Morin c. Comité chargé des cas d’USD
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Morin c. Comité Chargés des Cas D’USD, [1985] 2 R.C.S. 662
Source: https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/107/index.do
Jugements de la Cour suprême
Intitulé : Morin c. Comité chargé des cas d’USD
Collection : Jugements de la Cour suprême
Date : 1985-12-19
Recueil : [1985] 2 RCS 662
Numéro de dossier : 17336
Juges : Dickson, Robert George Brian; Beetz, Jean; Estey, Willard Zebedee; McIntyre, William Rogers; Lamer, Antonio; Wilson, Bertha; Le Dain, Gerald Eric
En appel de : Québec
Sujets : Brefs de prérogative
Notes : Renseignements sur les dossiers de la Cour : 17336
Morin c. Comité Chargés des Cas D’USD, [1985] 2 R.C.S. 662
Réjean Morin Appelant;
et
Comité national chargé de l’examen des cas d’unités spéciales de détention, D. Yeomans et P. Goulem Intimés;
et
Bob Kaplan Mis en cause.
No du greffe: 17336.
1984: 12 octobre; 1985: 19 décembre.
Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Lamer, Wilson et Le Dain.
en appel de la cour d’appel du québec
Brefs de prérogative ‑‑ Habeas corpus ‑‑ Compétence ‑‑ Cours supérieures ‑‑ Détenu incarcéré dans une unité spéciale de détention ‑‑ Demande d’habeas corpus présentée à la Cour supérieure ‑‑ Une cour supérieure provinciale est‑elle compétente pour délivrer un bref d’habeas corpus pour déterminer la validité de l’incarcération d’un détenu dans une unité spéciale de détention d’un pénitencier fédéral? ‑‑ Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 18.
Par suite du décès d’un codétenu, l’appelant a été accusé de meurtre et transféré à une unité spéciale de détention dans un autre établissement. Une unité spéciale de détention est une installation destinée exclusivement aux détenus qui, tout en répondant aux critères de sécurité maximale, sont reconnus comme particulièrement dangereux. Malgré son acquittement de l’accusation de meurtre, l’appelant a été maintenu en isolement et sa demande de transfèrement dans un établissement à sécurité moyenne a été refusée. Il a alors demandé à la Cour supérieure un bref d’habeas corpus sans certiorari afin d’obtenir sa libération de l’unité spéciale de détention. Tenant compte de la compétence exclusive de la Cour fédérale en vertu de l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale de délivrer un certiorari contre un office, une commission ou un autre tribunal fédéral et des limites du rôle de l’habeas corpus, la cour a rejeté la demande de l’appelant pour le motif qu’elle n’était pas compétente pour délivrer un bref d’habeas corpus dans de telles circonstances. La Cour d’appel a conclu que les procédures s’attaquant à la procédure administrative interne des pénitenciers sont de la compétence exclusive de la Cour fédérale du Canada et a confirmé le jugement.
Arrêt: Le pourvoi est accueilli.
Pour les motifs exposés dans l’arrêt R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613, une cour supérieure provinciale est compétente pour délivrer un bref d’habeas corpus afin de déterminer la validité du maintien de l’incarcération d’un détenu d’un pénitencier fédéral dans une unité spéciale de détention même si la même question peut être tranchée par voie de certiorari en Cour fédérale. La portée du recours à l’habeas corpus doit d’abord être examinée en fonction de son propre fondement indépendamment des problèmes que peuvent poser le partage ou le chevauchement des compétences.
Jurisprudence
Arrêt suivi: R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613; arrêts mentionnés: Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; Berrouard c. La Reine, C.S. Longueuil, no 505‑01‑001299‑789, 30 novembre 1981; Mitchell c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 570.
Lois et règlements cités
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 18.
Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, chap. 1251, art. 40.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [1982] C.A. 464, 142 D.L.R. (3d) 582, 1 C.C.C. (3d) 438, qui a confirmé un jugement de la Cour supérieure qui avait rejeté la demande d’habeas corpus de l’appelant. Pourvoi accueilli.
Renée Millette, pour l’appelant.
Jacques Letellier, c.r., et Richard Starck, pour les intimés et le mis en cause.
Version française du jugement de la Cour rendu par
1. Le Juge Le Dain‑‑La question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si, compte tenu du rôle de l’habeas corpus et de la compétence exclusive de la Cour fédérale du Canada d’examiner par voie de certiorari les décisions administratives des autorités fédérales, une cour supérieure provinciale est compétente pour délivrer un bref d’habeas corpus pour déterminer la validité de l’incarcération d’un détenu dans une “unité spéciale de détention” d’un pénitencier fédéral, une forme particulièrement restrictive de ségrégation, et, si une telle incarcération est jugée illégale, pour ordonner la levée de la ségrégation ou le transfèrement du détenu à une autre forme de détention au sein du système pénitentiaire fédéral.
2. Le présent pourvoi autorisé par cette Cour attaque l’arrêt de la Cour d’appel du Québec en date du 17 juin 1982 rejetant l’appel d’une décision du 18 novembre 1981 dans laquelle le juge Bergeron de la Cour supérieure du district de Montréal a rejeté la demande d’habeas corpus présentée par l’appelant pour que soit déterminée la validité de sa détention dans l’unité spéciale de détention du centre de développement correctionnel, un établissement fédéral à Laval (Québec), pour le motif que la cour n’était pas compétente.
I
3. L’exposé suivant des faits est fondé sur les allégations de la demande d’habeas corpus de l’appelant, appuyées d’un affidavit, et sur les documents présentés à titre de pièces avec la demande. Alors que l’appelant était légalement détenu à l’établissement Leclerc, un pénitencier fédéral à sécurité moyenne, un codétenu, Claude Payeur, a été tué le 21 septembre 1980 après une querelle avec un autre détenu, Serge Cousineau. Le lendemain, l’appelant a été transféré à l’établissement de Laval, un pénitencier fédéral à sécurité maximale, où il a été mis en ségrégation. Le 25 septembre 1980, une enquête du coroner, à laquelle l’appelant et Cousineau ont été appelés à témoigner, a conclu que Cousineau était responsable de la mort violente de Payeur. Le 2 octobre 1980, l’appelant a été accusé du meurtre de Payeur. Le 5 décembre 1980, il a été transféré à l’unité spéciale de détention du Centre de développement correctionnel à Laval. Dans une lettre du 15 décembre 1980, le directeur du Centre a informé l’appelant que son incarcération dans l’unité spéciale de détention avait été recommandée par un comité régional et approuvée par le Comité national chargé de l’examen des cas d’USD “suite au meurtre d’un détenu au Leclerc pour lequel vous êtes accusé”. L’appelant a été acquitté le 30 mai 1981 du meurtre de Claude Payeur après un procès de plusieurs jours devant le juge Bergeron et un jury. Le 1er juin 1981, l’appelant a présenté une plainte dans laquelle, vu son acquittement, il demandait d’être libéré de l’unité spéciale de détention et transféré dans un établissement à sécurité moyenne. Son cas a été étudié par le Comité national chargé de l’examen des cas d’USD devant lequel il a comparu le 16 juillet 1981. Une lettre datée du 11 août 1981 du commissaire D. R. Yeomans à l’avocat de l’appelant contient les passages suivants au sujet de la détention de l’appelant dans l’unité spéciale de détention et l’étude de son cas par le Comité national:
Monsieur Morin a été transféré à l’Unité spéciale de détention du Centre de développement correctionnel, sous l’autorité du Commissaire adjoint, Sécurité, et ce, en conformité avec la section 13(3) de la Loi sur les pénitenciers. En effet, monsieur Morin avait été identifié comme un détenu particulièrement dangereux suite à sa participation à un incident durant lequel il y eut la mort d’un autre détenu.
Le Comité national de révision des détenus placés à l’Unité spéciale de détention est au courant du fait que monsieur Morin a été acquitté de l’accusation de meurtre pesant sur lui. Cependant, le Comité considère que monsieur Morin représente tout de même un danger pour les autres détenus et a demandé que les rapports de police concernant l’incident lui soient fournis. Je conçois votre désir de voir monsieur Morin transféré dans un autre établissement mais avant de le faire, le Comité national tient à s’assurer qu’il ne représente pas un danger pour les autres et qu’il ne sera pas impliqué dans un incident similaire à brève ou longue échéance.
4. Le commissaire adjoint, Sécurité, M. J. U. M. Sauvé, par lettre adressée au requérant le 10 septembre 1981, l’informait de l’examen de son cas par le Comité national chargé de l’examen des cas d’USD et de la décision de maintenir sa détention dans l’unité spéciale de détention, malgré son acquittement, de la manière suivante:
Lors de la révision de votre cas en juillet 1981, le comité des USD vous informait que votre cas serait vu de nouveau dès la réception d’un rapport de police concernant votre implication dans le meurtre du détenu Payeur.
Le comité a maintenant reçu la documentation nous confirmant que l’accusation contre vous était basée sur une déclaration ante mortem par la victime avec une autre déclaration donnée aux policiers enquêteurs par un témoin. Ces sources de renseignements vous ont identifié comme ayant participé au meurtre. Le comité a aussi été avisé que la Couronne en appellera du jugement fait dans votre cas.
Par conséquent, la décision de vous transférer à une unité spéciale de détention a été basée selon les critères indiqués au paragraphe 4 de la directive du commissaire no 274, et demeure inchangée.
5. Le 28 octobre 1981, l’appelant a demandé à la Cour supérieure du district de Montréal un habeas corpus sans certiorari auxiliaire afin d’obtenir sa libération de l’unité spéciale de détention et son transfèrement à l’établissement Leclerc parce que le maintien de son incarcération dans l’unité spéciale de détention suivant son acquittement de l’accusation de meurtre pour les motifs indiqués dans les lettres précitées était illégal. L’appelant a soutenu que la décision de le maintenir dans l’unité spéciale de détention, qu’il a attribuée au Comité national chargé de l’examen des cas d’USD, a été prise sans compétence parce qu’elle équivalait au renversement en appel de son acquittement ou à un nouveau procès sur l’accusation de meurtre et était contraire aux art. 4 et 8 de la directive du Commissaire no 274 du 1er décembre 1980 en ce qui a trait aux unités spéciales de détention.
6. La directive du Commissaire no 274 définit l’”unité spéciale de détention” de la manière suivante:
“Unité spéciale de détention” (USD) désigne une installation destinée exclusivement aux détenus qui, tout en répondant aux critères de sécurité maximale, sont reconnus comme particulièrement dangereux.
7. L’article 4 de la Directive définit le “détenu particulièrement dangereux” de la manière suivante:
“Détenu particulièrement dangereux” désigne un détenu dont on a la preuve écrite que, par ses agissements pendant qu’il est sous la garde de quelque juridiction que ce soit ou pendant que sa peine est en vigueur, il constitue une menace pour le personnel, les détenus ou d’autres personnes, ou manifeste son intention de le devenir. Ce comportement ne se limite pas à l’une ou plusieurs des conditions suivantes, mais inclut:
a. le rapt, la prise d’otage, la séquestration ou tentatives de rapt, de prise d’otage ou de séquestration;
b. de graves actes de violence;
c. l’évasion ou la tentative d’évasion ou l’évasion planifiée avec violence;
d. une condamnation pour le meurtre d’un agent de la paix, d’un détenu ou d’une autre personne, commis pendant que la peine du détenu est en vigueur;
e. la fabrication, la possession, ou l’introduction ou la tentative d’introduction dans un établissement, d’armes à feu, de munitions, d’explosifs puissants, d’armes offensives, tels que définis dans le Code criminel ;
f. l’incitation à tuer ou à faire une émeute, ou la conspiration d’un meurtre ou d’une émeute; et
g. de sérieuses indications de menaces à la vie d’un membre du personnel, d’un détenu ou d’une autre personne.
8. L’article 8 de la Directive prévoit:
8. La principale raison qui doit motiver le transfèrement d’un détenu dans une USD est le fait qu’il est considéré comme particulièrement dangereux et qu’il peut, par conséquent, nuire au maintien de la discipline dans l’établissement. Les détenus ne doivent pas être transférés dans une USD sur des motifs de suspicion seulement. Lorsque l’on s’appuie sur des motifs raisonnables et probables pour croire qu’un détenu a l’intention ou est susceptible de commettre un acte violent ou dangereux, on doit fournir des documents à l’appui.
9. Le pouvoir du commissaire adjoint, Sécurité, en ce qui a trait à l’incarcération dans une unité spéciale de détention est mentionné dans la définition du “Comité national chargé de l’examen des cas d’USD” à l’art. 6 de la Directive:
6. Le “Comité national chargé de l’examen des cas d’USD” comprend le commissaire adjoint, Sécurité, qui fait fonction de président; le commissaire adjoint, Programmes pour les détenus; le directeur général, Services médicaux; et des représentants régionaux principaux des régions d’accueil et d’origine désignés par le directeur général régional. Conformément à l’article 13(3) de la Loi sur les pénitenciers, le commissaire adjoint, Sécurité, a le pouvoir d’autoriser le transfèrement des détenus vers l’USD et hors de celle‑ci.
II
10. En tant que juge qui a présidé le procès de l’appelant sur l’accusation de meurtre, le juge Bergeron de la Cour supérieure a exprimé l’opinion que le maintien de l’incarcération de l’appelant dans l’unité spéciale de détention, malgré son acquittement, pour les motifs indiqués dans les lettres précitées, était sans fondement et violait les règles de justice naturelle et d’équité. Toutefois, il a rejeté la demande d’habeas corpus pour le motif que la Cour supérieure n’était pas compétente pour délivrer un tel bref afin de déterminer la validité de l’incarcération d’un détenu dans une unité spéciale de détention d’un pénitencier fédéral. Selon mon interprétation de ses motifs de jugement, il a fondé sa conclusion sur deux considérations: a) la compétence exclusive de la Cour fédérale du Canada en vertu de l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, de délivrer un certiorari contre un office, une commission ou un autre tribunal fédéral; et b) les limites du rôle de l’habeas corpus. Après avoir mentionné le jugement du juge en chef McEachern dans Cardinal v. Director of Kent Institution (C.S.C.‑B., 30 décembre 1980), selon lequel l’habeas corpus pouvait servir à libérer un détenu de pénitencier fédéral de la ségrégation ou de l’isolement administratifs, comme s’il s’agissait d’une “prison au sein d’une prison”, pour le réintégrer dans la population carcérale générale du pénitencier, le juge Bergeron a dit:
Avec extrême respect pour l’opinion exprimée dans le dossier [Cardinal], je suis d’avis que les normes prévues en matière de réforme des décisions administratives de la part des autorités carcérales, tombent sous le coup des articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale R.S.C. 1970 (2e Supp.) c. 10; la situation n’est pas sans remède, car le certiorari est ouvert au requérant, à l’intérieur de la compétence de la Cour fédérale, pour corriger une situation naissant, soit d’une absence d’équité, soit d’un déni de justice naturelle.
L’auteur Sharpe d’ailleurs, au même volume [The Law of Habeas Corpus (1976)], à la page 147, souligne l’attitude constante des tribunaux de droit commun et leur réticence à s’ingérer, en vertu de leur juridiction inhérente dans les matières disciplinaires, soulignant à cet effet l’utilisation du certiorari pour l’obtention de remèdes propres à remédier à des situations naissant d’abus de juridiction, de nature à priver une personne de certains de ses droits comme détenu.
C’est dans ce dernier sens que j’abonde, étant d’avis que les conditions de détention, à l’endroit d’une personne qui est autrement légalement incarcérée en vertu d’un mandat de dépôt valable, au‑delà duquel, la Cour supérieure ne peut remonter, ne donne pas ouverture à l’émission d’un bref d’habeas corpus.
11. L’arrêt unanime de la Cour d’appel du Québec qui a rejeté l’appel du jugement du juge Bergeron est publié à [1982] C.A. 464 et (1982), 142 D.L.R. (3d) 582, 1 C.C.C. (3d) 438 (sub nom. Re Morin and Yeomans). Le juge Turgeon, avec l’appui des juges Nolan et Malouf, a examiné la compétence exclusive de la Cour fédérale, en matière de certiorari, les jugements inédits du juge en chef adjoint Hugessen (maintenant juge de la Cour d’appel fédérale) dans Berrouard c. La Reine, C.S. Longueuil, no 505‑01‑001299‑789, 30 novembre 1981, et dans des décisions connexes dans lesquelles il a jugé que l’habeas corpus ne peut pas servir à libérer un détenu d’une forme particulière de détention s’il demeure assujetti à une détention légale d’une autre forme, et l’opinion du juge Ritchie dans l’arrêt Mitchell c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 570, selon lequel, en matière de demande d’habeas corpus, un tribunal doit s’en tenir à l’examen du mandat de dépôt. Il s’est inquiété de la possibilité de jugements contradictoires si un bref d’habeas corpus était délivré parce que l’appelant avait, à la suite du refus d’habeas corpus par la Cour supérieure, contesté la validité du maintien de sa détention dans l’unité spéciale de détention au moyen d’une demande de certiorari devant la Cour fédérale. Il a conclu sur la question de compétence de la manière suivante:
Sur le tout, je conclus que toute procédure s’attaquant aux procédés relatifs à l’administration interne des pénitenciers est de la compétence exclusive de la Cour fédérale du Canada.
III
12. La seule question soulevée dans le présent pourvoi est celle de la compétence d’une cour supérieure provinciale pour délivrer un bref d’habeas corpus pour déterminer la validité de l’incarcération d’un détenu d’un pénitencier fédéral dans une unité speciale de détention. Aucune plaidoirie n’a porté sur le point de savoir si, dans l’hypothèse où l’on pouvait recourir à l’habeas corpus en l’espèce, les moyens que l’appelant invoque pour contester la validité du maintien de son incarcération dans l’unité spéciale de détention de Laval, relèvent bien de l’examen que l’on fait dans le cadre d’un habeas corpus et aucune plaidoirie n’a porté sur le bien‑fondé de ces moyens de contestation. En outre, la question de la compétence elle‑même est depuis longtemps devenue théorique en raison du transfèrement de l’appelant hors de l’unité spéciale de détention, mais, à cause de son importance générale, la Cour estime qu’elle devrait la trancher.
13. La question de la compétence dans le présent pourvoi a également été soumise à cette Cour, du moins de manière implicite, dans les affaires R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613, et Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, qui ont été entendues en même temps que le présent pourvoi. Dans ces affaires, la question principale de compétence était de savoir si, compte tenu de la compétence exclusive de la Cour fédérale du Canada en vertu de l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale pour délivrer un certiorari contre tout office, commission ou autre tribunal fédéral, une cour supérieure provinciale était compétente pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus pour déterminer la validité de l’incarcération d’un détenu de pénitencier fédéral dans une unité spéciale de détention ou en ségrégation ou en isolement administratifs, en application de l’art. 40 du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, chap. 1251. La question de la compétence pour délivrer un habeas corpus seul pour ces fins a également été soulevée, mais peut‑être pas aussi directement en ce qui a trait à la compétence de la Cour fédérale qu’on l’a soulevée dans les motifs de la Cour supérieure et de la Cour d’appel en l’espèce. Dans les autres pourvois, cette question a été présentée plus directement, sinon exclusivement, en fonction du rôle ou de l’objet exacts de l’habeas corpus, indépendamment de la compétence de la Cour fédérale. En effet, on a fait valoir que l’habeas corpus ne permet pas de libérer un prisonnier d’une forme particulière d’incarcération si par ailleurs il demeure légalement détenu sous une autre forme. Toutefois, dans les motifs de jugement sur cette question dans R. c. Miller, la Cour a examiné les conséquences d’un tel emploi de l’habeas corpus, compte tenu de la compétence de la Cour fédérale en matière de certiorari, et a mentionné le raisonnement de la Cour supérieure et de la Cour d’appel en l’espèce. La conclusion sur cette question dans R. c. Miller est la suivante (aux pp. 640 et 641):
Examen fait des deux façons d’aborder cette question, je suis d’avis que le point de vue à retenir est celui selon lequel il y a lieu à habeas corpus pour déterminer la validité d’une forme particulière de détention dans un pénitencier quoique la même question puisse être tranchée par voie de certiorari en Cour fédérale. La portée du recours à l’habeas corpus doit d’abord être examinée en fonction de son propre fondement, indépendamment des problèmes que peuvent poser le partage ou le chevauchement des compétences. L’importance générale de ce recours comme moyen traditionnel de contester les privations de liberté est telle que son développement et son adaptation rationnels aux réalités modernes de la détention en milieu carcéral ne doivent pas être compromis par des craintes de conflits de compétence. Comme je l’ai déjà souligné à propos de la compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus, ces préoccupations sont nées de la décision du législateur de laisser aux cours supérieures provinciales la compétence pour délivrer des brefs d’habeas corpus contre des autorités fédérales. Or, la portée de l’habeas corpus ne peut être définie d’une manière pour le cas des autorités fédérales et d’une autre pour les autres autorités. L’incarcération dans une unité spéciale de détention, ou en ségrégation administrative, comme c’était le cas dans l’affaire Cardinal, constitue une forme de détention qui est tout à fait distincte de celle imposée à la population carcérale générale. Elle entraîne une diminution importante de la liberté résiduelle du détenu. Il s’agit en fait d’une nouvelle détention qui est censée avoir son propre fondement juridique. C’est cette forme précise de détention ou de privation de liberté qui est contestée par l’habeas corpus. C’est la libération de cette forme de détention qu’on demande. Voilà pourquoi je ne vois aucune raison valable fondée sur la nature et le rôle de l’habeas corpus pour laquelle il ne devrait pas servir à cette fin. Je ne dis pas qu’on devrait recourir à l’habeas corpus pour contester toutes et chacune des conditions d’incarcération dans un pénitencier ou une prison, y compris la perte d’un privilège dont jouit la population carcérale générale. Mais, selon moi, il y a lieu d’y recourir pour contester la validité d’une forme distincte de détention dans laquelle la contrainte physique réelle ou la privation de liberté, par opposition à la simple perte de certains privilèges, est plus restrictive ou sévère que cela est normalement le cas dans un établissement carcéral.
14. Ces motifs sont déterminants à l’égard de la question soulevée dans le présent pourvoi. La Cour supérieure avait compétence pour délivrer un bref d’habeas corpus afin de déterminer la validité du maintien de l’incarcération de l’appelant, suivant son acquittement relativement à l’accusation de meurtre, dans l’unité spéciale de détention du Centre de développement correctionnel à Laval (Québec). Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et le jugement de la Cour supérieure; toutefois, compte tenu du transfèrement de l’appelant hors de l’unité spéciale de détention je ne renverrais pas la demande d’habeas corpus à la Cour supérieure pour qu’elle se prononce sur cette question.
Pourvoi accueilli.
Procureur de l’appelant: Renée Millette, Montréal.
Procureurs des intimés et du mis en cause: Jacques Letellier et Richard Starck, Montréal.
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Date de la dernière modification : 2015-12-29