R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613

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R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613

Jugements de la Cour suprême
Intitulé : R. c. Miller
Collection : Jugements de la Cour suprême
Date : 1985-12-19
Recueil : [1985] 2 RCS 613
Numéro de dossier : 17333
Juges : Dickson, Robert George Brian; Beetz, Jean; Estey, Willard Zebedee; McIntyre, William Rogers; Lamer, Antonio; Wilson, Bertha; Le Dain, Gerald Eric
En appel de : Ontario
Sujets : Brefs de prérogative
Notes : Renseignements sur les dossiers de la Cour : 17333

R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Robert Miller Intimé.

No du greffe: 17333.

1984: 12 octobre; 1985: 19 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Lamer, Wilson et Le Dain.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

Brefs de prérogative ‑‑ Habeas corpus ‑‑ Compétence ‑‑ Cours supérieures ‑‑ Détenu incarcéré dans une unité spéciale de détention ‑‑ Demande d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire présentée à une cour supérieure ‑‑ Une cour supérieure provinciale est‑elle compétente pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus pour déterminer la validité de l’incarcération d’un détenu dans une unité spéciale de détention d’un pénitencier fédéral? ‑‑ Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 18.

Brefs de prérogative ‑‑ Habeas corpus ‑‑ Possibilité d’exercer ce recours ‑‑ Détenu incarcéré dans une unité spéciale de détention par suite d’un incident dans un pénitencier fédéral ‑‑ Peut‑on recourir à l’habeas corpus pour contester la validité d’une forme particulière d’incarcération dans un pénitencier?

Brefs de prérogative ‑‑ Habeas corpus ‑‑ Procédure ‑‑ Preuve par affidavit ‑‑ Admissibilité d’une preuve par affidavit pour établir une erreur de compétence dans le cadre d’une demande d’habeas corpus.

À la suite d’un incident dans un pénitencier, le détenu intimé a été transféré à un autre établissement où on l’a mis en ségrégation administrative dans une “unité spéciale de détention”. Cette unité est réservée aux détenus particulièrement dangereux. La détention y est plus sévère et entraîne la privation de plusieurs privilèges ou agréments dont jouit la population carcérale générale. On a fait savoir à l’intimé qu’il y avait été placé en raison de sa participation à l’incident en question, mais il n’a jamais eu la possibilité de réfuter la preuve, si preuve il y avait, de cette participation. La demande de l’habeas corpus avec certiorari auxiliaire présentée par l’intimé a été rejetée par la Cour suprême de l’Ontario. La Cour d’appel a accueilli son appel et renvoyé l’affaire à la Haute Cour pour qu’elle tranche le litige sur le fond. Le présent pourvoi vise à déterminer (1) si, nonobstant la compétence exclusive en matière de certiorari que l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Cour fédérale du Canada, une cour supérieure provinciale peut délivrer contre un office, une commission ou un autre tribunal fédéral un habeas corpus avec certiorari auxiliaire; (2) si un tribunal saisi d’une demande d’habeas corpus simple peut tenir compte d’une preuve par affidavit pour déterminer si une détention est illégale pour défaut ou excès de compétence; et (3) si l’on peut recourir à l’habeas corpus pour déterminer la validité d’une incarcération dans une unité spéciale de détention et, dans l’hypothèse où cette incarcération serait jugée illégale, pour obtenir la réintégration du détenu dans la population générale de l’établissement.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

(1) Une cour supérieure provinciale a compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus nonobstant l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale . Les dispositions de la Loi sur la Cour fédérale traduisent une intention claire chez le législateur de laisser aux cours supérieures provinciales la compétence pour vérifier par voie d’habeas corpus la validité d’une détention imposée par les autorités fédérales. Bien que l’art. 18 confère une compétence exclusive et très générale pour contrôler les décisions d’autorités fédérales par le moyen des recours de prérogative et des recours extraordinaires, lesquels sont expressément mentionnés, toute mention de l’habeas corpus a été délibérément omise. Or, cette omission n’est pas un oubli mais le résultat d’une décision bien pesée. Compte tenu de l’importance du certiorari auxiliaire pour l’efficacité de l’habeas corpus, recours auquel le sous‑al. 2c)(ii) de la Déclaration canadienne des droits et l’al. 10c) de la Charte canadienne des droits et libertés reconnaissent le statut de droit garanti, on n’a pas pu vouloir que la mention du certiorari à l’art. 18 ait pour effet de miner ou d’affaiblir la compétence des cours supérieures provinciales en matière d’habeas corpus en excluant ou en refusant le certiorari auxiliaire. Pour éviter une telle interprétation, il est possible de conclure, étant donné qu’à l’art. 18 le certiorari fait partie d’une énumération des recours de prérogative et des recours extraordinaires, qu’il est alors question du recours indépendant en certiorari pour l’annulation d’une décision d’un tribunal d’instance inférieure et non pas du certiorari en tant que procédure auxiliaire servant essentiellement à établir la preuve. En fait, puisqu’il n’a manifestement pas donné compétence pour délivrer un bref d’habeas corpus, il est peu probable que le législateur ait voulu conférer une compétence exclusive pour délivrer un certiorari auxiliaire.

(2) Il est bien établi que, dans le cas d’une demande de certiorari, une preuve par affidavit est admissible pour établir une erreur de compétence. Sous réserve de la restriction qui résulte du caractère concluant des dossiers de cours de juridiction supérieure ou de juridiction générale en common law, une cour saisie d’une demande d’habeas corpus sans certiorari auxiliaire peut aussi examiner une preuve par affidavit ou toute autre preuve extrinsèque pour déterminer s’il y a eu défaut ou excès de compétence. La proposition selon laquelle cette Cour en matière d’habeas corpus doit se limiter à un examen du mandat de dépôt pour déterminer s’il y a eu défaut ou excès de compétence, s’éloigne du fondement véritable de la jurisprudence de la Cour sur cette question.

(3) On peut recourir à l’habeas corpus pour déterminer la validité d’une forme particulière de détention dans un pénitencier quoique la même question puisse être déterminée par voie de certiorari en Cour fédérale. La portée du recours à l’habeas corpus doit d’abord être examinée en fonction de son propre fondement, indépendamment des problèmes que peuvent poser le partage ou le chevauchement des compétences. L’importance générale de ce recours comme moyen traditionnel pour contester les privations de liberté est telle que son développement et son adaptation rationnels aux réalités modernes de la détention en milieu carcéral ne doivent pas être compromis par des craintes de conflit de compétence. L’incarcération dans une unité spéciale de détention ou en ségrégation administrative constitue une forme de détention qui est tout à fait distincte de celle imposée à la population carcérale générale. Il s’agit en fait d’une nouvelle détention qui est censée avoir son propre fondement juridique. Aucune raison valable fondée sur la nature et le rôle de l’habeas corpus ne s’oppose à ce qu’on y ait recours pour contester la validité de cette forme distincte de détention dans laquelle la contrainte physique réelle, par opposition à la simple perte de certains privilèges, est plus restrictive ou sévère que cela est normalement le cas dans un établissement carcéral.

Jurisprudence

Arrêts examinés: Mitchell c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 570; Re Shumiatcher, [1962] R.C.S. 38; Re Trepanier (1885), 12 R.C.S. 111; Goldhar v. The Queen, [1960] R.C.S. 431; Re Sproule (1886), 12 R.C.S. 140; arrêts mentionnés: Re Cardinal and Oswald and The Queen (1982), 67 C.C.C. (2d) 252, infirmé [1985] 2 R.C.S. 643; Morin c. Comité national chargé de l’examen des cas d’U.S.D. (Unité spéciale de détention), [1982] C.A. 464, 1 C.C.C. (3d) 438, infirmé [1985] 2 R.C.S. 662; Ex parte McCaud, [1965] 1 C.C.C. 168; Howarth c. Commission nationale des libérations conditionnelles, [1976] 1 R.C.S. 453; R. v. London Borough of Hillingdon, ex parte Royco Homes Ltd., [1974] 2 All E.R. 643; Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Ex parte Macdonald (1896), 27 R.C.S. 683; Re Henderson, [1930] R.C.S. 45; Schtraks v. Government of Israel, [1964] A.C. 556; Ex parte Rogers (1843), 7 Jur. 992; R. v. Governor of Wandsworth Prison; ex parte Silverman (1952), 96 Sol. J. 853; Berrouard c. La Reine, C.S. Longueuil, no 505‑01‑001299‑789, 30 novembre 1981; Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; Stevenson v. Florant, [1927] A.C. 211, conf. [1925] R.C.S. 532; Dugal v. Lefebvre, [1934] R.C.S. 501; Re Cadeddu (1982), 4 C.C.C. (3d) 97; Swan v. Attorney General of British Columbia (1983), 35 C.R. (3d) 135; Re Frejd (1910), 22 O.L.R. 566; Re Bell and Director of Springhill Medium Security Institution (1977), 34 C.C.C. (2d) 303; McNally v. Hill, 293 U.S. 131 (1934); Jones v. Cunningham, 371 U.S. 236 (1963); Peyton v. Rowe, 391 U.S. 54 (1968); Johnson v. Avery, 393 U.S. 483 (1969); Wilwording v. Swenson, 404 U.S. 249 (1971); Preiser v. Rodriguez, 411 U.S. 475 (1973); Coffin v. Reichard, 143 F.2d 443 (1944); McCollum v. Miller, 695 F.2d 1044 (1982); Krist v. Ricketts, 504 F.2d 887 (1974); Bryant v. Harris, 465 F.2d 365 (1972); Dawson v. Smith, 719 F.2d 896 (1983); Streeter v. Hopper, 618 F.2d 1178 (1980).

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés , art. 10c) .

Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III, art. 2c)(iii).

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 2 “office, commission ou autre tribunal fédéral”, 17(5), 18.

Doctrine citée

Cromwell, T. “Habeas Corpus and Correctional Law” (1977), 3 Queen’s L.J. 295.

Note. “Developments in the Law‑‑Federal Habeas Corpus”, 83 Harv. L.R. 1038 (1970).

Sharpe, R. J. “Habeas Corpus in Canada” (1975), 2 Dalhousie L.J. 241.

Sharpe, R. J. The Law of Habeas Corpus, Oxford, Clarendon Press, 1976.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1982), 141 D.L.R. (3d) 330, 39 O.R. (2d) 41, 70 C.C.C. (2d) 129, 29 C.R. (3d) 153, 29 C.P.C. 159, qui a accueilli l’appel de l’intimé à l’encontre d’un jugement du juge Steele1, qui avait rejeté sa demande d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire. Pourvoi rejeté.

1 Résumé à (1982), 7 W.C.B. 294.

R. W. Hubbard, pour l’appelante.

Fergus J. O’Connor, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Le Juge Le Dain‑‑Ce pourvoi soulève la question de savoir si, compte tenu du rôle de l’habeas corpus et de la compétence exclusive pour délivrer un certiorari contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral conférée à la Cour fédérale du Canada par l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, une cour supérieure provinciale peut, par voie d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire, statuer sur la validité de l’incarcération d’un détenu dans une “unité spéciale de détention” d’un pénitencier fédéral, une forme particulièrement sévère de ségrégation et, dans l’hypothèse où elle juge illégal ce type d’incarcération, si cette cour supérieure provinciale peut ordonner la réintégration du détenu dans la population carcérale générale du pénitencier.

2. Ce pourvoi, autorisé par cette Cour, attaque l’arrêt en date du 25 août 1982 de la Cour d’appel de l’Ontario, qui a accueilli un appel d’une décision datée du 5 mars 1982 dans laquelle le juge Steele de la Cour suprême de l’Ontario a rejeté la demande d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire présentée par l’intimé pour que soit déterminée la validité de son incarcération dans l’unité spéciale de détention de l’établissement de Millhaven, un pénitencier fédéral. La demande a été rejetée d’abord pour le motif que la cour n’avait pas compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus parce qu’il appartenait exclusivement à la Cour fédérale d’accorder un certiorari contre un office, une commission ou un autre tribunal fédéral et, ensuite, parce que, en ce qui concerne l’habeas corpus simple, la compétence de la Cour fédérale empêchait la cour d’examiner autre chose que les mandats de dépôt, lesquels étaient réguliers en apparence et n’avaient fait l’objet d’aucune contestation.

3. D’après l’affidavit produit par l’intimé à l’appui de sa demande d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire, il était détenu au pénitencier de Matsqui. Le 2 juin 1981 il s’est produit un “incident” dans la cantine où il travaillait. Il a déclaré qu’il ne s’y trouvait pas au moment en question et qu’il n’avait en aucune façon provoqué l’incident. Quoi qu’il en soit, il a été mis en ségrégation administrative à Matsqui le 5 juin et en ségrégation d’abord à l’établissement Kent puis à Millhaven, où il a été transféré dans le premier cas le 11 juillet et dans le second cas le 23 juillet. Le 29 juillet 1981, on l’a placé dans l’unité spéciale de détention de Millhaven.

4. L’incarcération dans une unité spéciale de détention est réservée aux détenus particulièrement dangereux; c’est ce qui ressort de l’art. 5 de la directive du commissaire no 274 du 1er décembre 1980, qui donne à l’expression «Unité spéciale de détention» la définition suivante: « «Unité spéciale de détention» (USD) désigne une installation destinée exclusivement aux détenus qui, tout en répondant aux critères de sécurité maximale, sont reconnus comme particulièrement dangereux». Suivant la directive, le programme d’incarcération dans une unité spéciale comporte quatre phases. La première consiste en une période de ségrégation administrative au cours de laquelle on procède à une évaluation. D’après l’affidavit de l’intimé, qui contient une description très détaillée de la nature de l’incarcération à chacune des différentes étapes, à cette première phase le détenu est isolé de tous les autres détenus et doit garder sa cellule vingt‑trois heures par jour. Les phases subséquentes du programme permettent des contacts limités avec d’autres détenus et des périodes un peu plus longues à l’extérieur de la cellule mais, en règle générale, l’incarcération dans une unité spéciale est nettement plus sévère que la normale dans un pénitencier en ce sens qu’il y a privation de plusieurs privilèges ou agréments dont jouit la population carcérale générale.

5. Il ressort de l’affidavit de l’intimé qu’environ deux semaines après sa mise en unité spéciale de détention il a reçu une lettre portant qu’il y avait été placé en raison de sa participation à l’incident de Matsqui et, en particulier, parce qu’il avait cassé des fenêtres de la cuisine et qu’il avait fabriqué un engin explosif. L’intimé affirme qu’il n’a jamais eu la possibilité de réfuter la preuve, si preuve il y avait, de sa participation à l’incident en question, preuve sur laquelle a été fondée la décision de l’incarcérer dans l’unité spéciale de détention. Il n’a jamais par suite de l’incident été accusé d’une infraction à la discipline et aucune accusation criminelle n’a été portée contre lui. On ne lui a pas fait subir d’examen psychologique et ni ses antécédents ni la nature des infractions dont il a été reconnu coupable ne portent à croire qu’il était particulièrement dangereux. En octobre 1981 il a comparu devant le Comité national chargé de l’examen des cas d’unité spéciale de détention, mais on ne l’a pas informé de la preuve produite contre lui pas plus qu’on ne lui a donné la possibilité d’y répondre. On lui a dit que ce n’était que par une bonne conduite qu’il pouvait obtenir sa libération de l’unité spéciale de détention et sa réintégration dans la population générale du pénitencier. L’intimé soutient que la décision de le placer dans l’unité spéciale de détention était complètement injustifiée.

6. Dans sa demande d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire, l’intimé fait valoir que ni la loi ni son règlement d’application n’autorisent l’incarcération dans l’unité spéciale de détention de Millhaven et qu’il s’agit donc d’une détention illégale. Il allègue en outre ou subsidiairement que son incarcération dans l’unité spéciale a été effectuée d’une façon non conforme à l’équité dans la procédure. L’intimé reconnaît toutefois qu’il devait, aux termes de la loi, être détenu dans un pénitencier. Sa libération sous surveillance obligatoire était fixée au 3 juillet 1983 et on nous a appris au cours de l’audience en cette Cour qu’elle a eu lieu comme prévu.

7. L’arrêt unanime de la Cour d’appel (1982), 141 D.L.R. (3d) 330, 39 O.R. (2d) 41, 70 C.C.C. (2d) 129, 29 C.R. (3d) 153, 29 C.P.C. 159, accueillant l’appel de la décision du juge Steele et renvoyant l’affaire à la Haute Cour pour qu’elle statue sur le fond, a été rendu par le juge Cory, à l’avis duquel les juges Martin et Goodman ont souscrit. Dans ses motifs de jugement, le juge Cory a examiné dans l’ordre les trois questions suivantes: a) celle de savoir si l’on peut recourir à l’habeas corpus pour déterminer la validité d’une incarcération dans une unité spéciale de détention et, dans l’hypothèse où cette incarcération serait jugée illégale, pour obtenir la réintégration du détenu dans la population générale de l’établissement; b) celle de savoir si un tribunal saisi d’une demande d’habeas corpus simple peut examiner une preuve par affidavit pour décider si une détention est illégale pour défaut ou excès de compétence; et c) celle de savoir si, nonobstant la compétence exclusive en matière de certiorari que l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Cour fédérale du Canada, une cour supérieure provinciale peut délivrer contre un office, une commission ou un autre tribunal fédéral un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus. La Cour d’appel a répondu à chacune de ces questions par l’affirmative. L’appelante attaque surtout les conclusions de la Cour d’appel sur la première et la troisième questions, qui sont les questions principales devant nous. La Cour d’appel paraît avoir considéré la deuxième question comme une question subsidiaire et il n’est pas clair s’il sera nécessaire de l’aborder ici.

8. Deux autres pourvois portant sur l’ensemble ou une partie de ces questions ont été entendus en même temps que celui‑ci; il s’agit de Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, et Morin c. Comité national chargé de l’examen des cas d’unité spéciale de détention, [1985] 2 R.C.S. 662. L’arrêt Cardinal de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, publié à (1982), 67 C.C.C. (2d) 252 (sub nom. Re Cardinal and Oswald and The Queen), et l’arrêt Morin de la Cour d’appel du Québec, publié à [1982] C.A. 464 (sub nom. Morin c. Comité national de l’examen des cas d’U.S.D. (Unité spéciale de détention)) et (1982), 1 C.C.C. (3d) 438 (sub nom. Re Morin and Yeomans), ont tous les deux été rendus antérieurement à l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario dans la présente affaire. Dans l’arrêt Cardinal, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique est arrivée aux mêmes conclusions que la Cour d’appel de l’Ontario sur les trois questions relatives à la compétence qu’elle a examinées. De fait, sur ces questions‑là, le juge Cory s’est appuyé particulièrement sur le raisonnement du juge Anderson de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique. Toutefois, dans l’arrêt Cardinal, la Cour d’appel a examiné aussi le bien‑fondé de l’argument selon lequel la manière dont on avait imposé ou maintenu la ségrégation ou l’isolement administratifs de l’appelant constituait une violation de l’obligation d’agir équitablement, et le pourvoi devant cette Cour attaquait la conclusion de la Cour d’appel sur cette question plutôt que, comme c’est le cas en l’espèce, ses conclusions sur les questions de compétence. Pour cette raison, les questions de compétence, sur lesquelles les deux cours d’appel sont arrivées aux mêmes conclusions, seront examinées d’abord dans le présent pourvoi. Dans l’arrêt Morin, où l’appelant a tenté par voie de demande d’habeas corpus sans certiorari auxiliaire de contester son incarcération dans une unité spéciale de détention, la question principale qui paraît être commune à chacun des trois appels, était de savoir si, compte tenu de la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire, l’habeas corpus permet d’examiner la validité d’une telle incarcération.

II

9. Comme nous l’avons déjà vu, la question de savoir si une cour supérieure provinciale peut délivrer un habeas corpus avec certiorari auxiliaire pour examiner la validité d’une détention imposée par les autorités fédérales se pose en raison de l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale , qui investit la Division de première instance de la Cour fédérale du Canada d’une compétence exclusive en première instance pour délivrer un certiorari contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral. L’article 18 est ainsi rédigé:

18. La Division de première instance a compétence exclusive en première instance

a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral; et

b) pour entendre et juger toute demande de redressement de la nature de celui qu’envisage l’alinéa a), et notamment toute procédure engagée contre le procureur général du Canada aux fins d’obtenir le redressement contre un office, une commission ou à un autre tribunal fédéral.

L’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale définit ainsi l’expression “office, commission ou autre tribunal fédéral”:

“office, commission ou autre tribunal fédéral” désigne un organisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d’une telle loi, à l’exclusion des organismes de ce genre constitués ou établis par une loi d’une province ou sous le régime d’une telle loi ainsi que des personnes nommées en vertu ou en conformité du droit d’une province ou en vertu de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 .

Il n’est pas contesté que la décision de placer l’intimé dans l’unité spéciale de détention de Millhaven a été prise par un office, une commission ou un tribunal fédéral au sens de l’art. 2 de la Loi.

10. Les cours qui ont eu à se pencher sur cette question de compétence ont buté contre les opinions contradictoires exprimées par les juges de cette Cour dans l’arrêt Mitchell c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 570. La conclusion du juge Steele sur cette question se fonde sur l’opinion du juge Ritchie dans l’arrêt Mitchell. Cependant, la Cour d’appel de l’Ontario, tout comme la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Cardinal, a suivi l’opinion opposée du juge en chef Laskin.

11. Dans l’affaire Mitchell, l’appelant a essayé, par une demande d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire, de contester la validité de sa détention à la suite de la suspension et de la révocation de sa libération conditionnelle par la Commission nationale des libérations conditionnelles. Il a soulevé, affidavits à l’appui, plusieurs erreurs de compétence dont les procédures et les décisions de la Commission auraient été entachées. Cette Cour à la majorité a rejeté son pourvoi, concluant que sa détention n’était pas invalide pour défaut ou excès de compétence. La question de la possibilité d’obtenir un certiorari auxiliaire s’est posée parce que la Cour du Banc de la Reine du Manitoba avait délivré un bref d’habeas corpus pour qu’il soit statué sur la validité de la détention, mais l’ordonnance n’avait pas été assortie d’un redressement de la nature d’un certiorari auxiliaire. Quoique, comme l’a fait remarquer le juge Ritchie, on n’ait pas contesté en Cour d’appel le caractère adéquat de l’ordonnance de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, des opinions ont été exprimées en cette Cour sur la compétence d’une cour supérieure provinciale pour délivrer un habeas corpus avec certiorari auxiliaire aux fins d’examiner la validité d’une détention imposée par les autorités fédérales. Le juge Ritchie a estimé tout d’abord, et on peut supposer que c’était là l’opinion de la majorité en cette Cour, qu’en tout état de cause on ne pouvait recourir au certiorari parce que les décisions de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui suspendaient et révoquaient la libération conditionnelle de l’appelant n’étaient pas des décisions judiciaires ou quasi judiciaires qui pouvaient en conséquence faire l’objet d’un certiorari. À l’appui de cette conclusion le juge Ritchie a cité les arrêts de cette Cour Ex parte McCaud, [1965] 1 C.C.C. 168, et Howarth c. Commission nationale des libérations conditionnelles, [1976] 1 R.C.S. 453. Parlant pour lui‑même et au nom de trois juges (les juges Judson, Pigeon et Beetz) de la Cour siégeant au complet, le juge Ritchie a cependant estimé que l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale avait aboli la compétence d’une cour supérieure provinciale pour délivrer contre un office fédéral un habeas corpus avec certiorari auxiliaire. Quant aux juges Martland et de Grandpré, qui étaient également d’avis que le pourvoi devait être rejeté, ils n’ont pas exprimé d’opinion sur ce point. Le juge en chef Laskin, qui aurait accueilli le pourvoi, a conclu que le recours au certiorari ne se limite pas à des décisions de caractère judiciaire ou quasi judiciaire et il a invoqué l’arrêt R. v. London Borough of Hillingdon, ex parte Royco Homes Ltd., [1974] 2 All E.R. 643, à l’appui de la portée plus large du recours. Il a conclu en outre que l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale n’avait pas retiré aux cours supérieures provinciales la compétence pour délivrer contre un office, une commission ou un autre tribunal fédéral un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus. Le juge Dickson, maintenant Juge en chef, a partagé l’avis du juge en chef Laskin sur la question de la compétence. Dans ses motifs distincts, le juge Spence conclut qu’il y aurait lieu d’accueillir le pourvoi, mais il ne paraît pas s’être penché sur cette question.

12. Certes, il est bien établi depuis l’arrêt de cette Cour Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, que le recours au certiorari ne se limite pas aux décisions soumises à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, mais que, comme l’a dit le juge Dickson, maintenant Juge en chef, aux pp. 622 et 623, il y a lieu à certiorari “chaque fois qu’un organisme public a le pouvoir de trancher une question touchant aux droits, intérêts, biens, privilèges ou libertés d’une personne”.

13. Sur la question de la compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus, je souscris respectueusement à la conclusion du juge en chef Laskin dans l’arrêt Mitchell et ce, essentiellement pour les raisons données par celui‑ci qui, si je comprends bien, s’est fondé sur l’importance de rendre efficace la compétence en matière d’habeas corpus des cours supérieures provinciales et sur la distinction qui existe entre le certiorari aux fins d’annulation et le certiorari auxiliaire, ce dernier étant un outil de procédure ou de preuve conçu pour accroître l’efficacité de l’habeas corpus. Voici ce que le juge en chef Laskin dit au sujet de cette distinction à la p. 578:

Il me paraît très clair qu’il y a une différence marquée entre le certiorari auquel on a recours comme procédure permettant directement l’annulation d’une condamnation ou d’une ordonnance et le certiorari auxiliaire d’un habeas corpus visant à rendre ce dernier plus efficace en exigeant, à cette fin, la communication du dossier.

14. À mon avis, il faut aborder cette question de la même manière que l’a fait le juge en chef Laskin, c’est‑à‑dire prendre pour point de départ que les dispositions de la Loi sur la Cour fédérale traduisent l’intention manifeste du législateur de laisser aux cours supérieures provinciales la compétence en matière d’habeas corpus pour vérifier la validité d’une détention imposée par les autorités fédérales. Bien que l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale confère une compétence exclusive et très générale pour contrôler les décisions des autorités fédérales au moyen des brefs de prérogative et des recours extraordinaires, lesquels sont expressément mentionnés, toute mention de l’habeas corpus a été délibérément omise. Qu’il s’agisse là non pas d’un oubli mais d’une décision bien pesée ressort du par. 17(5) de la Loi, qui investit expressément la Cour fédérale d’une compétence exclusive relativement à une demande d’habeas corpus présentée par un membre des Forces canadiennes en service à l’étranger. D’accord avec le juge en chef Laskin, j’estime qu’en raison de son importance à titre de protection de la liberté individuelle, la compétence en matière d’habeas corpus ne saurait être modifiée que par des termes explicites. On peut penser à plusieurs raisons, y compris l’importance de voir à ce qu’il soit possible d’obtenir ce recours à l’échelon local, pour lesquelles on a jugé bon de laisser aux cours supérieures provinciales la compétence pour délivrer un habeas corpus contre des autorités fédérales. L’élément capital, à mon sens, est ceci: ce qui tranche en réalité la question de la compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire est la décision de créer, avec tout ce que cela risque d’engendrer comme problèmes de partage ou de chevauchement de compétences, cette exception à la compétence exclusive de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire. Il ne fait pas de doute que le certiorari auxiliaire est important, sinon essentiel, pour rendre l’habeas corpus efficace. C’est ce qu’ont souligné à la fois le juge Anderson, à l’avis duquel les autres membres de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique se sont rangés sur cette question dans l’arrêt Cardinal, et le juge Cory dans la présente affaire. Dans bien des cas il peut être impossible à une cour de se prononcer sur l’absence ou l’excès de compétence si l’on ne produit pas le dossier du tribunal qui a ordonné ou autorisé la détention. Comme l’a fait remarquer le juge en chef Laskin, l’importance de l’habeas corpus lui‑même et, par suite, l’importance de son maintien à titre de recours complètement efficace, ressortent particulièrement du fait que c’est un droit garanti inclus dans le sous‑al. 2c)(iii) de la Déclaration canadienne des droits. À cette reconnaissance s’ajoute maintenant la garantie constitutionnelle du droit à l’habeas corpus énoncée à l’al. 10c) de la Charte canadienne des droits et libertés . En raison de l’intention manifeste de laisser aux cours supérieures provinciales la compétence en matière d’habeas corpus à l’égard des autorités fédérales et en raison de l’importance du certiorari auxiliaire pour rendre l’habeas corpus efficace, on n’a pas pu, selon moi, vouloir que la mention du certiorari à l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale ait pour effet de miner ou d’affaiblir, par l’exclusion ou le refus du certiorari auxiliaire, la compétence des cours supérieures provinciales en matière d’habeas corpus. Indubitablement, une telle interprétation est autant que possible à éviter. On peut l’éviter en appliquant la distinction, sur laquelle a insisté le juge en chef Laskin, entre le certiorari en tant que méthode de contrôle indépendante et distincte dont l’objet est l’annulation d’une décision d’un tribunal inférieur, et le certiorari en tant que procédure auxiliaire servant essentiellement à établir une preuve. On trouve dans Cromwell, “Habeas Corpus and Correctional Law” (1977), 3 Queen’s L.J. 295, aux pp. 320 à 323, une analyse très détaillée de cette distinction, où l’on se réfère à un bon nombre de décisions où la distinction a été mentionnée et appliquée. Si on l’applique au certiorari visé à l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale , il est raisonnable de conclure, étant donné que dans cet article le certiorari fait partie d’une énumération des brefs de prérogative et des recours extraordinaires, qu’il s’agit du recours indépendant en certiorari pour l’annulation d’une décision. Il est peu probable que le législateur ait voulu conférer une compétence exclusive pour délivrer un certiorari auxiliaire puisqu’il n’a manifestement pas donné compétence pour délivrer un bref d’habeas corpus. Pour ces raisons j’estime qu’une cour supérieure provinciale a compétence pour délivrer un habeas corpus avec certiorari auxiliaire aux fins d’examiner la validité d’une détention autorisée ou ordonnée par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral au sens de l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale et que, par conséquent, la conclusion de la Cour d’appel de l’Ontario sur ce point n’est pas entachée d’erreur.

III

15. Vu cette conclusion sur la question de la compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus, il peut ne pas être strictement nécessaire d’étudier la question, qui a été traitée comme une question subsidiaire par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’affaire Cardinal et par la Cour d’appel de l’Ontario dans la présente affaire; il s’agit de la question de savoir si, dans le cas d’une demande d’habeas corpus sans certiorari auxiliaire, une cour peut prendre en considération un affidavit ou d’autre preuve extrinsèque afin de déterminer s’il y a eu défaut ou excès de compétence. Il est bien établi que, dans le cas d’une demande de certiorari, une preuve par affidavit est admissible pour établir une erreur de compétence. Toutefois, l’analyse de cette question qu’ont entreprise les deux cours d’appel les a amenées à une conclusion différente de celle du juge Ritchie dans l’arrêt Mitchell, sans qu’elles aient examiné très explicitement la jurisprudence de cette Cour sur laquelle devait reposer l’opinion du juge Ritchie. D’autre part, il se peut bien que la même question soit soulevée par le pourvoi formé dans l’affaire Morin. C’est pourquoi il est probablement souhaitable de la traiter ici pour écarter l’incertitude qui, nécessairement, règne maintenant à son égard.

16. Dans l’affaire Mitchell, on a produit un affidavit à l’appui de l’argument de l’appelant qu’on l’avait arrêté sans que la Commission nationale des libérations conditionnelles ait au préalable lancé un mandat de suspension conformément au par. 16(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P‑2; qu’on ne l’avait pas informé des motifs de son arrestation comme l’exige le sous‑al. 2c)(i) de la Déclaration canadienne des droits; et que, contrairement à l’al. 2e) de la Déclaration canadienne des droits, on ne lui avait pas donné la possibilité d’être entendu relativement à la suspension ou à la révocation de sa libération conditionnelle. Visiblement, ces questions se rapportaient à la compétence. Le juge Ritchie a conclu que la cour saisie de la demande d’habeas corpus devait s’en tenir à l’examen de ce qui se dégageait de la lecture des documents suivants: le mandat de dépôt, censément fondé sur la suspension de la libération conditionnelle de l’appelant; le mandat d’arrestation lancé par la Commission à la suite de la révocation de la libération conditionnelle de l’appelant; et le mandat de dépôt fondé sur la révocation et sur le mandat d’arrestation. À la page 590, le juge Ritchie dit relativement à ces documents:

Au rapport du bref, le juge en chef Dewar devait se limiter à l’examen des faits apparaissant à la lecture des documents concernant la cause de l’arrestation et de la détention dudit Fred Mitchell.

Puis, sur le même sujet, il ajoute, à la p. 594:

Comme je l’ai signalé, le juge en chef Dewar, lors de l’audition sur le rapport du bref d’habeas corpus, devait s’en tenir à l’examen des faits apparaissant à la lecture des mandats alors produits, et, à mon avis, les affirmations de l’appelant contenues dans les déclarations sous serment ne lui étaient pas présentées de façon régulière et il appert de ses motifs de jugement qu’il ne les a pas prises en considération. Le juge Judson a indiqué dans l’arrêt In re Shumiatcher, [1962] R.C.S. 38, le principe juridique en cette matière. Il s’agissait d’une requête en habeas corpus et, après avoir examiné les arrêts pertinents et fait remarquer que la juridiction de cette Cour était concurrente avec celle des juges de la Cour supérieure des provinces en matière d’habeas corpus, le juge Judson continuait en disant:

[TRADUCTION] Ma compétence se limite à l’examen du mandat de dépôt et des autres documents que j’ai mentionnés‑‑les engagements souscrits et l’ordonnance du juge Hogarth. Je ne puis examiner la preuve, qu’il s’agisse des notes sténographiques des témoignages à l’enquête préliminaire ou de la preuve qu’on tente d’introduire au moyen d’une déclaration sous serment portant sur une partie de ces témoignages.

17. Dans l’arrêt Re Shumiatcher, [1962] R.C.S. 38, la question pertinente était de savoir si la Cour pouvait examiner certaines déclarations solennelles qu’on accusait le demandeur de l’habeas corpus d’avoir incité une personne à faire, sachant qu’elles étaient fausses et devenant ainsi, aux termes du par. 22(1) du Code criminel , une partie à l’infraction définie par l’art. 114 (maintenant l’art. 122 ). La demande d’habeas corpus contestait la validité du renvoi à procès au motif que l’auteur des déclarations solennelles n’était pas, au sens de l’art. 114 , une personne ayant la permission, l’autorisation ou l’obligation d’après la loi de les faire. Ces déclarations solennelles faisaient mention d’une déclaration introductive d’instance. À la page 45, le juge Judson formule la question en litige de la manière suivante:

[TRADUCTION] Voilà qui m’amène à la question de l’usage qu’on peut faire de ces documents dans le cadre d’une requête en habeas corpus devant un juge de cette Cour.

La poursuite soutient que je dois me limiter à un examen du mandat de dépôt et que je ne puis tenir compte de ces déclarations ni de la déclaration introductive d’instance pas plus que je ne puis étudier les témoignages, qui remplissent sept ou huit volumes, donnés à l’enquête préliminaire.

18. Ayant cité des extraits tirés des arrêts de cette Cour Re Trepanier (1885), 12 R.C.S. 111, Ex parte Macdonald (1896), 27 R.C.S. 683, et Goldhar v. The Queen, [1960] R.C.S. 431, relatifs au recours à l’habeas corpus pour attaquer un mandat de dépôt lancé à la suite d’une déclaration de culpabilité, et ayant fait remarquer que cette Cour n’avait pas compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus, le juge Judson, à la p. 47, est arrivé aux conclusions suivantes sur cette question:

[TRADUCTION] À mon avis, la compétence de cette Cour souffre une restriction semblable dans le cas d’une enquête sur un renvoi au procès. À défaut de compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus, un juge de cette Cour n’est pas autorisé à examiner les témoignages donnés à l’enquête préliminaire ni à recevoir une preuve par affidavit à son égard.

Ma compétence se limite à un examen du mandat de dépôt et des autres documents dont j’ai fait mention, savoir les engagements souscrits et l’ordonnance du juge Hogarth. Je ne puis étudier aucune preuve, qu’il s’agisse d’une transcription des témoignages donnés à l’enquête préliminaire ou d’une preuve qu’on cherche à introduire par voie d’affidavit identifiant une partie de ces témoignages.

Sur cet aspect de l’affaire, je m’appuie entièrement sur ce principe‑là et je n’exprime pas d’opinion sur la question, débattue à fond devant moi, de savoir si la loi provinciale autorise à recevoir ce genre de déclaration.

19. Dans l’affaire Goldhar, la demande d’habeas corpus soulevait la question de savoir si une liste de condamnations constituait un certificat en bonne et due forme du verdict de culpabilité rendu contre l’appelant et la question de la peine maximale applicable compte tenu d’une modification qui avait été apportée à la loi. Le juge Fauteux (alors juge puîné), à l’avis duquel les juges Taschereau, Abbott et Judson ont souscrit, a exprimé, à la p. 439, la raison fondamentale de l’exclusion de toute preuve extrinsèque dans le cadre d’une demande d’habeas corpus:

[TRADUCTION] La question, que l’avocat de l’appelant reconnaît avoir essayé de faire trancher par voie d’habeas corpus, est formulée dans les motifs de jugement des autres membres de la Cour. À mon avis, cette question nécessiterait l’examen de la preuve produite en première instance, ce qui, en l’espèce, dépasse les limites des questions pouvant être étudiées dans une telle procédure. Toute autre conclusion reviendrait à transformer le bref d’habeas corpus en un bref d’erreur ou en appel et à conférer à toute personne autorisée à délivrer un bref d’habeas corpus une compétence d’appel à l’égard des ordonnances et des jugements même des plus hautes instances. Or, il est bien établi qu’un tel bref ne permet pas d’entreprendre davantage qu’une enquête sur la compétence de la cour qui a ordonné la détention et sur la validité apparente de l’ordonnance en question.

Je suis d’accord pour dire que l’appelant a été reconnu coupable et condamné par une cour compétente, que la liste est un certificat en bonne et due forme de la déclaration de culpabilité et de la condamnation de l’appelant et que, compte tenu des documents dont il disposait, c’est à bon droit que le juge Martland a rejeté la demande de bref d’habeas corpus.

20. Le passage que je viens de citer exprime, à mon respectueux avis, la véritable distinction ou le véritable critère en ce qui concerne l’examen d’une preuve extrinsèque dans le cadre d’une demande d’habeas corpus; il s’agit de la distinction entre les questions de fond et les questions de compétence. Aussi bien dans l’arrêt Shumiatcher que dans l’arrêt Goldhar on était manifestement en présence de questions de fond. Il en va de même de l’affaire Re Trepanier, où le requérant a allégué que le magistrat qui l’avait déclaré coupable avait commis une erreur quant aux faits. Le requérant a donc demandé un bref d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire qui aurait exigé la production du dossier des procédures afin de déterminer si la preuve était suffisante pour justifier une déclaration de culpabilité. C’était clairement une tentative d’utiliser l’habeas corpus pour examiner le bien‑fondé d’une déclaration de culpabilité. Le juge en chef Ritchie a dit, à la p. 113:

[TRADUCTION] Le magistrat a incontestablement compétence sur le sujet de la plainte et sur la personne du détenu; l’allégation que le magistrat a agi de façon irrégulière ou qu’il a excédé sa compétence est sans fondement; de plus, on reconnaît la régularité de la déclaration de culpabilité et du mandat, les seuls motifs de contestation étant que le magistrat a commis une erreur quant aux faits et que la preuve ne lui permettait pas de conclure à la culpabilité du détenu. Je n’ai donc aucune hésitation à dire que nous ne pouvons, au moyen d’un bref d’habeas corpus, examiner le bien‑fondé de la déclaration de culpabilité ni mener une enquête sur le fond de l’affaire.

21. L’arrêt subséquent Re Sproule (1886), 12 R.C.S. 140, soulevait des questions de compétence, mais la Cour a conclu qu’on ne saurait, dans le cadre d’une demande d’habeas corpus, se fonder sur des preuves extrinsèques pour contredire le dossier apparemment régulier d’une cour supérieure. La Cour suprême de la Colombie‑ Britannique avait confirmé la déclaration de culpabilité et la peine prononcées par la cour d’oyer et terminer et d’évacuation des prisons, et, à la p. 191, le juge en chef Ritchie a parlé du caractère concluant du dossier d’une cour supérieure en ces termes:

[TRADUCTION] Je suis prêt à soutenir sans crainte de contradiction que, selon le droit d’Angleterre et du Canada, lorsque les principes de common law s’appliquent, si le dossier d’une cour supérieure contient l’exposé de faits nécessaire pour qu’il y ait attribution de compétence, ce qui est le cas en l’espèce, ce dossier est concluant et ne saurait être contredit par une preuve extrinsèque; et si les cours supérieures ont compétence sur le sujet et sur la personne, comme l’avaient dans la présente affaire la cour d’oyer et terminer et d’évacuation des prisons et la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, les dossiers contenant leurs jugements et condamnations sont définitifs et concluants, la vérité absolue, et, cela étant, le dossier ne peut en droit être contredit.

Puis, il a souligné la distinction à cet égard entre les dossiers de cours inférieures et ceux de cours supérieures, disant à ce propos, à la p. 193:

[TRADUCTION] Et je me permets de suggérer humblement et en toute déférence que la difficulté en l’espèce vient d’une conception erronée de ce qu’on peut et de ce qu’on ne peut pas faire en vertu d’un bref d’habeas corpus; mais, plus particulièrement, la difficulté résulte de ce qu’on saisit imparfaitement la différence de validité et d’effet entre les dossiers de cours de juridiction inférieure et ceux de cours de juridiction supérieure, de sorte qu’on considère les deux types de dossiers comme ayant la même validité et le même effet.

22. Dans les arrêts Ex parte Macdonald, précité, et Re Henderson, [1930] R.C.S. 45, portant sur des questions de compétence, cette Cour a appliqué l’arrêt Re Sproule pour appuyer la proposition plus générale ou absolue selon laquelle la Cour, saisie d’une demande d’habeas corpus, doit s’en tenir à un examen du mandat de dépôt en déterminant s’il y a eu défaut ou excès de compétence.

23. Il s’ensuit que la jurisprudence de cette Cour concernant l’admission ou l’examen d’une preuve extrinsèque dans le cadre d’une demande d’habeas corpus a pour fondement véritable deux principes, savoir: le principe selon lequel il ne faut pas permettre qu’une preuve extrinsèque ait pour effet de transformer une demande d’habeas corpus en un appel sur le fond, et le principe selon lequel le dossier d’une cour supérieure est concluant quant aux faits dont dépend sa compétence et ne peut être contredit par une preuve extrinsèque. Il a été dit que le premier principe constituait une préoccupation particulière de la Cour quand elle avait à exercer une compétence de première instance en matière d’habeas corpus et que cela explique peut‑être pourquoi certains de ses arrêts contiennent une expression de portée large et absolue de la règle relative à l’examen de preuves extrinsèques dans le cas d’une demande d’habeas corpus. Voir Sharpe, The Law of Habeas Corpus (1976), p. 51, note 2. Pour ce qui est du second principe, je suis d’accord avec Sharpe qui dit dans “Habeas Corpus in Canada” (1975), 2 Dalhousie L.J. 241, à la p. 261, qu’il ne doit s’appliquer qu’aux dossiers des cours supérieures ou des cours de juridiction générale en common law. Dans l’arrêt Mitchell, ni l’un ni l’autre principe ne trouvait application. Comme je l’ai déjà souligné, les moyens invoqués dans cette affaire‑là concernaient manifestement la compétence de la cour, et le dossier, puisqu’il dépendait des procédures et des décisions d’un tribunal inférieur, ne pouvait être considéré comme concluant relativement aux faits établissant la compétence. À mon respectueux avis, quand on dit dans l’arrêt Mitchell qu’il n’est pas permis d’examiner la preuve par affidavit, on s’éloigne du fondement véritable de la jurisprudence de la Cour sur cette question. En fait, deux des juges majoritaires (les juges Martland et de Grandpré) ainsi que les juges minoritaires (le juge en chef Laskin, les juges Spence et Dickson) ont tenu compte de la preuve par affidavit en décidant s’il y avait eu défaut ou excès de compétence lorsque l’ordonnance de détention avait été rendue.

24. Comme l’ont souligné la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Cardinal et la Cour d’appel de l’Ontario dans la présente affaire, il est des cas où l’erreur de compétence ne peut être établie au cours d’une demande d’habeas corpus que par la preuve par affidavit même lorsque le dossier a pu être produit grâce à un certiorari auxiliaire. Cela est particulièrement vrai s’il y a eu violation des principes de justice naturelle ou négation de l’équité dans la procédure. Il s’agit là, selon moi, d’un motif irrésistible de circonscrire dans les limites qui lui sont propres la règle qui s’oppose à l’examen d’une preuve extrinsèque dans une demande d’habeas corpus.

25. L’arrêt de la Chambre des lords Schtraks v. Government of Israel, [1964] A.C. 556, sur lequel se sont fondées les cours d’appel dans l’arrêt Cardinal et dans la présente affaire, appuie un point de vue plus libéral à l’égard de l’admission ou de l’examen de preuves extrinsèques dans une demande d’habeas corpus pour trancher des questions de compétence. Dans cet arrêt on a conclu qu’une nouvelle preuve pouvait être admise relativement à une demande d’habeas corpus afin de démontrer que le magistrat n’avait pas compétence pour rendre l’ordonnance d’incarcération dans une affaire d’extradition en raison du caractère politique de l’infraction. Lord Hodson semble avoir conclu en fait que la règle relative à l’admission d’une preuve par affidavit dans le cas d’un habeas corpus est la même que celle qui s’applique à une demande de certiorari; c’est ce qui ressort de l’extrait suivant aux pp. 605 et 606:

[TRADUCTION] La procédure par voie d’habeas corpus est comparable à celle par voie de certiorari pour l’annulation d’une déclaration de culpabilité, voir Short and Mellor’s Crown Practice (1908), à la p. 319. Les affidavits ne sont pas admissibles pour mettre en doute des conclusions de fait d’un tribunal compétent, bien qu’ils puissent être reçus pour établir un point accessoire extrinsèque qui est essentiel à la compétence ou pour prouver soit un défaut total de compétence soit un excès de compétence.

26. Je suis donc d’avis que, sous réserve de la restriction qui résulte du caractère concluant des dossiers de cours de juridiction supérieure ou de juridiction générale en common law, une cour saisie d’une demande d’habeas corpus sans certiorari auxiliaire peut examiner une preuve par affidavit ou d’autres preuves extrinsèques pour déterminer s’il y a eu défaut ou excès de compétence.

IV

27. Voilà qui m’amène à la question de savoir si l’on peut recourir à l’habeas corpus pour décider de la validité de l’incarcération d’un détenu dans une unité spéciale de détention d’un pénitencier et, si cette détention est jugée illégale, pour obtenir sa réintégration dans la population générale du pénitencier.

28. Au coeur de cette question est l’opinion qu’on peut avoir du rôle véritable de l’habeas corpus et de la mesure dans laquelle ce recours doit être adapté à la réalité des différents types d’incarcération et de détention qui existent dans les établissements pénitentiaires. Une considération importante de politique générale, dans le contexte de la compétence exclusive de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire, est la mesure dans laquelle le recours à l’habeas corpus pour déterminer la validité d’une forme particulière de détention constitue une appropriation indirecte du pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour fédérale à l’égard des décisions administratives des autorités correctionnelles fédérales.

29. Ceux qui s’opposent au recours à l’habeas corpus pour contester la validité d’une forme particulière d’incarcération ou de détention dans un établissement pénitentiaire soutiennent qu’on ne satisfait pas à deux conditions essentielles auxquelles a été traditionnellement soumise l’obtention de ce recours: a) il faut une privation de liberté et b) il faut viser la liberté totale du requérant et non pas simplement son transfert à un autre type de détention ou de privation de liberté. Cette conception du rôle traditionnel de l’habeas corpus se manifeste dans les affaires Ex parte Rogers (1843), 7 Jur. 992, et R. v. Governor of Wandsworth Prison; ex parte Silverman (1952), 96 Sol. J. 853. Dans l’affaire Rogers, un détenu a tenté d’obtenir par voie d’habeas corpus son transfert d’une partie d’une prison [TRADUCTION] “où l’incarcération était plus stricte et les repas plus maigres” à l’endroit, dans la même prison, où il avait été détenu auparavant. En rejetant la demande, le juge en chef Denman, à l’avis duquel les juges Williams, Coleridge et Wightman se sont rangés, a dit: [TRADUCTION] “Il est bien évident que nous ne pouvons faire droit à cette demande. Un bref d’habeas corpus a généralement pour objet de rendre à une personne sa liberté et non pas de décider de la pièce ou de la partie d’une prison où un détenu devrait être incarcéré.” Dans l’affaire Silverman, un détenu en détention préventive, alléguant qu’il ne recevait pas le traitement spécial exigé par la loi applicable, a cherché au moyen d’une demande d’habeas corpus à obtenir son transfert à un endroit où ce traitement était offert. Le juge Hilbery a rejeté la demande d’habeas corpus, concluant que, si un bref d’habeas corpus était délivré, [TRADUCTION] “la seule question en litige serait celle de l’opportunité de libérer le requérant; et le rapport du directeur de prison préciserait qu’il s’agissait d’une détention préventive, ce qui constituerait une réponse parfaitement valable”.

30. Dans la décision inédite Berrouard c. La Reine en date du 30 novembre 1981 et dans des décisions connexes, également inédites, (auxquelles la Cour d’appel du Québec s’est référée dans l’arrêt Morin), le juge en chef adjoint Hugessen (maintenant juge de la Cour d’appel fédérale) s’est fondé sur cette jurisprudence pour rejeter des demandes d’habeas corpus qui contestaient la validité de l’incarcération dans ce qui paraît, d’après les expressions employées, avoir été une unité spéciale de détention. Je cite ci‑après les motifs du juge en chef adjoint Hugessen reproduits dans l’arrêt Morin c. Comité national chargé de l’examen des cas d’U.S.D. (Unité Spéciale de détention), [1982] C.A. 464, à la p. 466:

Ces six requêtes en habeas corpus soulèvent toutes et chacune le même point de droit. Dans chaque cas, le requérant allègue qu’il purge actuellement une sentence et qu’il a été injustement transféré dans une unité spéciale de détention ou dans une ségrégation spéciale.

Autant la privation de la liberté du sujet est une pré‑condition essentielle au remède d’habeas corpus (Masella c. Langlois, [1955] R.C.S. 263), autant l’obtention éventuelle de cette même liberté doit être le principal objet du remède d’habeas corpus (R. c. Governor of Wandsworth Prison, (1952) 96 Sol. Jo. 853; Rogers (Ex parte), (1843) 7 jur. 992). J’ai lu avec grand intérêt le jugement de mon collègue le juge en chef McEachern, de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, dans l’affaire Oswald v. Attorney‑general et Cardinal v. Attorney‑general, jugement inédit en date du 30 décembre 1980. Avec tout le respect que je dois à mon collègue, je ne suis pas d’accord avec la prétention que le bref d’habeas corpus peut être utilisé pour modifier les conditions d’une détention qui, même si le bref est maintenu, va subsister après le jugement final. C’est notre cas.

Il va sans dire que je suis, en conséquence, d’accord avec la décision de mon collègue l’honorable juge Jean‑Paul Bergeron dans l’affaire Morin v. Yeomans, jugement inédit en date du 18 novembre 1981.

31. Dans l’arrêt Morin, où, je le répète, il s’agissait d’un habeas corpus sans certiorari auxiliaire, le juge Bergeron fait mention de la conclusion du juge en chef McEachern de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Cardinal selon laquelle on peut recourir à l’habeas corpus pour déterminer la validité d’une forme particulière de détention dans un pénitencier et déclare ne pas pouvoir l’accepter. En effet, il a conclu que le contrôle judiciaire des décisions administratives des autorités correctionnelles fédérales doit se faire par voie de certiorari, ce qui relève de la compétence exclusive de la Cour fédérale. À son avis, les conditions de détention d’une personne par ailleurs légalement détenue en vertu d’un mandat de dépôt valide ne donnent pas ouverture à habeas corpus. En rejetant l’appel de la décision du juge Bergeron, la Cour d’appel du Québec a souligné que l’appelant avait engagé des procédures de certiorari devant la Cour fédérale pour contester la validité de son incarcération dans l’unité spéciale de détention et qu’il y avait donc un risque de jugements contradictoires si l’on concluait que la Cour supérieure avait compétence pour délivrer un bref d’habeas corpus relativement à la même question. La Cour d’appel a conclu que des procédures visant à contester un acte administratif accompli au sein des pénitenciers fédéraux sont du ressort exclusif de la Cour fédérale. Il paraît donc que, dans l’affaire Morin, l’opinion de la Cour supérieure et de la Cour d’appel quant à l’applicabilité de l’habeas corpus a été influencée par les conséquences éventuelles d’un partage ou d’un chevauchement de la compétence de contrôle des décisions administratives prises par des autorités correctionnelles fédérales.

32. Appliquant la notion d’une “prison au sein d’une prison”, les cours de la Colombie‑Britannique dans l’affaire Cardinal ainsi que la Cour d’appel de l’Ontario en l’espèce, ont conclu que l’on peut recourir à l’habeas corpus pour déterminer la validité d’une incarcération en ségrégation administrative ou dans une unité spéciale de détention et, si cette incarcération est jugée illégale, pour ordonner la réintégration du détenu dans la population générale du pénitencier. Le concept d’une “prison au sein d’une prison” est mentionné par Sharpe dans The Law of Habeas Corpus (1976), à la p. 149, où il préconise l’application de l’habeas corpus dans ces situations, et par le juge Dickson (maintenant Juge en chef) dans l’arrêt Martineau, précité, à la p. 622, où, relativement à la décision du comité de discipline qui, pour une infraction à la discipline, a condamné le détenu à passer 15 jours à l’unité spéciale de correction du pénitencier, il dit:

De plus, la décision du comité avait pour effet de priver une personne de sa liberté en l’incarcérant dans une “prison au sein d’une prison”. Dans ces circonstances, la justice élémentaire exige une certaine protection dans la procédure. Le principe de la légalité doit régner à l’intérieur des murs d’un pénitencier.

Il ressort de ce passage qu’un détenu continue à jouir de certains droits ou d’une liberté résiduelle (voir aussi l’arrêt Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, à la p. 839) et que dans un établissement pénitentiaire il peut y avoir des gradations importantes de privation de liberté. Cette même idée se dégage des motifs de jugement du juge en chef McEachern de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique et du juge Anderson de la Cour d’appel dans l’affaire Cardinal et dans les motifs rédigés par le juge Cory en Cour d’appel dans la présente affaire. De fait, un prisonnier a le droit de ne pas être privé illégalement de la liberté relative ou résiduelle accordée à la population carcérale générale d’un établissement. Toute privation appréciable de cette liberté, comme celle qui résulte du transfert à une unité spéciale de détention, satisfait à la première des exigences traditionnelles pour la délivrance d’un bref d’habeas corpus, savoir qu’il y ait eu privation de liberté.

33. D’autre part, le principe selon lequel on ne peut recourir à l’habeas corpus que pour obtenir la liberté totale du détenu n’est pas toujours respecté dans la pratique. En effet, on trouve dans la jurisprudence canadienne des cas où l’habeas corpus a été utilisé pour obtenir la libération d’une personne d’une forme particulière de détention bien que cette personne demeurât légalement sous le coup d’un autre type de privation de liberté. Mentionnons à titre d’exemples, le recours à l’habeas corpus pour recouvrer la garde d’enfants (Stevenson v. Florant, [1927] A.C. 211, confirmant [1925] R.C.S. 532; Dugal v. Lefebvre, [1934] R.C.S. 501); pour obtenir la libération conditionnelle d’une personne dont la libération conditionnelle a été illégalement révoquée (Re Cadeddu (1982), 4 C.C.C. (3d) 97; Swan v. Attorney General of British Columbia (1983), 35 C.R. (3d) 135); et pour obtenir le transfert à un autre établissement d’une personne illégalement détenue dans un premier établissement (Re Bell and Director of Springhill Medium Security In­stitution (1977), 34 C.C.C. (2d) 303; Re Frejd (1910), 22 O.L.R. 566). Dans chacun de ces cas l’habeas corpus opère la libération d’une personne en détention illégale, ce qui est précisément l’objet du recours. Or, l’utilisation de l’habeas corpus pour effectuer la réintégration dans la population carcérale générale du pénitencier d’un détenu soumis à une forme illégale de détention est compatible avec les applications susmentionnées de ce recours.

34. Un élargissement du concept de la détention aux fins du recours en habeas corpus se réflète dans la jurisprudence américaine. Autrefois, les tribunaux américains estimaient que l’on pouvait recourir à l’habeas corpus seulement lorsqu’un jugement favorable entraînerait la libération immédiate de toutes les formes de détention: McNally v. Hill, 293 U.S. 131 (1934). Depuis lors la portée du concept de la détention a connu un élargissement considérable pour permettre un recours plus large à l’habeas corpus pour la protection des droits des détenus. Dans l’affaire Jones v. Cunningham, 371 U.S. 236 (1963), où il a été jugé qu’un habeas corpus peut être accordé à un requérant qui n’est pas physiquement détenu mais qui est en libération conditionnelle, la cour a dit, à la p. 243, que l’habeas corpus n’est pas [TRADUCTION] “maintenant ni n’a jamais été un recours statique, étroit et formaliste; sa portée s’est élargie afin qu’il puisse remplir son objet premier‑‑la protection des individus contre l’érosion de leur droit de ne pas voir imposer de restrictions abusives à leur liberté”. Dans l’affaire Peyton v. Rowe, 391 U.S. 54 (1968), il a été permis de contester par voie d’habeas corpus la validité d’une peine qu’on n’avait pas encore commencé à purger. Dans l’affaire Johnson v. Avery, 393 U.S. 483 (1969), on a fait droit à une demande d’habeas corpus aux fins de contester la légitimité d’une condition d’incarcération, savoir un règlement carcéral qui limitait l’accès des détenus analphabètes aux tribunaux en défendant aux autres détenus de faire office d’avocats. Il a été jugé que le caractère illégal du règlement emportait l’illégalité de la détention. Dans l’arrêt Wilwording v. Swenson, 404 U.S. 249 (1971), la Cour suprême des États‑Unis a infirmé les décisions des cours du Missouri qui avaient conclu que l’on ne pouvait recourir à l’habeas corpus lorsque le but n’était pas d’obtenir la libération totale des requérants du pénitencier, mais de contester leurs conditions de vie et les mesures disciplinaires. La Cour suprême a ainsi confirmé ce qu’elle avait dit dans l’arrêt Johnson v. Avery. Il est toutefois à noter que, dans l’arrêt Preiser v. Rodriguez, 411 U.S. 475 (1973), le juge Stewart, parlant au nom de la majorité, s’est exprimé en des termes qui pourraient porter à croire que la question était considérée comme encore entière. À la page 499, il dit ce qui suit: [TRADUCTION] “Cela n’écarte pas la possibilité du recours à l’habeas corpus pour contester de telles conditions carcérales. Voir les arrêts Johnson v. Avery, 393 U.S. 483 (1969), et Wilwording v. Swenson, précité, à la p. 251. Lorsqu’un détenu est soumis à des mesures coercitives additionnelles et inconstitutionnelles au cours de sa détention légale, il est défendable de recourir à l’habeas corpus pour mettre fin aux mesures qui rendent la détention illégale. Voir Note, Developments in the Law‑‑Habeas Corpus, 83 Harv. L. Rev. 1038, à la p. 1084 (1970).” La note mentionnée par le juge Stewart approuve la solution retenue dans l’arrêt de principe Coffin v. Reichard, 143 F.2d 443 (6th Cir. 1944), où l’on peut lire à la p. 445: [TRADUCTION] “Un détenu, quoique légalement incarcéré, a droit à un bref d’habeas corpus lorsqu’on porte atteinte à quelque droit dont il peut jouir même pendant son incarcération et que cette atteinte rend son emprisonnement plus pénible que cela n’est légalement permis ou qu’elle restreint sa liberté au‑delà de ce qui est juridiquement autorisé.” Ayant fait mention de l’arrêt Coffin, la note continue aux pp. 1085 et 1086:

[TRADUCTION] Aucun autre circuit ne prétend suivre l’arrêt Coffin. Au contraire, la majorité des cours estiment que l’on ne peut recourir à l’habeas corpus lorsque le requérant ne demande pas l’annulation d’une détention imposée par suite d’une condamnation. Cette opinion repose sur ce que le requérant ne demande à être libéré ni immédiatement ni dans l’avenir. Toutefois, en cela on perd de vue que la légalité d’une détention n’est pas fonction uniquement de l’existence d’un fondement juridique pour une détention quelconque, mais tient à la légalité du type et du mode précis de détention. Lorsque la détention en question porte atteinte à des droits protégés par des lois fédérales, en ce sens que le requérant est placé dans la mauvaise prison, qu’on lui refuse des soins, qu’on lui impose des peines cruelles et inusitées, qu’on l’empêche d’avoir accès aux tribunaux, etc., il s’agit d’une détention illégale et on peut recourir à l’habeas corpus pour en libérer le requérant. À cet égard, peu importe que le requérant puisse alors être placé dans un type différent de détention qui est légal ou que sa condamnation à une peine d’emprisonnement puisse en soi être légale. L’exigence qu’il y ait détention et la demande de libération formulée en conséquence ne changent rien à l’applicabilité de l’habeas corpus pour contrôler une administration carcérale illégale.

Depuis la rédaction de cette note, le point de vue qu’elle exprime a été adopté par les cours d’appel de circuit fédérales. Voir par exemple les arrêts énumérés ci‑après qui reconnaissent la possibilité du recours à l’habeas corpus pour contester la validité de différentes formes de détention ségrégative dans une prison pour non‑application régulière de la loi: McCollum v. Miller, 695 F.2d 1044 (7th Cir. 1982); Krist v. Ricketts, 504 F.2d 887 (5th Cir. 1974); Bryant v. Harris, 465 F.2d 365 (7th Cir. 1972); Dawson v. Smith, 719 F.2d 896 (7th Cir. 1983); et Streeter v. Hopper, 618 F.2d 1178 (5th Cir. 1980).

35. Examen fait des deux façons d’aborder cette question, je suis d’avis que le point de vue à retenir est celui selon lequel il y a lieu à habeas corpus pour déterminer la validité d’une forme particulière de détention dans un pénitencier quoique la même question puisse être tranchée par voie de certiorari en Cour fédérale. La portée du recours à l’habeas corpus doit d’abord être examinée en fonction de son propre fondement, indépendamment des problèmes que peuvent poser le partage ou le chevauchement des compétences. L’importance générale de ce recours comme moyen traditionnel de contester les privations de liberté est telle que son développement et son adaptation rationnels aux réalités modernes de la détention en milieu carcéral ne doivent pas être compromis par des craintes de conflits de compétence. Comme je l’ai déjà souligné à propos de la compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus, ces préoccupations sont nées de la décision du législateur de laisser aux cours supérieures provinciales la compétence pour délivrer des brefs d’habeas corpus contre des autorités fédérales. Or, la portée de l’habeas corpus ne peut être définie d’une manière pour le cas des autorités fédérales et d’une autre pour les autres autorités. L’incarcération dans une unité spéciale de détention, ou en ségrégation administrative comme c’était le cas dans l’affaire Cardinal, constitue une forme de détention qui est tout à fait distincte de celle imposée à la population carcérale générale. Elle entraîne une diminution importante de la liberté résiduelle du détenu. Il s’agit en fait d’une nouvelle détention qui est censée avoir son propre fondement juridique. C’est cette forme précise de détention ou de privation de liberté qui est contestée par l’habeas corpus. C’est la libération de cette forme de détention qu’on demande. Voilà pourquoi je ne vois aucune raison valable fondée sur la nature et le rôle de l’habeas corpus pour laquelle il ne devrait pas servir à cette fin. Je ne dis pas qu’on devrait recourir à l’habeas corpus pour contester toutes et chacune des conditions d’incarcération dans un pénitencier ou une prison, y compris la perte d’un privilège dont jouit la population carcérale générale. Mais, selon moi, il y a lieu d’y recourir pour contester la validité d’une forme distincte de détention dans laquelle la contrainte physique réelle ou la privation de liberté, par opposition à la simple perte de certains privilèges, est plus restrictive ou sévère que cela est normalement le cas dans un établissement carcéral.

36. Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l’appelante: R. Tassé, Ottawa.

Procureur de l’intimé: Fergus J. O’Connor, Kingston.

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Decisia par Lexum
Date de la dernière modification : 2015-12-29

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 — Mauro Cappelletti dans Louis Favoreu (dir.), Le pouvoir des juges, Paris, Economica, 1990, p. 115.
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— Mr. Justice Ivan Cleveland Rand writing in the most memorable passage in Roncarelli v. Duplessis, [1959] S.C.R. 121 at the Supreme Court of Canada, page 140.
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The social tyranny of extorting recantation, of ostracism and virtual outlawry as the new means of coercing the man out of line, is the negation of democracy.

— Justice Ivan Cleveland Rand of the Supreme Court of Canada, Canadian Bar Review (CBR)
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Fears are mounting that the psychiatrist Anatoly Koryagin is near to death in the notorious jail of Christopol in central Russia. Letters that have reached the West from his wife and a friend indicate that he is so weak that unless he is given expert medical care he could die at any time. Dr. Koryagin has been in prison for the last four years for actively opposing the political abuse of psychiatry. The abuse takes the form of labeling dissidents as mad and forcibly treating them with drugs in mental hospitals.   ― Peter B. Reddaway, "The Case of Dr. Koryagin", October 10, 1985 issue of The New York Times Review of Books
"If we were lawyers, this would be billable time."
A Word on Caricature
“Humor is essential to a successful tactician, for the most potent weapons known to mankind are satire and ridicule.”

— “The Education of an Organizer”, p. 75, Rules for Radicals, A Practical Primer for Realistic Radicals by Saul Alinsky, Random House, New York, 1971.

I am no fan of Saul Alinsky's whose methods are antidemocratic and unparliamentary. But since we are fighting a silent war against the subversive Left, I say, if it works for them, it will work for us. Bring on the ridicule!  And in this case, it is richly deserved by the congeries of judicial forces wearing the Tweedle suits, and by those who are accurately conducting our befuddled usurpers towards the Red Dawn.

— Admin, Judicial Madness, 22 March 2016.
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