Ontologie de la quérulence
The Ontology of Quarrelsomeness
This featured item is an exclusive English translation of an interview in French with Yves-Marie Morissette by Myriam Jézéquel, a researcher who writes for the Quebec Bar Review. The original French article appeared under the title, “Ontologie de la quérulence” in Volume 34, Number 8 of the Quebec Bar Review on May 1st, 2002. Any flaws in the English translation are entirely our fault; Ms. Jézéquel and the Quebec Bar Association have nothing to do with it. Feel free to suggest corrections, thank you.
Ontologie de la |
The Ontology of querulousness |
La médecine a ses malades imaginaires, le droit ses plaideurs (trop) belliqueux. Justiciers infatigables en mal de reconnaissance de droits, plaideurs compulsifs en quête permanente de justice, perpétuelles victimes en manque de querelles, ils encombrent les salles d’audience, multiplient les recours judiciaires et finissent par une plainte généralisée contre leur avocat, le juge, le procureur. Reconnaissez-vous ce portrait parmi l’un de vos clients? Alors, c’est sans doute que vous êtes en face d’un cas caractérisé de « quérulence ». |
Medicine has its hypochondriacs, the law its quarrelsome litigants. Tireless chasers after justice in recognition of numerous rights, compulsive litigants in permanent search of justice, perpetual victims short of a quarrel, they encumber the courtrooms, multiply legal recourses and conclude with a generalized complaint against their lawyer, the judge, the prosecutor. Do you recognize this portrait in one of your clients? If so, you are undoubtedly confronting what is qualified as a case of “querulousness”. |
Pardon, dites-vous? Selon les psychiatres, il s’agit d’une pathologie, d’un trouble de la personnalité caractérisé par un délire de revendications, forme de paranoïa, qui amène le sujet à s’investir dans des litiges sans fin et sans issue. De poursuites en procès, d’échecs en poursuites, il se débat souvent seul dans le dédale des lois, il se représente lui-même à la cour. Rien ne lui résiste, ni les mises en garde de ses avocats, ni les mises en échec de ses recours en justice, tout le pousse à se livrer à une guérilla judiciaire jusqu’à ce que victoire s’ensuive. Tant que la justice n’a pas triomphé en sa faveur, il se sent mobilisé. En persécuté et poursuiveur, les échecs répétés le renforcent dans sa conviction que justice reste à faire. Qu’il obtienne gain de cause et une nouvelle injustice vient de l’interpeller dans son obsession de réparer les torts. Que faire lorsqu’un justiciable quérulent ou sur le point de le devenir s’ignore comme tel, tout entier à défendre corps et âme sa chère cause? Pour Yves-Marie Morissette, professeur de droit à l’Université McGill, il y a là matière à réflexion. Et de se mettre à collectionner tous les cas observables dans la jurisprudence. Instruit du diagnostic médical, je l’ai questionné sur les causes et solutions de droit. |
Excuse me, you say? According to psychiatrists, this is a pathology, a personality disorder characterized by delirious claims, a form of paranoia which leads the subject to invest himself endless litigation with no end in sight. From file to trial, he often argues alone in the maze of the laws: he represents himself at court. Nothing can stop him, not the cautioning of his lawyers, nor the setbacks of his appeals to justice; all pushes him to devote himself to legal guerilla warfare until victory follows. As long as justice has not triumphed in his favor, he feels mobilized. As the persecuted and the pursuer, repeated failures underscore in his mind that justice remains to be done. If he wins, a new injustice comes to challenge him in his obsession to right wrongs. What can be done when a querulous litigant or someone about to become one becomes so unaware of himself, prepared body and soul to defend the cherished cause? For Yves-Marie Morissette, a law professor at McGill University, here is subject matter for reflection. And for collecting all the observable cases in the jurisprudence. Trained in medical diagnosis, I questioned him on the causes, and the solutions at law. |
Un sérieux irritant |
A serious irritant |
Qui ne se souvient de l’affaire Valery Fabrikant, celle aux nombreux rebondissements dont la multiplicité des recours abusifs et la diversité des contestations déraisonnables, les appels du jugement et les requêtes en rétractation du jugement de la Cour d’appel, ont mobilisé les services judiciaires pendant plusieurs années? M. Morissette le donne en exemple comme « le cas le plus patent de quérulence au Québec ». Un « intellectuel brillant » dont le manque de jugement n’a d’égal qu’une « capacité d’analyse peu commune ». Un cas si atypique qu’un étudiant du professeur de droit, Mathieu Beauregard, décide d’y consacrer un livre La folie de Fabrikant. Cependant, la jurisprudence contient de nombreux exemples, parmi lesquels les recours exercés par Clifford Olson, l’affaire Siminski, les affaires Yorke c. Paskell-Mede et Byer. Leurs principales caractéristiques? Leur « tendance à absorber une quantité absolument faramineuse de ressources judiciaires ». Par ailleurs, avec la modification du Code de profession rendant recevable la plainte privée, « il y a là un foyer infectieux », observe-t-il. « La profession juridique est celle qui est le plus souvent appelée à travailler avec des quérulents et vient un moment où les avocats disent: ‘cela suffit’ ». Cela suffit des plaintes disciplinaires, des « allégations outrancières », des « arguments biscornus ». Du moins, c’en est assez aux yeux de Yves-Marie Morissette pour étudier le phénomène. |
Who doesn’t remember the Valery Fabrikant affair, the numerous rebounds, the multipilicity of abusive recourses, the diversity of unreasonable claims, the appeals from judgment and the motions in retractation from judgment of the Court of Appeal, all of which mobilized the judicial services for several years? Mr. Morissette holds it up as an example of “the most patent case of querulousness in Quebec”. A “brilliant intellectual” whose lack of judgment has no equal except in his “uncommon capacity for analysis”. A case so atypical that a student of law professor Mathieu Beauregard decided to devote a book to it, La folie de Fabrikant [The Folly of Fabrikant]. However, the jurisprudence contains many examples, among others the law suits instituted by Clifford Olson, the Siminski affair, the matter of Yorke c. Paskell-Mede, and that of Byer. Their main features? Their “tendency to absorb an absolutely amazing quantity of legal resources”. In addition, with the amendment of the Professional Code to allow private complaints, “there is a channel there for propagation”, he observes. “It is the legal profession that is most often called to work with querulents and there comes a time when the lawyers say: ‘that’s enough’”. That’s enough disciplinary complaints, “outrageous allegations”, “tortuous arguments”. That’s enough, at least, in the opinion of Yves-Marie Morissette, to study the phenomenon. |
Le psychiatre au secours du juriste |
The psychiatrist to the rescue of the jurist |
« Dans les quelques rares cas où l’on avait diagnostiqué comme abusif un recours, une initiative judiciaire quelconque, à la lumière uniquement de ce qui avait été plaidé, le résultat avait été lamentable. Il y a, précise le professeur, un phénomène humain qui échappe aux catégories juridiques consacrées ». Il décide d’en faire son objet d’étude, de ce phénomène humain qui, « de manière totalement irrationnelle et implacable, refuse la moindre concession dès qu’il a le sentiment que ses droits sont en cause et va revendiquer jusqu’à la limite de tous les recours possibles le respect intégral de ces droits ». C’est alors qu’il découvre le caractère pathologique, l’être de la procédure abusive, la personnalité derrière l’acte abusif: le sujet de droit « quérulent ». Le mot médical est lancé, il vient mettre « un label sur le problème ». Sa définition est dans le dictionnaire: « tendance morbide à rechercher les querelles et à revendiquer des droits imaginaires, caractéristiques de certaines psychoses ». Si tout querelleur n’est pas quérulent, l’inverse n’est que trop vrai. Mais, comment tracer la ligne de démarcation? Le droit possèderait son propre diagnostic. Le professeur de droit me renvoie aux caractéristiques identifiées par le juge Henry de la Cour supérieure de l’Ontario dans l’affaire Re Lang Michener and Fabian. Pour vous résumer le tout, sont considérées comme vexatoires les actions intentées à la suite d’un jugement déjà tranché, pour des motifs futiles ou voués à l’échec, à des fins répréhensibles (harcèlement ou oppression), par des procédures successives ou par un défaut de paiement des dépens de procédures antérieures. |
“In the few rare cases where one or another judicial initiative has been diagnosed as an abusive recourse solely in light of the pleadings, the result has been deplorable.” “It is a human phenomenon,” the professor points out, “which escapes the recognized legal categories”. He decided to make a study of it, of this human phenomenon which, “in a completely irrational and implacable way, refuses the least concession the moment rights are felt to be at issue, and which presses the unabridged assertion of these rights to the limit through all possible recourses”. It is at this point that he uncovers the pathological character, the creature of abusive procedures, the personality behind the abusive act: the “querulous” subject of the law. The word medical is thrust forward, he has just put “a label on the problem”. Its definition is in the dictionary: “a morbid tendency to seek quarrels and to assert imaginary rights, characteristic of certain psychoses”. If not all quarrellers are querulous, the reverse is only too true. But where is the boundary line? The law would have its own diagnostic. The law professor refers me to the characteristics identified by Judge Henry of the Superior Court of Ontario in the matter of Re Lang Michener and Fabian. To sum up, actions are considered vexatious when instituted after judgment has already ruled, for reasons that are futile or doomed to fail, for objectionable ends (harassment or oppression), by means of successive procedures or by default to pay the costs of prior procedures. |
Les aspects juridiques |
The legal aspects |
On aura compris que la quérulence est un phénomène humain et juridique. C’est une pathologie qui s’en prend au système judiciaire et à ses membres et comporte des aspects juridiques. Une fois diagnostiquée, cette pathologie « ne saurait constituer une preuve d’aliénation mentale en défense à une accusation de voies de fait », a écrit Y. M. Morissette. D’autres enjeux juridiques surgissent. Les leçons de l’histoire soviétique sur la « schizophrénie lente » ou « indolente » rappellent que « la prudence demeure de mise avant de restreindre la faculté d’un justiciable de s’adresser aux tribunaux », ajoute-t-il. Le quérulent lui-même doit être protégé de tout traitement abusif et de « manipulation » de la part de l’institution de droit. Il donne un autre motif de prudence à trop restreindre son accès au droit: même un sujet quérulent peut, à un moment donné, avoir « des revendications de droit légitimes ». C’est sans oublier « l’effet thérapeutique des voies du droit » sur un justiciable à qui l’on demande sa version des choses. |
It will have been understood that querulousness is a human and a legal phenomenon. It is a pathology which attacks the legal system and its members and which has legal aspects. Once diagnosed, this pathology “could not constitute proof of mental illness in defense to am assault charge”, writes Y.M. Morissette. Other legal interests emerge. The lessons of Soviet history on “slow” or “creeping” schizophrenia” recall that “prudence is required before restricting the faculty of the person to address the courts”, he adds. The querulent himself must be protected from any abusive treatment and “manipulation” on the part of the legal institution. He offers another reason for prudence against overly restricting his access to the law: even a querulous subject can, at a given moment, have “legitimate legal claims”. Not to forget “the therapeutic effect of legal routes” for the litigant when he is asked for his version of things. |
Responsabilité des |
The responsibility of lawyers and the reticence of judges |
Comment se prémunir du quérulent? « L’avocat introduit un élément d’objectivation de la situation. Il stabilise et encadre l’exercice d’un recours judiciaire. » Mais, face à un quérulent, « il n’y a pas moyen de le dissuader ». Inévitablement, lorsque l’avocat conseille son client de cesser les recours, les relations vont se dégrader jusqu’aux poursuites contre l’avocat. Celui-ci « a une obligation d’être loyal envers son client ». « La chose la plus déterminante est la capacité de l’avocat de se montrer à la hauteur de son devoir d’indépendance, son détachement professionnel et son jugement neutre. » |
How can one guard against the querulent? “The lawyer introduces an element of objectivity into the situation. He stabilizes and gives a judicial framework to a legal recourse.” But, faced with a querulent, “there is no way to dissuade him.” Inevitably, when the lawyer advises his client to cease his recourses, relations will deteriorate to the point of law suits against the lawyer. The latter “has an obligation to be loyal to his client”. “The most causal factor is the ability of the lawyer to exhibit the full stature of his duty of independence, his professional detachment and his neutral judgment.” |
Les avocats sont-ils des exemples de mesure et de modération? Il y a bien « quelques cas où l’on observe de la part de l’avocat un comportement qui exacerbe, envenime les litiges et dans certains cas, qui est la pire des maladies professionnelles pour un avocat: des quérulents ». Face à un avocat qui « lui passe à peu près tous ses caprices », le client sera plus enclin à devenir quérulent. Cela dit, la coïncidence quérulent-avocat est rarissime. |
There are indeed “a few cases where one observes behavior on the part of the lawyer which exacerbates and envenoms litigations, and in certain cases, which is the worst of professional maladies for a lawyer: the querulents”. Faced with a lawyer who “gratifies pretty well every his every caprice”, the client will be more inclinded to become querulent. That being said, the coincidence of the querulent-lawyer is a rarity. |
Que dire de la vigilance des juges à l’égard des avocats belliqueux? « C’est difficile pour un juge de saisir les autorités professionnelles pour des comportements qui sont répréhensibles sur le plan déontologique, de dire M. Morrissette. Cela les amène à descendre dans l’arène, à devenir le plaignant. De ce côté-là, il y a peut-être encore une faiblesse… ». Le professeur préfère questionner les contextes culturel et institutionnel: « l’inflation litigieuse dans une société » où la « culture de la plainte » (François Roustang) est très forte. « Pour quelqu’un comme Fabrikant, c’est plutôt la générosité que l’on manifeste, la reconnaissance de la faculté du sujet de droit à exercer ses droits qui peut avoir une incidence. » La chute des plafonds d’admissibilité à l’aide juridique est venu exacerber le phénomène. « Plus vous favorisez l’accès à la justice, plus vous créez des exutoires pour l’exercice des droits, plus vous invitez ceux qui ont une propension litigieuse à donner libre cours à leur propension. » |
What can be said concerning the vigilance of judges with respect to quarrelsome lawyers? “It is difficult for a judge to seize the professional authorities regarding behaviors which are ethically blameworthy,” according to Mr. Morissette. “This leads them to descend into the arena, to become the complainant. From that side, there is still perhaps one weakness…”. The professor prefers to question the cultural and institutional contexts: “litigious inflation in a society” where the “culture of complaint” (François Roustang) is quite strong. “For someone like Fabrikant, it is rather the generosity that one shows him, the recognition of the faculty of the subject of the law to exercise his rights which may have an incidence.” The drop in ceilings of entitlement to legal aid exacerbates the phenomenon. “The more you facilitate access to justice, the more you create the means to exercise rights, the more you invite those who have a litigious propensity to give free reign to their propensity.” |
Prévenir ou guérir? |
Prevent or cure? |
« Pour le moment, le remède que l’on a inventé, c’est non pas l’interdiction de litiges mais un contrôle judiciaire préalable sur l’exercice de recours. L’étape suivante va être l’interdiction physique d’exercice de votre droit d’ester en justice. Il y a des obstacles institutionnels importants parce que le droit de s’adresser aux tribunaux est considéré dans une société comme celle-ci comme absolument sacré ». Pourtant, poursuit M. Morrissette, dans les cas extrêmes de quérulence (le cas Fabrikant), il faudrait quasiment un curateur à l’exercice du droit d’ester en justice, ce serait son rôle d’évaluer la plausibilité, les chances de succès du recours. « Dans une décision extrêmement révélatrice de la Cour d’appel britannique [Ebert, 2001], un quérulent délirant s’est même vu interdire, à la demande du procureur général, d’approcher le palais de justice à moins de 500 mètres. Sur une période d’un an, il a demandé 151 fois la permission d’exercer un recours. (…) Désormais, il ne pourra même plus se présenter au palais de justice sans avoir obtenu par écrit la permission d’un juge. C’est la seule fois où cela s’est fait. Moi, je dis que la solution doit être extra-judiciaire parce que Ebert va demander 150 fois la permission de se présenter au palais de justice. Tant qu’il n’aura pas été soigné ou neutralisé par une mesure encore plus radicale que celle-là, il continuera de faire ce qu’il fait depuis des années. C’est sa seule activité dans la vie! » |
“For the moment, the remedy invented is not the prohibition of litigation but prior judicial control of the right to exercise it. The next stage is going to be the physical prohibition of your right to exercise legal proceedings. There are major institutional obstacles because the right to address the courts is considered absolutely sacred in a society like ours.” However, Mr. Morissette continues, “in extreme cases of querulousness (the case of Fabrikant), a virtual custodian of the right to (ester en justice) would be required, whose role would be to evaluate the plausibility, the chances of success of the recourse. “In an extremely enlightening decision of the British Court of Appeal (Ebert, 2001), a delirious querulent was even barred, at the demand of the attorney general, from approaching within 500 meters of the courthouse. Within the period of one year, he had filed 151 requests for permission to exert a recourse. (…) From then on, he could not even show up at the courthouse without having first obtained the written permission of a judge. This is the one time when this was done. As for me, I say that the solution must be extra-judicial because Ebert will ask permission to present himself at the courthouse 150 times. As long as he is not treated or neutralized by a measure still more radical than that, he will continue to do what he has done for years. It is the only activity in his life!” |