Gatineau.

Mme Vallée: Il y a actuellement une gestion de l’instance aussi qui est prévue par le Code de procédure civile et qui prévoit des délais très courts. On parle, entre autres, du délai de 180 jours pour l’ensemble des procédures. Donc, une demande, un avis, un moyen préliminaire doit être soulevé même avant tout ça, là, pas avant la présentation finale de la requête mais avant la date de présentation, c’est-à-dire le 30 jours souvent qui suit le moment de la signification. Alors, il y a quand même des délais qui sont très rapides et qui font en sorte que les procureurs, tant de la partie demanderesse que de la partie défenderesse, doivent affûter leurs patins et répondre rapidement. Donc, ça permet d’éviter justement qu’un moyen préliminaire étire inutilement un dossier.

Le Président (M. Marsan): Mme Ferland-Gagnon.

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Mais est-ce qu’il y a un délai de prévu pour l’audition de cette requête-là et pour que le juge puisse rendre une décision quant à cette requête-là? C’était plus par rapport à ça, notre délai, en fait. Nous, on sait que la requête doit être présentée en tout début d’instance, mais, pour que la décision soit rendue, nous, c’est par rapport à ce délai-là qu’on souhaitait qu’il y ait une disposition dans le Code de procédure.

Le Président (M. Marsan): Mme la députée de Gatineau.

Mme Vallée: Ce que je comprends de votre intervention, c’est que vous souhaitez que, de façon prioritaire, la requête puisse être entendue. Mais dans le fond c’est comme tout autre moyen préliminaire, parce qu’on a ce type de requête qui est prévu dans les amendements au Code de procédure civile qu’on souhaite voir adopter très rapidement. Et c’est avec un grand soulagement que j’ai pris note des commentaires de mes collègues de l’opposition, mais, au même titre que ça, on a, dans une procédure… Si on regarde ce qui se passe actuellement sur le terrain, un moyen déclinatoire donc pour faire changer un district, par exemple, c’est un dossier qui est traité de façon préliminaire. Il y a plein d’autres procédures qui visent justement à ne pas étirer… Les moyens préliminaires ont comme objectif justement de ne pas étirer les délais pour faire en sorte qu’on dispose du tout le plus rapidement possible pour éviter justement des frais, des délais, du stress. Alors, c’est l’objectif visé par la question de l’article 159, c’est-à-dire: on utilise des moyens préliminaires rapidement pour éviter une multiplication des frais et des délais.

Je ne sais pas si vous étiez présentes ce matin. Le ministre a soulevé également toute la question du fonds d’aide, et j’aimerais avoir vos commentaires. Vous plaidez en faveur de l’instauration d’un fonds d’aide aux victimes. Ce que nous percevons, c’est que la création d’un fonds d’aide pourrait malheureusement avoir un effet négatif, en ce sens que certaines corporations auraient peut-être comme réflexe, comme réflexion de dire: Bof! l’État va payer. Alors, je n’ai pas de contrainte, je n’ai pas d’élément dissuasif à prendre la décision de poursuivre ou de ne pas poursuivre. Si jamais la poursuite que j’ai entreprise à l’encontre de monsieur X ou madame Y n’est pas retenue, si jamais la poursuite est rejetée, le fonds d’aide paiera, et je n’aurai pas personnellement… ni moi ni mes administrateurs n’auront à payer les frais de cette procédure-là.

Donc, comment vous voyez ça, vous, de votre côté? Vous ne croyez pas que, plutôt que d’avoir un effet dissuasif, le fonds d’aide aurait plutôt l’effet contraire?

Le Président (M. Marsan): Mme Ferland-Gagnon.

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Oui. Je comprends votre crainte. Ceci dit, puisque l’État a la responsabilité de protéger la liberté d’expression, c’est essentiel qu’en début de processus les victimes de poursuites-bâillons puissent être protégées, et la simple… Comme c’est bien écrit dans notre mémoire et tel que le rapport Macdonald en fait foi, la provision pour frais, ce serait extrêmement difficile à octroyer. Et puis, dans le cadre, par exemple…

Nous, ce qu’on souhaite, c’est qu’il y ait un fonds qui soit instauré avec des critères objectifs. D’ailleurs, à la page 81 du rapport Macdonald, il y a des critères qui sont suggérés. Donc, par le biais de ces critères-là, en tout début d’instance, il pourrait y avoir application du fonds. Mais, s’il y avait réellement… non pas s’il y avait réellement abus, mais, à l’étape, par exemple, de la requête, du dépôt de la requête en abus de procédure, si les critères de la provision pour frais pouvaient être remplis, à ce moment-là, la provision pour frais pourrait être octroyée et remplacerait un peu le fonds.

Le fonds, ce serait seulement en début de procédure, en ce sens que, dès qu’il y a des critères objectifs, donc, par exemple, ceux de poursuites judiciaires entreprises contre des individus ou des organisations engagés dans l’espace public dans le cadre de débats mettant en cause des enjeux collectifs et visant à limiter l’étendue de la liberté de ces individus ou organisations et à neutraliser leur action par le recours aux tribunaux pour les limiter et appauvrir et les détourner de leur action, dès que la procédure est signifiée, par exemple, si ces critères objectifs là sont remplis, il pourrait y avoir application du fonds. À ce moment-là, les frais de requête, tous les frais en début d’instance pourraient être couverts par le fonds. Si par la suite, un peu plus tard dans le processus judiciaire, les critères de la provision pour frais étaient remplis, il pourrait y avoir application de la provision pour frais, puis le fonds, à ce moment-là, pourrait ne plus subvenir aux frais encourus par la partie défenderesse. Donc, ce serait vraiment la provision pour frais, donc la partie qui intente la requête abusive… à payer pour la défense.

Donc, à ce moment-là, c’est vraiment un complément, le fonds et la poursuite. Le fonds, c’est vraiment pour protéger en tout début, donc ça n’aurait pas pour effet de faire en sorte que la partie qui dépose une poursuite abusive se dise: Ce n’est pas grave, c’est le fonds qui paie, parce qu’après ça il y aurait la possibilité que la provision pour frais puisse s’appliquer.

Le Président (M. Marsan): Mme la députée de Gatineau.

Mme Vallée: Oui, mais, la provision pour frais, advenant le cas d’une provision pour frais octroyée au tout début qui n’est pas payée par la partie qui doit la payer, on voit là un arrêt. Si tu ne paies pas ta provision pour frais, ta poursuite peut être rejetée. Donc, est-ce que ce ne serait pas plus rapide? Parce que, ce que vous prévoyez, il me semble que c’est… on prolonge les délais. Je sais que… Je vais céder la parole au ministre.

Le Président (M. Marsan): M. le ministre.

M. Dupuis: Je veux simplement ajouter, Mme Ferland-Gagnon et Mme Gareau, qu’il y a une résistance certaine à créer le fonds d’aide pour une raison qui est une raison budgétaire, là, que j’ai expliquée ce matin et que vous pourrez lire dans les galées mais pour les raisons, me semble-t-il, de contenu suivantes.

Premièrement, vous demandez, vous, qu’on puisse régler cette situation d’une requête préliminaire pour faire déclarer une poursuite abusive le plus rapidement possible, et je pense que c’est dans l’intérêt d’ailleurs du défendeur de l’action, de cette action-là de le faire déclarer le plus rapidement possible. Or, c’est certain qu’instituer un fonds d’aide ferait en sorte que le défendeur devrait s’y adresser, et là il y a un jugement à intervenir pour savoir s’il a le droit d’aller puiser dans le fonds d’aide, et là ça, ça retarde les procédures sans aucun doute. Il me semble que la provision pour frais répond à ça.

Deuxièmement, il m’apparaît que ça va dans l’intérêt de la société et dans l’intérêt public ? et là je vais employer une expression que la présidente des syndicats de la fonction publique a employée ce matin ? que le SLAPPer soit le payeur. Si je crée un fonds d’aide, c’est le fonds consolidé du revenu qui… c’est tous les contribuables québécois qui participent à cette affaire-là. Alors, que je pense qu’il y a un intérêt à ce que le SLAPPer soit le payeur, d’une part.

n(16 h 10)n

D’autre part, d’autre part, c’est encore plus dissuasif ? c’est mes trois raisons ? c’est encore plus dissuasif de créer une provision pour frais que le demandeur dans l’action principale doit verser plutôt qu’un fonds d’aide. Un fonds d’aide, c’est le fonds consolidé du revenu qui met l’argent, et c’est facile de dire: Ah! le gouvernement va payer, tous les contribuables vont payer. C’est plus facile de dire ça et c’est beaucoup moins dissuasif que la personne qui prétend qu’on a commis un libelle à son endroit, si ce n’est fait que pour empêcher la personne de s’exprimer publiquement, qu’elle se dise avant d’intenter cette poursuite-là: Il est possible que je doive verser et payer à l’éventuel défendeur des fonds. C’est ça, la raison qui milite en faveur de la provision pour frais.

Maintenant, je n’ai pas d’objection de principe à… Je sais qu’il y a eu des critiques sur le… certains groupes ont critiqué la rédaction du projet de loi. Ils disent: Ça va être difficile d’établir qu’on aurait le droit à une provision pour frais. Moi, je pense que non, là. Très honnêtement, je pense que non. Je pense que la provision pour frais, ce n’est pas automatique, il faut être capable de démontrer qu’elle pourrait être versée. Mais je ne suis pas fermé à regarder cette question-là. Merci.

Le Président (M. Marsan): Mme Ferland-Gagnon, il vous reste 1 min 10 s.

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Et 10 secondes. Je vais faire ça rapidement.

En fait, je comprends que vous parlez du fait que, le fonds, c’est les contribuables québécois qui paient, mais c’est de la responsabilité de l’État de faire respecter la liberté d’expression, d’une part. Et d’autre part on ne réclame pas un fonds en remplacement de la provision pour frais mais en plus de la provision pour frais. Donc, la…

Une voix: …

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Pardon?

M. Dupuis: Convainquez-moi, Mmes Ferland et Gareau, là, qu’il faut que ce soient tous les contribuables québécois qui fournissent quand un SLAPPer décide d’employer ce moyen-là. Honnêtement, là, vous allez avoir de la misère à me convaincre. Je suis franc avec vous, je vous dis ça bien amicalement et en souriant, mais, moi, il m’apparaît qu’il faut que le SLAPPer soit le payeur.

Le Président (M. Marsan): En terminant, madame.

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Oui, en terminant, comme il reste peu de temps. Je vais vous répondre également en souriant, en ce sens que c’est en début d’instance, pour couvrir tous les frais avant la demande d’application de la provision pour frais, que le fonds pourrait s’appliquer. Mais, à ce moment-là, si les critères, qui d’ailleurs, à notre avis, sont trop contraignants pour l’application de la provision pour frais, étaient remplis, à ce moment-là, ce serait à la personne qui intente la poursuite de payer pour la défense. Le fonds, ce serait vraiment juste en début, début, avant que la provision pour frais puisse s’appliquer.

Le Président (M. Marsan): Alors, je vous remercie beaucoup. Ça termine les échanges avec le parti ministériel. Nous allons maintenant poursuivre avec l’opposition officielle et le député de Vanier.

M. Légaré: Merci, M. le Président. Bonjour. Merci beaucoup d’être là.

Je veux juste revenir sur le délai. Tantôt, vous parliez de l’instauration d’un délai, ce qui se fait aussi avec la loi californienne. Est-ce que vous voulez un peu faire ce qui se fait, je dirais, sans copier la loi, là, mais en termes de nombre de jours, et puis tout ça? Est-ce que vous voulez aller dans le même sens que cette loi-là?

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Écoutez, nous, ce qu’on veut, c’est que ce soit le plus rapidement possible, puis, oui, cette requête-là est un moyen préliminaire. Mais, nous, ce qu’on veut, ce n’est pas seulement déposer notre requête de manière préliminaire, on veut que la décision soit rendue le plus rapidement possible. Nous, on aimerait ça qu’il y ait un délai pour que la décision soit rendue quant au caractère abusif, et de manière extrêmement rapide, en début d’instance. Si l’Assemblée nationale puis le législateur jugent que 30 jours, c’est suffisant puis ça peut s’insérer dans le Code de procédure civile, nous, on embarque avec ça. On veut que ce soit dès le début. On veut qu’il y ait une décision qui soit rendue quant au caractère abusif. Ce n’est pas que le dépôt du moyen préliminaire qu’on veut qui soit possible en début, on veut que la décision soit extrêmement rapide. C’est ce qu’on souhaite.

Le Président (M. Marsan): M. le député de Vanier.

M. Légaré: Oui. Merci, M. le Président. Donc, c’est primordial à l’atteinte de l’objectif. Je veux dire, sans le délai, pour vous, dans le projet de loi, c’est… La portée de la loi…

Le Président (M. Marsan): Mme Ferland-Gagnon.

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Bien, écoutez, nous, on considère que c’est un très bon projet de loi, là, qu’on a sous les yeux puis on souhaite qu’il soit adopté le plus rapidement possible. On ne dit pas que, s’il n’y avait pas de délai, ce ne serait pas un bon projet de loi; ce qu’on souhaite, c’est qu’il y ait un délai qui puisse faire en sorte que la décision soit prise de manière plus rapide, là.

M. Légaré: Je comprends.

Le Président (M. Marsan): M. le député de Vanier.

M. Légaré: Dernière question: Votre recommandation 10 sur le mécanisme d’évaluation, on fait ça comment? Est-ce qu’on fait ça avec une commission parlementaire? Est-ce qu’on fait ça avec un groupe de travail, une table? Je ne le sais pas. Peut-être préciser un peu votre pensée là-dessus.

Le Président (M. Marsan): Mme Ferland-Gagnon.

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Oui. Bien, il pourrait y avoir un comité qui se penche à savoir si les cas qui ont été jugés ou qui ont… les causes et les cas qui ont eu à faire en sorte que le projet de loi n° 99 s’applique respectent les objectifs qui sont clairement établis dans le préambule. Mais on aimerait également que les groupes et les poursuites… pas les poursuites mais les individus qui ont eu à passer à travers ce processus-là puissent faire partie de ce comité-là ou du moins puissent se faire entendre. Ce qu’on souhaite, là, c’est que, si le projet de loi, une fois adopté, finalement il ne remplit pas les objectifs concrets ? parce que c’est arrivé aux États-Unis quand il y a 25 États qui ont adopté une loi, mais il y en a qui ont dû la modifier par la suite ? nous, ce qu’on aimerait, c’est que les gens qui ont passé à travers le processus puissent faire partie du comité qui révise la loi.

M. Légaré: Sous une commission parlementaire? C’est plus ça ou…

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Ce pourrait être sous la forme d’une commission parlementaire ou d’une étude menée par un comité d’experts. Ce sera à vous de juger la meilleure manière de faire.

M. Légaré: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Marsan): Merci beaucoup, M. le député de Vanier. Maintenant, nous allons passer à la deuxième opposition, et je cède la parole au député de Mercier.

M. Turp: Alors, merci, M. le Président. Merci beaucoup pour votre présence, le mémoire, les recommandations. Vous avez, à la satisfaction du ministre, qui doit penser qu’il a monté beaucoup dans les sondages, aujourd’hui, au plan personnel, parce que tout le monde lui fait des beaux compliments, là, puis…

M. Dupuis: …

M. Turp: Ah! non, mais peut-être qu’elle va encore être meilleure. Il n’y aura pas de SLAPP contre le ministre, là, pour porter atteinte à sa réputation. Mais en tout cas…

M. Dupuis: La perfection n’étant pas de ce monde…

M. Turp: Il est lui-même perfectible. C’est très bien, ça. Il est lui-même perfectible, le ministre.

Mais en tout cas j’aimerais bien d’ailleurs savoir si le ministre est intéressé par le débat sur le délai, si ce serait utile d’ajouter un délai comme dans la loi californienne. J’entends non. Vous avez entendu comme moi? Il a dit non, là. Il faudrait peut-être qu’il nous dise pourquoi, parce qu’il y a plusieurs personnes qui évoquent l’idée d’ajouter un délai comme dans d’autres lois pour éviter que ça traîne, là. Notre collègue vous posait la question tout à l’heure, mais nos travaux permettront de savoir pourquoi il ne semble pas être ouvert à cette proposition.

Mais j’aimerais ça revenir sur le fonds d’aide, parce que, là, il vient de dire: Ah! Bien, il est prêt à écouter ça, là, le fonds d’aide. Puis là je veux comprendre votre argument. Votre argument, c’est que l’État devrait investir, les citoyens devraient investir parce qu’il s’agit de la liberté d’expression, d’un droit fondamental, et ce que le ministre dit, c’est que, bien non, il ne faut pas parce que c’est le fonds consolidé des revenus, les gens qui paient, les citoyens, puis ça devrait être le bâillonneur, là, qui devrait payer. Mais, ce matin, il a indiqué que l’État pourrait être subrogé, là, puis il pourrait aller récupérer l’argent, là, hein? Vous avez évoqué ça ce matin, M. le ministre.

M. Dupuis: Oui, j’ai dit que je n’étais pas d’accord.

M. Turp: Bien, c’est ça, il a dit qu’il n’était pas d’accord, mais, tout à l’heure, il a dit qu’il était prêt à examiner ça encore, là.

M. Dupuis: Non.

M. Turp: Non? Ah! Il me semblait que c’était ça que j’avais compris.

M. Dupuis: Essayez d’écouter ce que je dis, ça va aller plus vite.

Le Président (M. Marsan): Monsieur, la parole est…

M. Turp: J’avais compris ça, moi.

M. Dupuis: Si vous écoutez ce que je dis, ça va aller plus vite.

M. Turp: Je n’avais pas compris ça.

Le Président (M. Marsan): M. le ministre, excusez, la parole est au député de Mercier, s’il vous plaît.

M. Turp: O.K. Merci. Parce que, si c’est vrai qu’il y a une possibilité d’aller récupérer l’argent, là, que l’État a investi pour aider ceux qui ont été finalement victimes de la poursuite-bâillon, bien ce n’est pas vrai que finalement c’est le citoyen qui paie, parce qu’on va récupérer l’argent du citoyen auprès du bâillonneur, donc il va payer. Alors, peut-être que le ministre n’aime pas cette hypothèse-là parce que c’est un peu compliqué, là, parce que c’est à la fin du processus que ça arrive, mais ça ne fait rien, l’argument qui veut que le citoyen paierait ne tiendrait plus.

Alors donc, vous, vous croyez que c’est la responsabilité de l’État, par les citoyens, au début de la procédure, de soutenir et d’appuyer des groupes qui sont capables de démontrer qu’il y a une apparence de poursuite-bâillon. Moi, j’aimerais ça que vous continuiez là-dessus.

Le Président (M. Marsan): Alors, Mme Ferland-Gagnon.

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Oui. Bien, en fait, c’est que c’est la responsabilité de protéger la liberté d’expression. Donc, le fonds, ça ne vise pas juste à faire en sorte que ce soit la partie qui dépose une poursuite abusive qui n’ait pas à payer pour la défense, là, ça vise à protéger la victime.

Par exemple, dans le cas des citoyens de Cantley qui auront à passer en audition tout de suite après nous, ils se font poursuivre par une entreprise qui fait faillite. Alors, je ne vois pas comment cette entreprise-là pourrait faire en sorte de payer la défense des gens qu’elle poursuit. Elle n’a pas d’argent, elle est en faillite.

n(16 h 20)n

Et puis les critères qui sont énoncés dans le projet de loi sont beaucoup trop contraignants, ils ne correspondent pas aux objectifs du préambule. Nous, ce qu’on souhaite, tel que c’est indiqué dans notre mémoire, c’est que, ces critères-là, au lieu que ce soit inscrit «si les circonstances le justifient et s’il constate qu’une partie se trouve dans une situation économique telle qu’elle est dans l’impossibilité de valablement faire valoir son point de vue»… «Dans l’impossibilité de faire valoir son point de vue», là, situation économique impossible. Tu peux toujours réhypothéquer ta maison pour une troisième fois, mais est-ce que c’est ce qu’on souhaite pour protéger la liberté d’expression? Non, parce que ce n’est pas impossible de trouver des fonds pour sa défense quand tu peux réhypothéquer ta maison, mais ce n’est pas ça. Ce qui est essentiel, c’est que ce soit l’État qui protège ces victimes-là. Puis, à ce moment-là, dans un deuxième temps, si les critères, nous l’espérons, de la provision pour frais sont moins sévères, si ça peut s’appliquer, à ce moment-là, la provision pour frais pourrait être ordonnée par le tribunal, puis là ça aurait l’effet dissuasif.

Nous, ce qu’on souhaite, c’est qu’il y ait deux étapes. La première, c’est un fonds pour assurer vraiment la défense puis le respect, la protection de la liberté d’expression, puisque c’est une responsabilité de l’État de protéger la liberté d’expression. C’en est une.

Le Président (M. Marsan): Oui, Mme Gareau. Vous voulez ajouter quelque chose?

Mme Gareau (Priscilla): Oui. Je voulais ajouter que c’est la responsabilité de l’État et que c’est complémentaire, le fonds, et aussi que c’est la responsabilité de l’État parce que ces citoyens et citoyennes là, ils défendent… C’est comme, par exemple, pour le cas de défense collective des droits en environnement. L’environnement, c’est de tout le monde. Ce n’est pas juste eux qui… Ce n’est pas leurs propres intérêts qu’ils défendent mais ceux de la population du Québec face à un pollueur potentiel, et ça fait partie de la loi de protéger la santé des communautés. Donc, à notre avis, si la compagnie n’a pas l’argent, bien c’est sûr que, si après ça le gouvernement trouve un moyen pour aller récupérer l’argent, bien tant mieux. C’est sûr qu’il faut qu’il y ait… C’est comme un moyen, tu sais, de contrôler de la compagnie. Mais c’est sûr qu’il y a une partie de la responsabilité de l’État, et, qu’il aille chercher l’argent dans les poches de l’acteur ou peu importe qui utilise ces moyens-là, bien on est d’accord.

Le Président (M. Marsan): Alors, M. le député de Mercier.

M. Turp: En tout cas, j’espère que le ministre peut réfléchir à l’argument d’insolvabilité, là, de celui qui serait appelé à… auprès de qui on revendiquerait des provisions pour frais mais qui ne serait même pas capable d’en donner mais qui continuerait par ailleurs sa procédure judiciaire parce que, s’il gagne, il a bien de l’argent, là, il fait bien de l’argent, s’il gagne, puis donc, potentiellement, c’est pour ça qu’il garde son recours vivant. Alors donc, je pense qu’il y a… J’invite au moins le ministre à réfléchir, parce que de toute évidence il y a une hypothèse, là, où la provision pour frais, ça ne marche pas, là, ça ne marche pas. En tout cas, on va en discuter.

Mais le ministre, ce matin, s’est montré ouvert à l’idée d’améliorer la rédaction de la disposition ? ça, je pense que je vous cite comme il faut ? ouvert à améliorer la rédaction pour que ce ne soit pas illusoire, la possibilité d’obtenir la provision pour frais. Les critères semblent effectivement un peu serrés, peut-être un peu restrictifs. Et peut-être qu’ils le sont trop, puis il n’y aurait même pas d’accès véritable à une provision pour frais. Mais, moi, je pense que, sur le fonds, là, tu sais, les Californiens puis d’autres, à un moment donné, ils l’ont fait puis ils avaient des bonnes raisons pour le faire, puis je ne vois pas pourquoi, nous, on ne s’intéresserait pas aux bonnes raisons.

Le ministre résiste beaucoup. Moi, je résiste moins, là, puis je suis intéressé à continuer le débat puis à aller jusqu’au fond de ce débat-là parce que c’est la meilleure loi qu’il nous faut. Puis, si la meilleure des lois suppose qu’il devrait y avoir un fonds, il devrait y en avoir un qui est peut-être bien encadré, balisé, les deux possibilités étant liées, là, le fonds et la provision pour frais.

Mais il ne faut pas oublier que Macdonald, Jutras et Noreau proposaient le fonds, là. Ils l’ont proposé. Après mûre réflexion, ils ont proposé le fonds. Et une des questions que je me pose, c’est… Le ministre à l’occasion évoque l’argument que ça pourrait prendre du temps, là, hein, et donc, tu sais, ce n’est pas ça qu’on veut, là, on veut que ça se règle vite puis que, cette procédure, on y mette fin parce que c’est une procédure abusive. Alors, je suis curieux de savoir. Peut-être que vous pourriez nous donner l’information pendant le cours de nos travaux. C’est quoi, la moyenne, par exemple, ou le délai moyen de la décision du fonds d’aide collectif, là, sur la décision d’autoriser le recours? Si c’est trop long, bien peut-être qu’il y a un argument sérieux, là. Mais, si ce n’est pas si long que ça, bien ce ne serait pas plus long pour un fonds d’aide aux victimes de poursuites-bâillons. Alors, M. le ministre, ça, c’est une chose que j’aimerais savoir.

M. Dupuis: Oui, bien je peux répondre tout de suite, avec votre permission, bien sûr.

Le Président (M. Marsan): M. le ministre.

M. Dupuis: Vous comparez des pommes avec des oranges. Quand on a recours au Fonds d’aide aux recours collectifs, on y a recours avant que l’instance ne soit introduite, alors que, dans le fonds dont on parle, ce serait une fois que l’affaire est introduite qu’on demanderait de s’adresser au fonds. Peu importe le délai, ce que tout le monde souhaite, c’est que la résolution de ce litige-là, à savoir: Est-ce une poursuite abusive ou non?, se résolve le plus rapidement possible. C’est évident qu’un recours au fonds impute des délais supplémentaires, peu importent quels délais, mais impute des délais supplémentaires.

L’autre chose que je souhaite ajouter ? avec votre permission, parce qu’on achève ? l’autre chose que je souhaite ajouter, c’est: moi, j’ai beaucoup de compassion à l’endroit d’une personne qui obtient un jugement et qui ne peut le faire exécuter parce que l’autre partie est devenue insolvable ou est insolvable. J’ai beaucoup de compassion. Mais, dans des dossiers normaux ? oublions poursuites-bâillon, oublions ces dossiers-là ? dans des poursuites normales, lorsqu’une partie devient insolvable, on ne demande pas à l’État de payer le jugement parce que la personne est devenue insolvable. À un moment donné, là, il y a une économie du droit qu’il faut respecter puis il y a un corpus législatif qu’il faut respecter aussi. Autrement dit, ce que je suis en train de vous dire, c’est: l’argument de l’insolvabilité éventuelle de l’une des parties n’est pas à mon avis, bien modestement et bien humblement, n’est pas à mon avis un argument qui doive emporter la décision de créer un fonds ou non, pas du tout.

Le Président (M. Marsan): Merci, M. le ministre. Mme Ferland-Gagnon, vous voulez réagir, je pense.

Mme Ferland-Gagnon (Gabrielle): Oui, en effet. Puisque vous parlez… Sur ce que vous venez de dire, M. le ministre, en fait c’est que, si la provision pour frais ne peut remplir son objectif, donc si la partie qui aurait à payer une provision pour frais est insolvable, oui, c’est important qu’il y ait un fonds et, oui, c’est un argument valable en faveur de l’instauration d’un fonds puisque l’objectif de la provision pour frais ne pourrait être atteint, d’une part.

D’autre part, il faut aussi se poser la question à savoir si l’effet dissuasif de la provision pour frais est là dans tous les cas, puisque les frais judiciaires d’une entreprise sont considérés comme une dépense, donc déductibles d’impôt. Donc, en étant déductibles d’impôt, ces frais-là sont… la provision pour frais serait dissuasive mais pas au point tel que si c’était le cas d’un individu, par exemple. Donc, on peut mettre en doute aussi, sur certains aspects, l’aspect dissuasif de la provision pour frais.

Le Président (M. Marsan): Je vais revenir pour peut-être une dernière question au député de Mercier. Il reste une minute.

M. Turp: Je pense que vous plaidez bien votre cause, là. Vous plaidez bien votre cause. Puis je pense que c’est un autre élément qui s’ajoute, là, le fait que c’est déductible d’impôt. Alors, je pense que ça mérite, là, qu’on y…

Mais, la question la plus fondamentale, vous l’avez posée. C’est que des fois, la liberté d’expression, on dit, là: Ah! c’est une… L’État, dans son rapport avec la liberté d’expression, c’est une liberté, il ne doit rien faire pour lui nuire, hein, tu sais, il a une espèce de devoir d’abstention ? tu sais, moi, j’enseigne ça dans mes cours de droits et libertés ? alors que des fois, là, pour la liberté et des libertés fondamentales, il a un devoir de faire quelque chose. Ce n’est pas juste s’abstenir. À un moment donné, dans certains cas précis, il faut poser des gestes pour que cette liberté existe, comme adopter des lois mais peut-être aussi créer des fonds. Et là on a un exemple d’une occasion où l’État devrait probablement, pour faire respecter la liberté d’expression, même créer un fonds de ce type.

Le Président (M. Marsan): Alors, je vous remercie.

Sur ce, je voudrais remercier les membres du Réseau québécois des groupes écologistes, Mme Gareau, Mme Ferland-Gagnon, et je vais suspendre quelques instants. Et je demanderais au groupe… ou plutôt à Mme Christine Landry et Serge Galipeau de se présenter à la commission. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 29)

(Reprise à 16 h 31)

Le Président (M. Marsan): Nous allons reprendre nos travaux. Je voudrais saluer Mme Christine Landry et M. Serge Galipeau et vous indiquer que vous avez une période de 15 minutes pour faire votre présentation.

Mme Christine Landry
et M. Serge Galipeau

Mme Landry (Christine): Avant de commencer, est-ce qu’il serait possible de nous assermenter, étant donné qu’on subit une poursuite, qu’on a une poursuite qui est encore en vigueur?

Le Président (M. Marsan): J’inviterais le secrétaire de la commission à assermenter les témoins.

Assermentation de Mme Christine Landry

Mme Landry (Christine): Je, Christine Landry, déclare sous serment que je dirai toute la vérité, rien que la vérité.

Le Président (M. Marsan): Merci, Mme Landry.

Assermentation de M. Serge Galipeau

M. Galipeau (Serge): Je, Serge Galipeau, déclare sous serment que je dirai toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président (M. Marsan): Merci, M. Galipeau. Nous allons maintenant écouter votre présentation.

Mme Landry (Christine): M. le Président, M. le ministre de la Justice, membres de la commission, nous, Serge Galipeau, Christine Landry, citoyens de Cantley, apprécions grandement le fait de pouvoir participer à cette deuxième commission parlementaire afin de vous faire part de nos recommandations sur le projet de loi n° 99 antibâillon déposé en juin dernier. Bravo à vous, M. le ministre de la Justice, M. Jacques P. Dupuis, ainsi qu’aux deux partis d’opposition qui agissent de concert pour adopter rapidement une loi antibâillon qui s’imposait et qui sera la première loi antibâillon, loi pionnière au Québec et la seule au Canada.

On assiste à un débat sérieux, constructif et démocratique. Le SLAPP étant un geste stratégique, agressif, malicieusement calculé, alors toutes nos félicitations pour le dépôt de ce projet de loi n° 99 antibâillon qui vise à protéger la liberté d’expression des citoyens du Québec. Cette loi antibâillon, une fois adoptée, sera un grand pas pour la démocratie, la liberté d’expression et pour les droits et libertés. Nous fondons beaucoup d’espoir dans l’adoption de cette loi.

Serge va présenter notre mémoire concernant le sujet.

Le Président (M. Marsan): Alors, M. Galipeau.

M. Galipeau (Serge): Bonjour. Depuis le 25 août 2006, nous sommes poursuivis pour un montant de 1 250 000 $ pour diffamation et atteinte à la réputation par les propriétaires du DMS de Cantley et leurs compagnies à numéro ? il y a deux compagnies à numéro ? représentés par Me Raymond Mantha, de la firme Mantha, Phillips. Pour nous, ça représente 774 jours depuis le début, puis, dans ces 774 jours là, à toutes les heures de la journée, on pense au moins une fois à la poursuite.

L’état de la poursuite. Je vais commencer.. Il y a deux sections du mémoire, un historique un peu de la poursuite puis où on en est rendus, puis ensuite je vais parler des articles. J’ai 13 recommandations, on a 13 recommandations sur le projet de loi.

Où on en est maintenant? On a reçu, en juin dernier, un avis de dépôt de certificat d’état dans lequel on mentionne que cette cause sera appelée au rôle provisoire pour en fixer la date d’audition dans les meilleurs délais. Donc, on est là, il n’y a pas de date encore. Il y a eu, le 28 mai dernier, du vandalisme chez nous. Il y a eu deux gazebos, qu’on avait depuis des années, qui ont été complètement détruits. Et là je n’essaie pas de faire du tout le lien entre ça et les propriétaires du DMS, sauf que, nous, on n’avait jamais été victimes d’aucun acte de vandalisme avant ? ça fait depuis 1992 qu’on demeure là ? et on est très actifs, dans le dossier du DMS, depuis 2005, et on est porte-parole aussi des citoyens. Donc, c’est sûr qu’on peut se poser des questions. Il y a peut-être quelqu’un qui n’a pas aimé notre implication dans le dossier.

Suite à ces événements-là, on a investi beaucoup d’argent et de temps à reconstruire les pavillons. On s’est même… Bon, on a sacrifié encore plus d’argent à s’acheter et installer un système complet de sécurité avec 10 caméras, moniteurs, un peu comme une compagnie, qui fonctionne 24 heures sur 24. Pour la première fois de notre vie, on ne se sent plus en sécurité chez nous.

Les propriétaires du DMS de Cantley ont fait plusieurs appels depuis la fermeture du site. Ils ont fait trois appels au Tribunal administratif, un appel en… un appel, ensuite une requête en révision et ensuite une requête en annulation qui ont tous trois été rejetés après neuf jours d’audiences, et là, maintenant, ils font une requête en révision judiciaire à la Cour supérieure du Québec qui va être jugée à Québec.

Il y a eu des condamnations, récemment. Le 6 août dernier, les propriétaires du DMS ont plaidé coupables à six chefs d’accusation, dans lesquels on peut lire un communiqué du ministère de l’Environnement qui se lit comme suit: «…la compagnie a reconnu avoir enfreint [...] à six reprises, notamment d’avoir émis dans l’environnement des gaz susceptibles de porter atteinte à la santé, d’avoir reçu et enfoui des déchets inacceptables et d’avoir déversé du sable dans le ruisseau Blackburn.» Mais les propriétaires du DMS continuent à nous poursuivre pour avoir dénoncé les mêmes faits et questionné les mêmes faits. Donc ça, on se demande pourquoi la poursuite est toujours là.

Et, depuis le 8 juillet dernier, maintenant c’est le maire de Cantley qui est poursuivi pour diffamation, lui aussi, pour 250 000 $. Donc, basé sur les recherches qu’on a faites… Je pense que c’est 250 000 $… 225 000 $, je m’excuse. Basé sur les recherches qu’on a faites, les propriétaires du DMS poursuivent le maire de Cantley actuel depuis juillet, ainsi que l’ex-maire de Cantley pour 420 000 $ ? lui, ça fait depuis 1989 qu’il est poursuivi; sa poursuite semble être toujours active ? et trois citoyens, dont un pour 25 000 $, et 150 000 $, et nous pour 1 250 000 $ pour diffamation, atteinte à la réputation et perte de revenus.

Et finalement on a reçu une lettre, la semaine dernière, de Santé publique Outaouais sur les sommaires des dépassements des niveaux des gaz permis par l’ordonnance de juillet 2005 du ministre Mulcair. Dans cette lettre, je vais vous lire juste deux paragraphes, là. Ça, c’est Santé publique qui parle: «Après compilation et analyse des données des Jerome ? l’appareil de mesure des gaz ? du début mars à la fin juin 2008, donc sur 122 jours, vous avez enregistré plus de 6 000 dépassements des valeurs permises, et il y a eu 102 jours de dépassement, donc six jours sur sept. En plus, au lieu de prendre 20 lectures par heure, à chaque heure, sur chaque Jerome, les propriétaires n’en prennent que quatre, et en plus, pendant de longues périodes, il y a un ou deux Jerome qui ne fonctionnent pas.» Et Santé publique dit qu’il y a 85 % des données qui manquent, mais il y a eu quand même 6 000 dépassements.

Bon, ça, ça clôt la saga du DMS. Maintenant, je vais vous parler du projet de loi. On a 13 recommandations.

Premièrement, il y a des choses qu’on aimerait ajouter. Comme par exemple, la première chose, c’est l’identification d’une poursuite-bâillon, puisque le côté bâillon d’une poursuite n’est jamais apparent à première vue, il faut chercher un peu, là. Nous, on recommande d’inclure dans la loi ou dans un document connexe une méthode d’identification des poursuites-bâillons qui permettrait de dénicher systématiquement le SLAPP qui se cache dans une poursuite soi-disant bien fondée.

n(16 h 40)n

On peut parcourir quelques ouvrages qui ont été faits sur les poursuites-bâillons: il y a le rapport Macdonald, qu’on a souvent cité, qui définit ce qu’est une poursuite-bâillon, qui peut servir à créer cette méthode; ensuite, à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, lorsqu’ils ont rendu décision sur la cause Daishowa versus Friends of the Lubicon and Fraser, and Saanich, ils identifient aussi la description d’un SLAPP; et finalement, dans le livre Getting sued for speaking out, qui est fait, aux États-Unis, par les auteurs George Pring et Penelope Canan, eux, ils présentent une méthode simple de cinq critères qui permettent d’identifier un SLAPP.

Le premier critère, c’est l’action du demandeur: Est-ce que les agissements reprochés au défendeur sont d’avoir entré en communication avec le gouvernement ou avec des élus via des plaintes, des lettres, des rapports, pétitions, audiences, conseil de ville? Si c’est le cas, nonobstant les autres agissements, la poursuite est une poursuite-bâillon.

Le deuxième critère, les motifs de l’action: Est-ce que les poursuites-bâillons utilisent les motifs, par exemple comme diffamation, pertes monétaires, complot, etc.? Si c’est le cas, l’action est probablement une poursuite-bâillon.

Ensuite, les dommages en réparation: si le montant est exagéré, par exemple 100 000 $, 1 million, 10 millions, etc., c’est encore une caractéristique d’un SLAPP.

Le quatrième, c’est ce qu’ils appellent, eux, le «ripple effects». Une bonne façon de faire taire les citoyens, c’est de créer un climat de peur. Donc, les citoyens se taisent parce qu’ils ont peur d’être poursuivis.

Et ensuite le dernier, c’est de nommer un individu, ou un couple dans notre cas, et non pas l’organisation qu’il représente. Comme on a un comité de citoyens, bien, nous, on a été poursuivis. Nous, notre poursuite répond à ces cinq critères-là.

Ensuite, on aimerait apporter un point sur les mises en demeure qui précèdent la poursuite-bâillon. Le SLAPP agit immédiatement à la réception de la mise en demeure et agit tout de suite sur la victime, son entourage et la situation. Non seulement elle empêche le citoyen de participer au débat public, elle brime sa liberté d’expression, fait fuir et amène à une déresponsabilisation du citoyen face à un problème, une préoccupation. En plus, la mise en demeure exige qu’on se rétracte, qu’on rétracte nos paroles, et elle vise à détourner l’attention et l’énergie de la victime en l’acheminant vers un long processus judiciaire. La mise en demeure prend en otage ses convictions et sa liberté d’expression, et la rançon, c’est l’abandon. Elle agit à l’encontre d’une saine démocratie. Là, je parle vraiment de la mise en demeure qui précède le SLAPP.

Nous recommandons que le Code de déontologie des avocats soit amendé pour sensibiliser les avocats sur l’impact réel d’une mise en demeure. Les avocats qui utilisent la mise en demeure comme une arme judiciaire devraient recevoir une sanction, voire même une suspension. Mettre en demeure un citoyen afin de limiter son droit de parole et d’expression et sa participation au débat public, c’est un SLAPP.

Ensuite, les ententes hors cour, on en a parlé beaucoup avant, là. On aimerait qu’il y ait une clause dans la loi pour empêcher que les ententes hors cour deviennent des ententes-bâillons.

Voyons maintenant les articles de la loi qui sont là. La note explicative au début est très claire, précise et devrait permettre aux juges des différents tribunaux de bien comprendre l’intention du législateur. Ça, c’est précis.

Ensuite, les articles de loi. 54.1. Quand on lit l’article, on n’est pas… Bien là, je verrais… Maintenant que le ministre a répondu plusieurs fois… On n’était pas sûrs si ça incluait les poursuites pendantes… les causes pendantes. Bon.

54.2. Sur le renversement du fardeau de la preuve, quand on lit l’article, ça dit que c’est au défendeur de prouver que la procédure constitue un abus. Nous avons deux réticences envers cet article: premièrement, la preuve requise et, deuxièmement, les délais.

La preuve. Il ne faudrait pas que la construction de cette preuve-là devienne aussi grosse que la construction de la preuve de la poursuite, sinon ça ne donne plus rien. Donc, on aimerait que soit précisée et encadrée l’étendue de la preuve requise dans la loi.

Deuxièmement, les délais. On aimerait qu’il y ait un délai dans la loi, parce qu’il n’y a pas de délai. Par exemple, nous recommandons que ce délai soit fixé à 60 jours, comme en Californie, pendant lequel le demandeur qui considère être victime d’une poursuite-bâillon peut faire une requête pour que sa poursuite soit examinée en ce sens et que le tribunal ait une période de 30 jours pour entendre cette requête. Donc, il y a deux délais.

54.3. Lorsque l’acte de procédure constitue, à sa face même, un abus sérieux, la procédure devrait être rejetée immédiatement. Bon, dans notre cas, les demandeurs qui nous poursuivent ont plaidé coupables à six chefs d’accusation récemment, cette année. Bon, à ce moment-là, nous, ce qu’on propose, c’est que les jugements qui sont émis par d’autres tribunaux, la Cour du Québec, le Tribunal administratif, la Cour d’appel, etc., le cas échéant, devraient servir à identifier les procédures abusives et à rejeter immédiatement la procédure. Dans notre cas, il me semble qu’on devrait la rejeter, parce que, là, ils avouent qu’ils ont fait ce que, nous, on dénonçait.

54.4, le versement d’une provision pour frais, bon, afin d’aider le défendeur à préparer sa défense et payer des frais d’avocat et extrajudiciaires. Bon, nous croyons que l’objectif, même s’il est valable, nous croyons que ce ne sera pas appliqué souvent parce qu’il y a une phrase qui se lit comme suit: «…s’il constate qu’une partie se trouve dans une situation économique telle qu’elle est dans l’impossibilité de valablement faire valoir son point de vue…»

Le Président (M. Marsan): M. Galipeau, vous allez m’excuser, je vais vous demander de conclure, il vous reste très peu de temps.

M. Galipeau (Serge): Parfait. Je vais aller seulement aux recommandations.

M. Dupuis: Avec votre permission, moi, je suis prêt, si monsieur n’a pas terminé sa présentation, à ce que le reste de la présentation soit pris sur notre temps. Pas de problème?

Le Président (M. Marsan): Alors, vous pouvez continuer.

M. Galipeau (Serge): Merci. Je vais aller quand même plus rapidement. Nous, on recommandait qu’un fonds d’aide soit créé parce qu’on pensait que ce serait plus vite, toujours une question de délai, et que le montant soit fixé et puis qu’il corresponde aussi à l’ampleur de la poursuite ? une très grosse poursuite dans deux différentes provinces, donc le montant devrait être plus gros. Et nous recommandons aussi que le fonds d’aide soit financé par l’État au début, et, lorsque le juge rend sa décision sur une poursuite-bâillon, bien, à ce moment-là, le demandeur devrait être systématiquement condamné à payer un dommage punitif exemplaire qui serait versé au fonds, donc le fonds s’autofinancerait à un moment donné.

C’est sûr que, nous, au début, le premier mémoire qu’on a fait, ce qu’on proposait, c’est que le SLAPPer paie les frais que, nous, on doit encourir.

Mme Landry (Christine): C’est un principe, moi, qui m’a…

Le Président (M. Marsan): Mme Landry.

Mme Landry (Christine): Oh! Excusez, je coupe la parole.

Le Président (M. Marsan): Non, non, c’est correct, allez-y. Vous pouvez y aller.

Mme Landry (Christine): J’avais une parenthèse à faire. On est un peu déchirés entre les deux parce qu’il y a beaucoup d’avantages dans le fonds, énormément d’avantages, c’est juste le délai qui nous coupe les ailes un peu, en tout cas pour certaines situations, là. Mais, moi, je fais juste dire ça, qu’il y a du bon dans les deux. Mais Serge est plus en mesure peut-être de préciser, là, là-dessus.

M. Galipeau (Serge): Si on continue, bon, 54.5 prévoit des dépens, dommages-intérêts en réparation, dommages-intérêts punitifs, etc. Mais, comme le RQGE le mentionnait tantôt, une des deux compagnies qui nous poursuit est sous la protection de la Loi de la faillite. Donc, il reste les deux propriétaires. Donc, là, les deux propriétaires, on tombe à l’article 54.6, qui sont les administrateurs. Selon nous, c’est essentiel, parce que, là, les compagnies, surtout les compagnies à numéro, souvent c’est une coquille vide, il n’y a aucun actif, il n’y a rien. Donc, à ce moment-là, 54.6 répond à nos préoccupations.

Lorsque le tribunal rend sa décision et que la poursuite est jugée être une poursuite-bâillon, le juge devrait ordonner automatiquement, en plus des paiements des dépens et des dommages-intérêts en réparation, le paiement de dommages-intérêts punitifs au défendeur, parce que le dommage qui est créé par un SLAPP, c’est énorme, et ce serait, ça, un incitatif, qu’il y ait toujours des dommages punitifs en plus.

Mme Landry (Christine): Écoutez, je veux juste ajouter…

Le Président (M. Marsan): Oui, Mme Landry.

Mme Landry (Christine): Je veux juste dire que ce que j’aimais, moi, de la provision pour frais, c’était qu’on responsabilise le contrevenant, à quelque part. Ça, je trouve que c’est une valeur de base de justice. Mais je ne suis pas une experte en justice, je m’excuse, je fais juste dire ça, puis peut-être je ne connais pas les conséquences. Vous êtes des experts. Serge… En tout cas, on a deux… Puis je vois… En tout cas, continue, Serge. Je m’excuse.

Le Président (M. Marsan): Alors, M. Galipeau.

n(16 h 50)n

M. Galipeau (Serge): Pour terminer aussi sur cette recommandation-là, comme M. Turp l’a dit au début de la journée, les arguments du Barreau sur l’assurance, bien ça se joue dans les deux sens, là. Parce que, nous, on a essayé de faire payer nos frais par notre assurance responsabilité de la maison, mais, aussitôt qu’ils voient le mot «diffamation», ça vient de terminer là, c’est automatique.

Donc, la dernière recommandation, c’est: nous recommandons, lorsque le demandeur ne peut rembourser les dommages qu’il a causés, par exemple qu’il fait faillite, bien, que la cause soit transférée automatiquement au criminel. Et, encore là, on n’est pas des avocats, là, mais c’est ce qu’on aimerait.

En conclusion, nous vous remercions beaucoup de nous avoir invités ici pour présenter nos suggestions. Nous fondons beaucoup d’espoir dans la loi et nous espérons que la loi antibâillon sera adoptée dans les plus brefs délais, étant donné la possibilité d’élection ? on revient toujours là-dessus. Ça conclut notre intervention.

Le Président (M. Marsan): Mme Landry, M. Galipeau, merci de votre présentation. Nous allons maintenant ouvrir le débat, ou les échanges, avec le parti ministériel. Mme la députée de Gatineau.

Mme Vallée: Merci, M. le Président. Alors, Mme Landry, M. Galipeau, bienvenue. Bienvenue à Québec. Pour les membres de la commission qui ne le savent pas, il s’agit de deux citoyens du plus beau comté du Québec, le comté de Gatineau.

Des voix: …

M. Dupuis: Ah! je ne savais pas qu’ils avaient déménagé dans Saint-Laurent.

Le Président (M. Marsan): Alors, poursuivez.

Des voix: …

Le Président (M. Marsan): S’il vous plaît!

Mme Vallée: Excusez-moi.

Le Président (M. Marsan): Mme la députée de Gatineau.

Mme Vallée: Alors, je sais que pour vous il s’agit de votre deuxième visite. Donc, c’est une deuxième participation aux travaux de cette commission dans le cadre du projet de loi n° 99. Je tiens à vous remercier d’avoir partagé vos expériences avec les membres de la commission. Je pense que, pour les gens qui nous écoutent et même pour les gens autour de la table, la préparation d’un mémoire, lorsque c’est fait par un organisme, on a tendance parfois à ne pas trop s’arrêter au temps que les gens investissent, parce qu’on dit: Bof! il y a du personnel de soutien. Mais, pour des citoyens comme vous, il n’y en a pas, de personnel de soutien. Alors, c’est le fruit de votre labeur, c’est du temps que vous avez pris en dehors de vos obligations professionnelles, en dehors de vos obligations familiales pour partager avec les membres de la commission, avec les autres parlementaires vos impressions, votre vécu et pour faire avancer le dossier et le projet de loi n° 99. Alors, je tiens à vous remercier d’avoir pris ce temps-là et d’avoir partagé avec nous.

Et aussi non seulement ça, mais je tiens à vous remercier de vous être déplacés, parce que je le fais à toutes les semaines, ce déplacement-là, entre l’Outaouais et Québec, puis…

Une voix: …

Mme Vallée: Oui, c’est un bon déplacement, ce sont des frais, et merci encore une fois. Alors, je voulais tout simplement…

Ceci étant dit, je vais faire les mêmes commentaires que j’ai faits suite à la présentation de M. Cheyney. Compte tenu des restrictions réglementaires que nous devons respecter, qu’il s’agisse de l’article 35.3° et de l’article 82, les membres du groupe ministériel, y compris le ministre, n’échangeront pas avec vous sur le mémoire, compte tenu que votre dossier vous opposant à M. Thom, M. Proulx et la compagnie numérique est toujours pendant, puis on ne voudrait que le débat entre ou fasse référence à une cause qui est pendante.

Ceci étant dit, nous avons votre mémoire entre les mains. Nous avons pris bonne note des recommandations. Vous avez pu voir au cours de la journée, parce que vous êtes ici depuis le début de la journée, vous avez pu écouter les échanges qui ont porté sur plusieurs des recommandations que vous avez faites devant la commission. Alors, il y a eu des échanges entre le ministre et certains intervenants qui ont touché directement certaines de vos recommandations. Mais soyez assurés que ce mémoire-là est lu et est considéré dans le suivi des travaux, parce qu’il y aura des travaux entre membres de la commission. Alors, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de questionnement sur votre mémoire, qu’il n’y a pas d’intervention sur votre mémoire qu’il n’y a pas d’intérêt. Alors, il y a une restriction réglementaire, et on tient à la respecter, mais on veut également souligner votre travail, puis merci beaucoup d’être ici.

Le Président (M. Marsan): Merci, Mme la députée de Gatineau. Nous allons poursuivre les échanges avec l’opposition officielle. M. le député de Vanier.

M. Légaré: Merci, M. le Président. Je vais en avoir seulement qu’une, moi, peut-être plus pour éclaircir… D’abord, merci d’être là, c’est très apprécié.

Dans une des recommandations que vous avez ici, dans le document, «inclure dans la loi ou un document connexe une “méthode d’identification des poursuites-bâillons” permettant de dénicher systématiquement le SLAPP qui se cache dans la poursuite soi-disant bien fondée», «le SLAPP qui se cache dans la poursuite», l’espèce de… c’est plus subtil. Je ne sais pas, donnez-moi des exemples, j’ai besoin de me faire éclaircir là-dessus. Est-ce que vous avez des exemples concrets d’un… je veux dire, un SLAPP qui se cache? J’ai de la misère à voir un peu.

Le Président (M. Marsan): M. Galipeau.

M. Galipeau (Serge): Merci. La meilleure façon, c’est d’utiliser notre poursuite, que, nous, on considère probablement poursuite-bâillon. Quand tu lis la poursuite, qui a peut-être, je ne sais pas, une trentaine de pages, ça fait peur parce que c’est écrit d’une façon que c’est incriminant. Bon, on a dit telle chose, puis on a dit, par exemple, dans notre cas, qu’il y avait des gaz qui s’échappaient du site puis qu’il y avait probablement de la pollution, puis on a dit que les gens autour du site étaient malades, puis on a dit que… Là, on avait peur que l’eau soit affectée par ça. Puis, eux, à chaque point, ils disent: C’est complètement faux, c’est des faussetés et ça va être prouvé en cour. Puis là, à chaque chose que tu dis, bien ils arrivent avec au moins une page d’arguments qui dit que ça, c’est complètement faux, c’est diffamant.

Quand on a reçu la poursuite, là, bien, juste en la lisant, le sang nous revire dans… Tu sais, c’est comme… Ça fait peur. Même chez nous, on sait que, bon, on a dénoncé des faits, puis maintenant on le sait parce que, plusieurs années après, ils disent que, oui, oui, c’est vrai qu’on a pollué, c’est vrai qu’il y a eu des gaz, puis tout ça.

Mme Landry (Christine): Il y a des faits qui ont été prouvés, qui ont été documentés, qui ont été amenés en preuve par le ministère de l’Environnement.

M. Galipeau (Serge): C’est ça. Parce que, nous, en plus on a passé neuf jours d’audiences au Tribunal administratif. À chaque appel que les propriétaires ont fait, on était là. Moi, j’ai été invité comme témoin pour aller témoigner de ce que les citoyens ont vécu, donc on a vu tous les arguments de tous les côtés. Même la municipalité de Cantley a aussi un avocat qui siège à chaque fois qu’il y a des audiences. Donc, on a vu, là, les 400 documents de preuve du ministère de l’Environnement. Moi, j’ai des boîtes chez nous de… J’ai fait… accès à l’information souvent, ce qui coûte une fortune, en passant. J’ai des boîtes de documents, des rapports d’inspection depuis 1989. J’ai plein, plein, plein de données. Dans notre preuve, on a 250 documents. C’est trois immenses «binders», excusez-moi l’expression.

Mais c’est sûr que, pour répondre à votre question, quand on reçoit la poursuite ? pas nous parce qu’on sait ce qu’on a dit et que c’est vrai ? mais, quand le juge regarde la poursuite, pour lui, il dit: Ah! bien là, oui, peut-être qu’ils ont vraiment diffamé, ils ont dit telle chose, puis ils ont dit telle chose, puis, câline! ça a de l’air… Mais là, quand on utilise une technique comme celle qui est dans le livre de Pring et Canan, bien, juste en regardant assez vite, on peut voir que, ah! oui, là, ils ont écrit des lettres puis ils se plaignent qu’on écrit des lettres, ils se plaignent aussi qu’on écrit des lettres aux ministres puis au ministre de l’Environnement, puis là ça commence à ressembler à une poursuite-bâillon. Donc, à ce moment-là, tout de suite notre poursuite devrait prendre un autre chemin, là, plus rapide.

Le Président (M. Marsan): Merci. Oui, M. le député de Montmorency.

M. Benoit: Merci, M. le Président. Alors, tout d’abord, je veux vous féliciter pour la teneur de votre mémoire et aussi de vous être déplacés effectivement du plus beau comté, semble-t-il.

Écoutez, moi, j’aimerais vous entendre un peu plus sur la recommandation que vous faites au niveau des jugements: «Les autres jugements émis par d’autres tribunaux, le cas échéant, devraient servir à identifier les procédures abusives et à rejeter immédiatement la demande en justice du demandeur.» C’est ma première… J’aimerais vous entendre un peu plus là-dessus.

Et aussi, au niveau du fonds d’aide aux victimes de poursuites-bâillons, en tant que contribuable, vous, parce que vous avez écouté les échanges qu’on a eus tantôt, est-ce que vous croyez que ce serait… Je n’ai absolument rien contre le fonds d’aide, là, au contraire. Par contre, de quelle façon est-ce qu’on va le provisionner, hein? J’aimerais vous entendre en tant que contribuables aussi, avoir votre vision de ça. Alors, c’est deux questions en dedans d’une, là.

Le Président (M. Marsan): M. Galipeau.

M. Galipeau (Serge): Merci. Oui, la première question. Étant donné que, nous, la saga, ce qui a été baptisé «la saga du dépotoir de Cantley», ça fait longtemps que ça dure, c’est un débat public. Il y a eu au moins 450 articles de journaux juste là-dessus et il y a eu… Plusieurs fois, on s’est ramassés devant un tribunal. Donc, il y a eu des preuves de déposées. Il y a eu les avocats de chaque côté qui ont pu débattre. Il y a des enregistrements, tout est enregistré, puis, moi, je les ai, tous les enregistrements. Donc, il y a plein de preuves qui prouvent nos points mais qui prouvent ce que, nous, on a dit et sur quoi on se fait attaquer.

n(17 heures)n

Donc là, nous, on aimerait prendre ces preuves-là puis les amener à quelqu’un puis dire… à un tribunal puis dire: Regardez, là, à telle, telle date, le Tribunal administratif a jugé telle chose, donc on peut conclure que ce qu’on a dit, ce n’était pas diffamatoire. Ça, c’est le premier point. C’est parce qu’il faut se rappeler que c’est un débat public, donc, souvent, dans un débat public, notre cause est en attente, mais il y a d’autres causes qui se passent en même temps avec les propriétaires du dépotoir. Donc, on aimerait qu’on puisse se servir de ces résultats-là pour voir si la poursuite est une poursuite-bâillon.

Le deuxième point, le fonds, comme j’ai dit lorsqu’on a présenté notre premier mémoire en février, nous, ce qu’on voulait, c’est que ? j’aime beaucoup l’expression «le SLAPPer», là ? le SLAPPer paie les frais de celui qu’il poursuit. Il n’a pas vraiment grand-chose à perdre parce que, premièrement, c’est déductible d’impôt. Deuxièmement, si, lui, il dit vrai, bien, à un moment donné, on va le payer, on va avoir un dommage à payer. Donc, il n’a rien à perdre de faire ça, puis selon nous c’est un très bon incitatif. Ça disait aux compagnies: Regardez, là, si vous poursuivez un citoyen ou un groupe, bien vous allez devoir payer les frais si c’est possiblement un SLAPP.

Mais là, dans notre cas, nous, c’est que, là, on a un peu bifurqué parce que, les compagnies, les deux compagnies à numéro qui nous SLAPPent, bien il n’y a pas rien dans la compagnie. Il y en a une sur la protection de la faillite. Là, il reste les deux propriétaires. Bon. Là, on sait que souvent les propriétaires vont délester des choses, des actifs. Donc, nous, à la fin, là, même si on gagnait, même si on a droit à un certain montant, est-ce qu’on va avoir quelque chose, à la fin? On ne le sait pas.

Mais, pour revenir au fonds, le fonds, ce qu’on voyait, c’est qu’au début l’État pourrait mettre un montant pour le partir, le fonds, mais, aussitôt que la première cause, et la deuxième cause, est entendue et que les compagnies, par exemple, sont condamnées à payer un montant parce que c’est un SLAPP, c’est effectivement un SLAPP, il devrait y avoir un dommage punitif exemplaire qui est automatiquement versé dans le fonds, et là le fonds deviendrait autofinancé, à ce moment-là.

Le Président (M. Marsan): M. le député de Montmorency.

M. Benoit: Mais l’idée que vous émettez, que le gouvernement mette… les contribuables mettent la première mise de fonds, si je peux m’exprimer ainsi, mais, si, vous, vous vous retrouvez avec le problème que le SLAPPer, comme on dit… si on le poursuit, puis c’est une coquille vide ou les administrateurs ont des fiducies familiales que ce n’est possible de les poursuivre, le gouvernement va se retrouver aussi à poursuivre une coquille vide. Alors là, c’est qui qui va payer? C’est le contribuable. Tu sais, moi, comme je vous dis, c’est qu’on essaie de trouver une solution, mais je veux vous entendre là-dessus. Alors là, à ce moment-là, on va reporter le problème sur tous les contribuables?

Le Président (M. Marsan): M. Galipeau.

M. Galipeau (Serge): Merci. Si peux répondre, je crois que c’est un choix de société. La liberté d’expression, c’est quelque chose d’extrêmement important pour une démocratie. C’est sûr que c’est un débat. Nous-mêmes, on va d’un bord ou de l’autre. On va sur le fonds, le fonds a beaucoup de qualités et certains défauts, et la provision pour frais a aussi d’autres qualités et d’autres défauts.

Le défaut de la provision pour frais, nous, ce qu’on voyait, c’est que ce serait trop tard dans le processus, parce que, là, on dit que c’est le juge qui doit déterminer que, O.K., étant donné qu’on… Dans notre cas, nous, on a hypothéqué la maison. Bon. Puis là on a ressorti un montant puis on a ce montant-là pour payer nos frais d’avocat et nos frais extrajudiciaires, qui montent toujours. Là, est-ce que le juge va dire: Vous êtes en moyens, ou: Vous n’êtes pas en moyens? Bien, maintenant, avec cet argent-là, on peut faire nos preuves puis monter notre dossier, mais là, ça, on trouve ça de valeur parce que toutes nos économies sont là, là, nous, puis, comme c’est là, bien, à la fin de cette nouvelle hypothèque, on va avoir payé 53 000 $ d’intérêts là-dessus à cause qu’on a sorti de l’argent. Donc, c’est un débat.

Nous, ça nous touche beaucoup, parce que dans le fond, là, pour répondre à votre question, un ou l’autre est bon, mais il faut que le délai soit court. Le délai, c’est ce qui est le plus important. Nous, ça fait 774 jours qu’on est poursuivis, on n’a pas vu encore le juge. Donc là, si c’est le juge qui doit déterminer s’il y a un problème, bien là on va attendre longtemps. Donc, les délais puis les montants à payer, c’est deux choses qui sont extrêmement importantes pour celui qui est poursuivi.

Le Président (M. Marsan): M. le député de Montmorency.

M. Benoit: Merci, M. le Président. Effectivement, j’abonde dans le même sens que vous, qu’il faut défendre la liberté d’expression dans notre pays puis notre province, je suis entièrement d’accord avec vous. Maintenant, vous savez que le trésor public a des limites, surtout présentement, hein?

Et puis, de l’autre côté, bien là je comprends que vous mettez l’emphase sur le délai surtout. C’est ce que… O.K.

M. Galipeau (Serge): C’est le premier point…

M. Benoit: C’est votre premier point? O.K.

Mme Landry (Christine): Il faut que ce soit dissuasif aussi, hein?

M. Benoit: Oui.

Mme Landry (Christine): On pense à nous, on pense à l’avenir, on pense aux gens aussi dans l’avenir. C’est ça, c’est… Mais vous êtes des experts, puis je suis certaine que vous allez convenir, en discutant beaucoup, parce qu’on trouve ça vraiment constructif, ce que vous faites, donc vous allez sûrement trouver, à l’intérieur des deux courants, soit provision pour frais ou soit… ou les deux, mais en autant, comme Serge dit, que le délai soit rapide, que ce soit dissuasif, qu’on n’y reprenne plus les corporations à se servir d’un moyen comme celui-là pour frapper les gens qui veulent utiliser leur droit de parole ou leur liberté d’expression pour faire avancer une société ou pour tout simplement dénoncer quelque chose qui est dommageable pour tout le monde.

Le Président (M. Marsan): M. le député de Montmorency.

M. Benoit: Je veux dire qu’on vous écoute, on vous entend et on vous comprend. Merci.

Le Président (M. Marsan): Merci. Merci beaucoup. Alors, maintenant, la deuxième opposition. M. le député de Mercier.

M. Turp: Alors, merci, M. le Président. D’abord, moi, je veux, comme ma collègue de Gatineau, vous remercier d’avoir pris le temps de rédiger ce mémoire, d’avoir passé toute la journée avec nous. Je l’ai remarqué, vous êtes là depuis le début des travaux. Je pense que ça démontre l’intérêt que vous avez à nos travaux. Vous voulez contribuer à ce que cette loi que nous sommes invités à adopter soit la meilleure loi.

Vous avez des suggestions, il y en a plusieurs qui recoupent celles que vous avez entendues, aujourd’hui, par d’autres groupes, et je crois que vous nous donnez une bonne indication de ce que peuvent être les préoccupations, et, dans votre cas, les préoccupations de personnes qui sont poursuivies, et ça, je pense qu’on l’apprécie beaucoup. Je ne sais pas si vous allez continuer de vous intéresser à nos travaux, parce qu’on va siéger encore pendant trois séances de travail. Je vous invite à le faire puis peut-être à nous faire part de vos vues sur la façon dont nous nous acquittons de notre responsabilité de bien écouter, de bien prendre en compte les suggestions qui nous sont faites ici pour qu’on ait la meilleure loi.

Je sais qu’il y a cette réserve, ma collègue de Gatineau… dont je veux dire que j’apprécie beaucoup les remarques. On a le droit de faire des compliments à nos collègues? J’apprécie beaucoup ses remarques, la belle qualité de la langue qu’elle utilise. Moi, je trouve ça toujours important que les parlementaires se distinguent par la qualité de leur langue, et ma collègue de Gatineau fait honneur à notre Assemblée.

Je ne sais pas si on peut le voir à l’écran, mais, dans votre mémoire, vous avez mis une caricature, et on lit «tim-berrr», «democracy», et c’est écrit ? on ne le voit pas très bien ? «Aussie courts». Ça, ça veut dire «tribunaux australiens», hein? Je pense que ça veut dire que le problème, là, des poursuites-bâillons, c’est un problème qui existe partout, en Australie, aux États-Unis, à toutes sortes de niveaux, au niveau de l’environnement, au niveau de l’édition. Il y a même des gens qui prétendent parfois que les gouvernements, les entreprises publiques peuvent aussi être tentées parfois de faire taire les contestations de groupes environnementaux et certains autres. Et vous avez, à la fin de votre mémoire, une autre photographie avec une personne dont la bouche, elle est close par une fermeture éclair, là, et ça en dit long sur votre… comment dire, sur votre état d’âme, sur…

Et ma question pour que… Je pense que ce serait une belle façon de terminer nos travaux d’aujourd’hui. C’est évident, juste en mettant cette caricature, en mettant cette photo, là, cette illustration, c’est comme un cri du coeur que vous nous lancez aujourd’hui, n’est-ce pas?

M. Galipeau (Serge): Oui.

n(17 h 10)n

M. Turp: Puis, moi, ma question, c’est: Vous êtes deux citoyens du Québec. Là, vous êtes amenés devant les tribunaux. Qu’est-ce que ça vous dit sur notre démocratie, l’état de la démocratie, l’état de nos institutions, ce qui vous arrive au plan personnel et l’impact que ça a sur vos vies? J’ai posé un petit peu la même question à celui qui est venu d’Écosociété; je pense que ce serait aussi intéressant d’avoir un témoignage de deux citoyens engagés comme vous et qui êtes amenés même à venir dire aux députés: Voici la loi que nous voulons pour nous protéger et protéger notre liberté d’expression.

Le Président (M. Marsan): M. Galipeau.

M. Galipeau (Serge): Oui. Je peux commencer en disant que, nous, comme Christine l’a dit, on trouve que c’est très constructif, qu’est-ce qui se fait ici. Ce qu’on apprécie aussi beaucoup, c’est qu’on n’attend pas qu’il y ait des centaines de poursuites-bâillons. Aux États-Unis, il y a environ 26 ou 25 États qui ont des lois anti-SLAPP. Il y a eu beaucoup de SLAPP avant que les gens réagissent. Ici, il y a eu des causes comme l’AQLPA, il y en a d’autres, là, Rabaska, etc., et là vous avez tout de suite commencé à vouloir agir, demandé à Roderick Macdonald et les autres personnes associées au rapport Macdonald de faire un rapport sur la situation et de voir aussi qu’est-ce qui se fait dans le monde. Ça, c’est très important. On est vraiment, le Québec, ouverts sur le monde, donc on veut voir qu’est-ce qui se fait en Australie, qu’est-ce qui se fait aux États-Unis et qu’est-ce qui se fait au Canada, et on trouve ça, nous…

Avec tout le stress qu’on vit depuis… bien même depuis décembre 2004, depuis le début des problèmes avec le dépotoir, bien, quand on vient ici, c’est une façon pour nous de voir un peu la lumière au bout du tunnel. Puis, quand on travaille là-dessus, ça prend énormément d’heures, mais c’est notre façon aussi de sortir le stress, parce que c’est…

Mme Landry (Christine): Puis de trouver une solution et de l’acheminer…

Le Président (M. Marsan): Mme Landry.

Mme Landry (Christine): Excusez. Oui, M. le Président. Parce que, pour être rendus ici, ça prend beaucoup d’énergie, ça prend des portes un peu qui s’ouvrent. Il y a une porte démocratique parce que vous nous avez ouvert votre porte de cette Assemblée. C’est incroyable. Je ne pensais pas qu’on… Tu sais, on est au bout de la corde depuis longtemps, hein, je vous le ferai remarquer. On essaie de se contenir à tous les niveaux, parce que c’est frustrant, on se sent impuissants, il n’y a pas de loi pour ça. Et qu’est-ce qu’on peut faire? C’est vous qui pouvez faire quelque chose. Nous, on est allés au bout de la démocratie et puis on est allés au bout, là, on ne peut plus rien. On l’a fait d’une façon calme, pacifique, même si à l’intérieur on vit beaucoup de choses. On va vous éviter de vous transmettre ce qu’on vit, là, mais cette impuissance-là… Et pas de loi, pas de protection. Pas de loi. On est des victimes pour combien de temps? Ça pourrait durer des années.

Donc, on ressent beaucoup, de votre part, l’urgence d’agir. C’est ce qui nous donne confiance en ce moment, et on espère que, dans un avenir plus que proche, avant le 24 novembre, vous allez adopter une loi antibâillon, 99, qui pourrait sortir… C’est mon rêve, moi. Je pense qu’on s’accroche depuis le début à quelque chose de concret, à une loi concrète antibâillon. Moi, je pense que je vais terminer avec ça, là.

M. Galipeau (Serge): Je peux peut-être juste…

Le Président (M. Marsan): Oui, M. Galipeau.

M. Galipeau (Serge): Je peux peut-être ajouter, s’il me reste du temps un peu: c’est sûr que le renversement du fardeau de la preuve, si c’est bien fait, ça va vraiment être quelque chose pour les prochains couples comme nous qui vont devoir passer peut-être un peu au travers de ça. Parce que, nous, depuis qu’on a reçu la poursuite, comme je disais dans notre premier mémoire, le 20 février dernier, on avait investi, si je peux dire ça, 2 100 heures à construire notre défense. Là, on est peut-être rendus à 2 500 heures. Je ne le compte plus, là, parce que c’est tous les jours, dans le fond, parce qu’à tous les jours on pense à la poursuite, le matin en se levant, le soir en se couchant. On fait des recherches sur Internet, on trouve des articles sur les SLAPP autant aux États-Unis, en Australie, partout. On essaie de voir qu’est-ce qui peut nous aider parce qu’il y a toujours… Tant que la poursuite est là, surtout une poursuite de 1 250 000 $, c’est une enclume, là, qui est juste au-dessus, puis, tant qu’elle est là, ça t’écrase, même si tu sais que ce que tu as fait, c’était pour le bien de la collectivité, que tu as dit des choses…

Mme Landry (Christine): On s’est défendus, hein, il ne faut pas l’oublier. En se défendant, bien c’est sûr que ça a permis aux gens… ça a protégé un peu les gens, là. Donc, en respectant les normes, on a fait comme respecter les normes environnementales en se défendant. C’est à ce niveau-là.

M. Galipeau (Serge): Ce que je veux dire aussi, c’est que c’est constant. La pression, le stress d’une poursuite de ce genre, c’est constant, c’est toujours là. Tu sais, même si on va voir un spectacle, je l’ai déjà dit, on pense à la poursuite. Tu as toujours ça dans la tête, puis c’est pour ça que, nous, la façon qu’on gère notre stress, bien c’est qu’on s’en va sur l’ordinateur, parce que j’ai une habileté avec ça, puis on fait des recherches, puis on pond des documents, puis on écrit des lettres, puis on sensibilise les gens, mais c’est toujours très, très civilisé.

Mme Landry (Christine): Mais c’est stressant parce que… C’est civilisé, puis tout, mais, tu sais, c’est stressant. On a confiance en votre expertise vraiment puis on s’en remet vraiment à vous, puis j’ai confiance que vous allez trouver la loi avec les clauses et les…

M. Turp: Bien, écoutez, merci beaucoup pour votre témoignage. Je pense que ça rend nos travaux encore plus humains, parce que, la loi, dans l’esprit des lois, c’est au bénéfice des êtres humains qu’on la fait, là. Merci.

Le Président (M. Marsan): Alors, à mon tour de vous remercier, M. Galipeau, Mme Landry, de remercier les collègues.

Et la commission ajourne ses travaux au mardi 14 octobre 2008, à 9 h 30. Merci.

(Fin de la séance à 17 h 16)

 

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"Sed quis custodiet ipsos custodes?" — Juvénal, Satires, VI, 346.  En français : « Qui nous protègera contre ceux qui nous protègent ? »  In English: " Who will protect us from those who protect us? "

 — Mauro Cappelletti dans Louis Favoreu (dir.), Le pouvoir des juges, Paris, Economica, 1990, p. 115.
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On the “Rule of Law”
“In public regulation of this sort there is no such thing as absolute and untrammelled ‘discretion’, that is that action can be taken on any ground or for any reason that can be suggested to the mind of the administrator; no legislative Act can, without express language, be taken to contemplate an unlimited arbitrary power exercisable for any purpose, however capricious or irrelevant, regardless of the nature or purpose of the statute. Fraud and cor­ruption in the Commission may not be mentioned in such statutes but they are always implied as exceptions. ‘Discretion’ necessarily implies good faith in discharging public duty; there is always a perspective within which a statute is intended to operate; and any clear departure from its lines or objects is just as objectionable as fraud or corruption.”

— Mr. Justice Ivan Cleveland Rand writing in the most memorable passage in Roncarelli v. Duplessis, [1959] S.C.R. 121 at the Supreme Court of Canada, page 140.
Random Quote

The social tyranny of extorting recantation, of ostracism and virtual outlawry as the new means of coercing the man out of line, is the negation of democracy.

— Justice Ivan Cleveland Rand of the Supreme Court of Canada, Canadian Bar Review (CBR)
Random Quote
Fears are mounting that the psychiatrist Anatoly Koryagin is near to death in the notorious jail of Christopol in central Russia. Letters that have reached the West from his wife and a friend indicate that he is so weak that unless he is given expert medical care he could die at any time. Dr. Koryagin has been in prison for the last four years for actively opposing the political abuse of psychiatry. The abuse takes the form of labeling dissidents as mad and forcibly treating them with drugs in mental hospitals.   ― Peter B. Reddaway, "The Case of Dr. Koryagin", October 10, 1985 issue of The New York Times Review of Books
"If we were lawyers, this would be billable time."
A Word on Caricature
“Humor is essential to a successful tactician, for the most potent weapons known to mankind are satire and ridicule.”

— “The Education of an Organizer”, p. 75, Rules for Radicals, A Practical Primer for Realistic Radicals by Saul Alinsky, Random House, New York, 1971.

I am no fan of Saul Alinsky's whose methods are antidemocratic and unparliamentary. But since we are fighting a silent war against the subversive Left, I say, if it works for them, it will work for us. Bring on the ridicule!  And in this case, it is richly deserved by the congeries of judicial forces wearing the Tweedle suits, and by those who are accurately conducting our befuddled usurpers towards the Red Dawn.

— Admin, Judicial Madness, 22 March 2016.
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