Nguiagain c. Québec (1996)
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Nguiagain c. Québec (Commission de la fonction publique)
2 octobre 1996, Cour supérieure
Cour supérieure
C A N A D A
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT de Québec
200-05-004124-967
200-05-004227-968
DATE : 2 octobre 1996
EN PRÉSENCE DE :
Frank G. Barakett, J.C.S.
Titus Nguiagain
Requérant
c.
Commission de la fonction publique et un autre
Intimés
c.
Le Fonds pour la formation des chercheurs et l’aide à la recherche (Fonds FCAR)
Mis en cause
Barakett J.C.S.:–
1 Le 24 septembre 1996, le Tribunal a rendu jugement rejetant la requête en révision ainsi que la demande en mandamus du requérant Titus Nguiagain.
2 Depuis que le requérant Nguiagain a intenté les deux requêtes, le Fonds FCAR a, le 4 septembre 1996, intenté une requête reprenant l’essentiel des procédures et énonçant, à la 20e allégation, la multiplication des recours judiciaires, lesquels ont tous été rejetés. Le Fonds FCAR allègue que lesdites requêtes sont frivoles, vexatoires et non fondées.
3 Le Fonds FCAR demande que le requérant soit déclaré plaideur vexatoire dans chacun des dossiers.
4 Il découle des conclusions que le Fonds FCAR demande que ce Tribunal ordonne au requérant, M. Nguiagain, de ne plus intenter d’autres procédures visant les faits originaux, soit le congédiement, sans avoir obtenu au préalable l’autorisation du juge en chef de cette cour.
5 Évidemment, une telle conclusion ne vise pas le droit d’appel que peut avoir le requérant, M. Nguiagain, suite aux jugements du 24 septembre 1996 rejetant sa demande en mandamus et sa requête en révision.
6 Ces requêtes pour abus de procédures sont soumises en même temps que la plaidoirie au fond visant la requête en révision et la demande en mandamus, toutes deux instituées par M. Nguiagain.
7 Il suffit de lire attentivement la requête en révision ainsi que la demande en mandamus pour se rendre compte que ces requêtes sont basées sur des arguments cousus de fil blanc qui ne tiennent pas juridiquement, qui font abstraction totale des principes juridiques de chose jugée. Très souvent, les faits allégués n’ont à peu près aucune pertinence quant au congédiement de M. Nguiagain.
8 Voici un justiciable qui n’a pas eu le résultat auquel il espérait, à ce point où son propre syndicat ne voyait pas de motif pour aller en révision de la sentence arbitrale de Me Nicolas Cliche rejetant le grief original et maintenant le congédiement.
9 Aux fins de la présente requête pour abus de droit, le Tribunal reproduit [NDLÉ: document non reproduit en l'espèce] (24 septembre 1996 rejetant la requête en révision et la demande en mandamus), laquelle illustre bien toutes les procédures dont le requérant est à l’origine et visant toujours les mêmes faits, soit son congédiement du 2 décembre 1993.
10 Le justiciable Nguiagain s’exprime bien, en plus d’être très bien instruit. Le fait de n’avoir aucun travail lui permet de se consacrer exclusivement à sa croisade judiciaire en ce qui a trait à son congédiement du 2 décembre 1993.
11 Il a tout le temps voulu pour étudier ses causes, toute l’instruction voulue pour bien s’exprimer et rédiger ses documents et se représenter lui-même.
12 Sa cause est, ni plus ni moins, devenue son emploi du temps à temps plein. Et à ce titre, il accapare de plus en plus l’appareil judiciaire, sans égard au coût que cela peut coûter aux contribuables et au fait que d’autres justiciables sont privés de l’appareil judiciaire pendant que M. Nguiagain s’en sert à outrance. Ajoutons les coûts que cela engendre à ses adversaires.
13 Depuis un quart de siècle, le législateur québécois a permis un plus grand accès à la justice à tous ses justiciables. Cet accès est dans le but de mettre à la disposition de chacun des justiciables les outils nécessaires pour permettre à chacun d’être entendu, surtout lorsque le justiciable n’a pas les moyens financiers de mener ses causes à leur bonne fin.
14 Dans le cas en espèce, le plaignant Nguiagain a utilisé tout ce qui était prévu dans sa convention collective et il a été dûment représenté par son syndicat lors de l’audition de son grief.
15 Ayant épuisé ce recours devant la Cour d’appel depuis le 7 août 1995, il a intenté deux autres recours en parallèle, soit le 15 août 1995 et le 18 août 1995, afin de contourner et court-circuiter la chose jugée de la Cour d’appel.
16 Ces deux procédures en parallèle ont occasionné énormément de coûts à toutes les autres parties, en plus de consommer de façon disproportionnée l’appareil judiciaire, tant à la Commission des normes du travail qu’à la Commission de la fonction publique qu’à la Cour supérieure lors de l’audition de la requête en révision et celle en mandamus.
17 Lors des deux jours d’audition de la requête en révision judiciaire et la requête en mandamus, le requérant Nguiagain a utilisé pas moins que 65 % du temps d’audition à lui seul, laissant à la Commission de la fonction publique, le Fonds FCAR, le Bureau du commissaire général du travail et le FPPU-CEQ se partager l’autre 35 % du temps.
18 Si le requérant Nguiagain n’a aucun argument convaincant, il n’en a pas moins l’air convaincu. Le Tribunal a constaté durant l’audition que M. Nguiagain ne porte aucune oreille, ne semble comprendre aucun argument que la partie adverse plaide.
19 Il se borne à répéter ses arguments à maintes et maintes reprises. Il n’a aucune formation juridique et ne semble pas comprendre la teneur des jugements qui ont suivi la sentence arbitrale, ni les règles d’interprétation juridique, citant de nombreuses causes de jurisprudence hors contexte.
20 S’adresser aux tribunaux pour l’exercice d’un droit est une procédure reconnue à un justiciable. Ce que M. Nguiagain ne semble pas avoir constaté est le fait qu’il a épuisé ses recours. Il dépasse l’exercice de ses recours, car il n’accepte pas l’issue, et ce qui semble évident après deux jours d’audition est le fait qu’il n’a pas d’outil pour comprendre.
21 Il n’accepte pas la décision finale des tribunaux lorsqu’il y a recours à ces derniers. Il ne semble pas reconnaître qu’il y a des balises pour assurer une saine administration de la justice et éviter que de nombreux juges ou que de nombreuses juridictions soient saisis à des époques différentes d’un seul et unique problème, soit son congédiement du 2 décembre 1993.
22 Dans la cause de Desroches c. Sauvageau1, rendue le 28 juin 1995, l’honorable Carrier écrit ce qui suit dans son jugement:
Inutile d’ajouter que si chaque justiciable demandait autant d’attention, tout le personnel de tous les palais de justice serait immédiatement paralysé pour n’entendre et n’écouter que quelque citoyen nécessitant un personnel juridique tout à fait hors de proportion avec les problèmes soumis.
23 Et le juge Carrier écrit2:
Il nous faut donc constater que jamais ces procédures n’auront de fin, et qu’il faut au moins trouver une façon de limiter les dégâts et de s’assurer d’un suivi raisonnablement rationnel vu la multiplicité des procédures et les interventions…
24 Or, une des façons prévues par le Code de procédure civile est celle de constater qu’un justiciable est devenu un plaideur vexatoire qui abuse de procédures et du système en entier.
25 Le 27 août 1996, l’honorable Alain, dans la cause de Myre-Lefebvre c. Bourassa3, et en s’autorisant de l’article 46 C.P., a dû décréter que les greffiers de la Cour supérieure de la province de Québec ne doivent plus accepter de procédures émanant de Mme Lefebvre et concernant Mme Bourassa, ni les enregistrer au plumitif, ni les placer sur un rôle de cour de justice, à moins qu’une autorisation préalable du juge en chef, du juge en chef associé ou d’un juge désigné par lui n’apparaisse sur ces procédures.
26 L’accès grandissant à la justice depuis un quart de siècle était un remède jugé nécessaire par le législateur, mais qui n’a pas été sans effets secondaires. Les effets secondaires de cet accès grandissant étaient de permettre aux plaideurs vexatoires d’avoir un forum et une nouvelle vocation qui devenait abusive et pour laquelle l’accès à la justice n’était pas destiné. De là le nombre grandissant de jugements visant à restreindre cet effet secondaire pour le justiciable qui ne peut se rendre à l’évidence de lui-même.
27 La requête du Fonds FCAR en vertu de l’article 46 C.P. ne vise pas à empêcher M. Nguiagain d’aller en appel des deux décisions rendues le 24 septembre 1996, mais plutôt à l’empêcher d’initier toute nouvelle procédure eu égard à cette affaire et de choisir d’autres forums pour recommencer à nouveau ce gaspillage éhonté commencé le 15 août 1995.
28 Le 28 juin 1996, dans Yorke c. Paskell-Mede4, le juge Lagacé accueille une requête selon 46 C.P. Dans son jugement, il résume bien la jurisprudence et les pouvoirs de la Cour supérieure en pareille matière5.
29 Le 10 juillet 1996, dans Gignac c. Girard6, le juge Morin accueille une requête pour faire déclarer le demandeur plaideur vexatoire. Il écrit7:
Si l’accès aux tribunaux est un principe sacré dans notre société, il s’agit là d’un droit dont, comme pour tout autre droit, il ne faut pas abuser. Or, le demandeur a clairement abusé de son droit d’ester en justice et il y a lieu, en conséquence, de baliser désormais ce droit, dans le cas du demandeur, de sorte qu’il l’utilise à bon escient.
30 La présente requête du Fonds FCAR intentée dans le dossier de la requête en révision ainsi que dans le dossier de la requête en mandamus est fondée, et le Fonds FCAR a démontré que chacune des allégations s’avère fondée.
Pour ces motifs, le tribunal:
31 Accueille la requête dans les deux dossiers.
32 Déclare le requérant plaideur vexatoire en ce qui concerne le Fonds FCAR.
33 Déclare que la requête en révision judiciaire et la requête en mandamus sont frivoles, vexatoires et, tel que constaté par le jugement du 24 septembre 1996, non fondées.
34 Ordonne au requérant, M. Titus Nguiagain, de n’intenter aucune autre procédure impliquant directement ou indirectement le Fonds FCAR et reliée directement ou indirectement au congédiement du 2 décembre 1993 visant Titus Nguiagain et, à cet effet, décrète que les greffiers de la Cour supérieure de la province de Québec ne doivent plus accepter de procédures visant le paragraphe ci-haut émanant de Titus Nguiagain et concernant le Fonds FCAR, ni les enregistrer au plumitif, ni les placer sur un rôle d’une cour de justice, à moins qu’une autorisation préalable du juge en chef, du juge en chef associé ou d’un juge désigné par lui n’apparaisse sur cette procédure.
35 Fait défense à tout huissier de la Cour supérieure qui aura pris connaissance de la présente ordonnance de signifier quelque procédure ou subpoena qui n’aura pas été préalablement autorisé concernant une cause impliquant le Fonds FCAR émanant de Titus Nguiagain, sans autorisation écrite du juge en chef, du juge en chef associé ou d’un juge désigné par lui, sous toute peine que de droit.
36 Fait défense à M. Titus Nguiagain de communiquer par téléphone, par fax ou autrement avec le Fonds FCAR.
37 Ordonne la signification du présent jugement à M. Titus Nguiagain.
38 Permet au Fonds FCAR ou à ses procureurs, à leur discrétion, de signifier le présent jugement à tout officier de la Cour supérieure au moyen d’un télécopieur ou par courrier ordinaire.
39 Le tout, sans frais.
Barakett J.C.S.
None given
1. C.S. Québec 200-12-034068-867, le 28 juin 1995, p. 4 du jugement.
2. Id., p. 6 du jugement.
3. C.S. Trois-Rivières 400-05-000051-954, le 27 août 1996.
4. [1996] R.J.Q. 1964C.S..
5. Id., 1967-1970.
6. C.S. Bonaventure (New Carlisle) 105-05-000059-952, le 10 juillet 1996.
7. Id., p. 4 du jugement.